La question du personnel me préoccupe particulièrement, Monsieur le député Jacques. La DGA compte environ 3 500 ingénieurs et cadres technico-commerciaux (ICT) et 500 techniciens (TCT) contractuels de droit public Ce statut des ICT-TCT est très méconnu, il est pourtant stratégique puisqu'il représente 40% de nos effectifs. Pour garantir notre capacité à capter et conserver les talents recrutés via ce statut, nous devons mener un travail pour améliorer la situation des ICT-TCT. Lors de ma prise de fonction, j'ai écrit à toutes les organisations syndicales et à tous les ICT-TCT
Monsieur le député Berteloot, l'Eurodrone est le fruit d'une coopération entre l'Allemagne, l'Espagne, la France et l'Italie. Au moment de l'équiper, l'A2SM de Safran n'a pas été retenu. Toutefois, pour la France nous avons décidé d'équiper, en complément, le drone du missile « souverain » MHT (missile haute trame) de MBDA. La GBU 49 est un armement un peu plus basique et de portée moindre par rapport aux missiles que les armées françaises utilisent. Si l'on devait, un jour, équiper l'Eurodrone d'un autre type de munition, il faudrait étudier cette possibilité, tout à fait envisageable en modifiant quelques caractéristiques architecturales, mais ce sont quelques dizaines de millions d'euros qui devront être consacrés à ce rééquipement. En résumé, l'équipement choisi pour l'Eurodrone reflète la vie normale d'un projet ; je suis conscient que certains industriels s'offusquent de pas avoir été retenus mais la décision prise résulte d'une étude de définition transparente.
Dire que « le désaccord entre Dassault et Airbus est consommé » au sujet du Scaf est inexact. Les industriels sont en train de finaliser la signature du statement of work, ce qui permettra d'en venir au lancement d'un démonstrateur. Sur le plan général, on engage des projets en coopération parce qu'ils permettent des programmes plus ambitieux grâce au partage des coûts de développement et au rassemblement des expertises. Je rappelle que le Scaf n'est pas seulement un avion : c'est le système de combat aérien du futur, dans lequel l'avion de combat nouvelle génération est connecté à des ailiers dronisés – les remote carriers – et à des systèmes d'armement reliés en réseau au sein d'un « cloud de combat ». Ce système de systèmes repose sur l'interopérabilité des partenaires ; c'est tout l'enjeu des programmes faits en coopération. Il y a les champions du cloud et des champions des drones, et il y a un champion national de l'aviation, Dassault. Tout cela contribue à créer une BITD européenne robuste face à nos concurrents étrangers Je me garderai de parler à la place de Dassault et d'Airbus, mais la messe n'est pas dite : les négociations sont en cours, elles avancent, et nous nous tenons informés chaque jour de ce projet. J'ajoute qu'aucun projet industriel ambitieux, notamment européen, ne se déroule en eaux tranquilles ; les difficultés sont regrettables mais sont choses normales. Les États se sont mis d'accord et l'ont signifié dans un statement of intent.
Notre système modèle de dissuasion ayant une composante nucléaire aéroportée, il nous faut obligatoirement un avion capable d'assurer la permanence de notre dissuasion nucléaire au cours des années à venir. Je ne nourris aucune inquiétude quant à la capacité de la France à garantir, si le cas se présentait, le futur de l'aviation de combat française. Mais, aujourd'hui, nous essayons de mener le programme Scaf à son terme car il est ambitieux, compatible avec les exigences d'interopérabilité et propre à nourrir une BITD européenne solide.
M. Saintoul m'a interrogé sur nos capacités de défense aérienne. Ce qui se passe en Ukraine dit toute l'importance des systèmes sol-air. Nous n'avons effectivement que huit batteries sol-air Mamba (ou SAMP-T), mais ces matériels doivent être mis en regard de commandes de missiles Aster, notamment les nouveaux SAMP/T NG, extrêmement performants. De plus, ces missiles protègent un territoire national placé sous la voûte nucléaire. Il y a donc là un juste dimensionnement des besoins. La nouvelle LPM doit-elle prévoir le renforcement de la défense sol-air ? Le processus de détermination du modèle d'armée qu'il nous faut est en cours avec l'état-major des armées. Le dimensionnement est complexe et je ne peux vous répondre à ce stade.
La lutte antidrone est un enjeu complexe en raison du nombre de drones civils qui évoluent désormais, plus ou moins légalement, dans le ciel de France. On ne réagit pas de la même manière à l'égard de tous les types de drone repérés mais, comme toujours dans la courbe classique des phases de l'innovation, vient une phase de plateau où elle devient disponible pour tous, dont nos adversaires. La lutte anti-drones, programme à effet majeur, fait partie de nos priorités. Vous avez évoqué Parade ; des expérimentations ont déjà eu lieu sur les Champs-Élysées, à Paris. Le dimensionnement des commandes est adapté au périmètre couvert par le ministère des Armées lors prochain grand événement qui nous attend, les Jeux Olympiques 2024. La lutte antidrone fait l'objet de travaux portant sur le contrôle, la détection, la communication et la neutralisation de ces engins. Nous expérimentons de nombreuses solutions.
Le gravimètre quantique à atomes froids permet de refroidir par laser et d'immobiliser des atomes dans le vide avant de les relâcher. En mesurant leur vitesse de retombée, on peut cartographier l'ensemble du champ gravitationnel terrestre avec une précision quasi-millimétrique sans devoir se connecter ni à un satellite ni à une centrale inertielle. Dans un contexte de guerre électronique, cela donne des capacités cruciales de navigation résistantes et résilientes à toute agression. La France est l'un des pays en tête de la compétition pour la réalisation de capteurs quantiques, dont le programme Girafe. Ce projet développé par l'Onera et Thales nous a permis de déployer un premier prototype sur des navires et des avions, et de tester ainsi une technologie en avance de phase sur ce que j'ai observé ailleurs
Vous vous étonnez de certaines caractéristiques du budget du programme 146. Les commandes annuelles passées dans le cadre de la LPM ne sont pas constantes. Elles seront en baisse en 2023 par rapport à l'année précédente, mais le niveau de commandes augmentera en fin de période ; c'est alors qu'il conviendra d'apprécier l'exécution complète.
Je souhaitais, je vous l'ai dit, recréer une fonction de connaissance et d'anticipation stratégique de la menace dans tous les espaces nouveaux de conflictualité. C'est ce que font, dans leurs périmètres respectifs, la direction générale des relations internationales et de la stratégie du ministère des armées et, sous un angle différent, l'AID avec le projet Red Team. Notre but est de généraliser ce type de méthode par différents outils de prospective. La DGA n'est pas uniquement un gestionnaire de projet ni seulement une centrale d'achat, c'est aussi un expert technique qui doit être capable d'anticiper dans le temps long. Il y avait auparavant un adjoint à la modernisation dont le positionnement n'est plus opportun, dans la mesure où je souhaite piloter la transformation de la DGA à mon niveau. En revanche, la fonction d'anticipation stratégique doit être développée et incarnée.
Ludovic Chaker travaillait déjà avec l'AID, notamment au projet Red Team et aussi au projet Myriade relatif à la guerre cognitive, autrement dit la lutte contre la manipulation de l'information et des opinions, qui à mon sens est un grand danger pour les démocraties. C'est pourquoi j'ai choisi ce sinologue, ancien élève de Sciences Po, qui a fait des études dans le domaine considéré, qui a déjà un parcours international et qui a exercé le rôle de conseiller du président de la République. Son parcours parle pour lui. Contrairement à ce que différents media ont écrit, ce n'est pas un emploi fictif. Ludovic Chaker connaît le président de la République, mais ce n'est pas pourquoi je l'ai nommé : j'ai nommé Ludovic Chaker parce que mes équipes ont travaillé avec lui et que j'attends beaucoup de ses capacités, notamment à l'international. Ludovic Chaker me rejoint pour développer l'indispensable fonction d'anticipation stratégique et il en a la parfaite légitimité. Son parcours parle pour lui.
Monsieur le député Thiériot, avec les MGCS, qui ne sont pas des chars mais des plateformes de combat terrestres connectées par un cloud de combat, des systèmes de systèmes d'une grande complexité, nous visons le renouvellement des capacités de combat de haute intensité à l'horizon du retrait des chars Leclerc et Léopard. Ce programme est essentiel au développement de la BITD européenne. Tous les programmes de coopération font l'objet d'un dialogue ; la France est leader pour le Scaf, l'Allemagne leader pour MGCS. Comme pour toute collaboration, chacun doit y trouver son intérêt avec une répartition franco-allemande équilibrée, ce qui est indispensable au développement de la société KNDS, la co-entreprise européenne qui rassemble Krauss-Maffei Wegmann et Nexter Defense Systems. J'ai fait connaissance de mon homologue allemand, le secrétaire d'État à la défense chargé des questions d'armement Benedikt Zimmer ; M. le ministre des armées et Mme Christine Lambrecht, ministre allemande de la défense, qui se sont entretenus à Berlin fin septembre, ont dit leur volonté de progresser tant pour le Scaf que pour le MGCS.
Madame Poueyto, nous avons bien l'intention d'intégrer les acteurs du New Space dans nos réflexions sur la feuille de route spatiale ; ils participent d'ailleurs, depuis l'an dernier, au Cospace, le comité de concertation entre l'État et l'industrie dans le domaine spatial. Nous nous attachons à faire bénéficier les acteurs du spatial des 5 milliards d'euros prévus au titre du plan d'investissement France 2030 et nous avons engagé à cette fin une collaboration avec Bruno Bonnell, nouveau secrétaire général pour l'investissement, sur tous nos axes prioritaires en matière d'innovation : l'espace, la maîtrise des fonds marins, les grands domaines d'innovation, le cyber.
Le FID, doté de 200 millions d'euros, prendra des participations minoritaires de 20 millions d'euros au maximum par tour de table dans des sociétés de technologies duales déjà en phase de croissance sur un autre marché que celui de la défense. Nous ne devons pas entrer trop tôt au capital des start-up technologiques, au risque, sinon, de les faire dévier de leur projet initial. Nous avons donc pour stratégie d'attirer des acteurs pour les amener à se diversifier vers la défense tout en maintenant leur business model primaire. Des investissements ont déjà été réalisés dans deux start-up du domaine quantique ; d'autres auront lieu dans le domaine des communications et du New Space.
Je ne pourrai pas vous répondre aujourd'hui sur la part que la nouvelle LPM consacrera aux armements consommables. Cette tendance « low-cost » ne doit pas conduire, M. Larsonneur l'a souligné, à négliger la sophistication et l'innovation. Mais on peut être à la fois innovant et peu cher, et certains systèmes simples n'en sont pas moins innovants et adaptés à leur objet. Nous avons lancé deux appels à projets, LARINAE et COLIBRI, visant à neutraliser une menace à 5 kilomètres et à 50 kilomètres respectivement. Nous avons indiqué vouloir des solutions peu onéreuses, évidemment efficaces, prévoyant une autonomie fonction de la zone considérée et livrées très vite ; nous voulons aussi que les militaires soient capables de se former très rapidement. La formulation de ces appels à projets a surpris parce que nous n'avons pas spécifié si nous voulions un drone, un essaim de drones, des consommables. On peut aussi, de temps en temps, procéder en sens inverse, dire : « J'ai un projet pour lequel je dispose de 300 000 euros, que me proposez-vous ? ». Faire autrement, c'est aussi détourner des technologies civiles.
La réponse à votre question passe par la généralisation de cette démarche, qui vise à apporter la juste réponse aux besoins opérationnels, sans sur-spécifications, que cette réponse s'exprime par du consommable, du sophistiqué ou de l'hypersophistiqué. La rusticité et la robustesse ne s'opposent pas, non plus que le prix et l'innovation. Bien sûr, si l'on veut un matériel hypersophistiqué, cela coûtera beaucoup plus cher, mais c'est un autre problème.
Madame Pic, parler d'« économie de guerre » ne signifie évidemment pas que nous sommes en guerre. Nous essayons de garantir que si nous devions accélérer les cadences de production, notamment en cas de conflit de haute intensité, nous saurions changer les manières de faire et s'adapter. C'était l'objet de la réunion qui a eu lieu autour du ministre des Armées le 7 septembre dernier. Vous avez raison, des défis demeurent, et cinq chantiers ont été identifiés en concertation entre l'état-major des armées, la DGA et le Cidef, l'association qui réunit les groupements professionnels de l'industrie française de défense. En parallèle nous discutons évidemment avec les PME, car la difficulté est de donner de la visibilité aux sous-traitants de tous rangs Ces chantiers sont : la conduite des opérations d'armement ; la chaîne de sous-traitance et les stocks ; les ressources humaines ; la simplification des normes et des réglementations ; les vulnérabilités aux risques cyber et de sabotage.
Aujourd'hui, l'économie de guerre signifie être capable d'assurer la disponibilité des stocks de matières premières et de produits semi-finis – je distingue ces catégories car ce ne sont pas les mêmes acteurs qui vont financer cela. C'est aussi être capable d'augmenter des cadences de production. Nous multiplions les rendez-vous avec les industriels et leurs sous-traitants pour nous assurer que l'on ne va pas leur faire des demandes irréalistes compte tenu de la capacité de production et de la situation financière des sous-traitants. Nous y sommes extrêmement vigilants, et les grands maîtres d'œuvre industriels doivent être responsabilisés à ce sujet. De premières propositions concrètes commencent à nous parvenir. Le ministre a parlé des obus de 155 millimètres ou encore du canon Caesar. Produire des obus ou des canons Caesar suppose une chaîne de sous-traitance, et aussi des matériels clés qui doivent faire l'objet d'investissement.
Monsieur Larsonneur, nous nous posons toujours la question des achats sur étagère. Ainsi, pour les munitions de petit calibre, il existe pléthore d'offres européennes. Mais si j'achète une munition sur étagère aux Tchèques, par exemple, on me le reprochera parce que la munition n'est pas française… Un équilibre doit être trouvé au terme d'une réflexion que je vous livre : faut-il se doter uniquement de produits nationaux ou bien, pour de bonnes raisons, faire appel au marché parce que l'on accepte des dépendances librement consenties si elles ne menacent ni notre autonomie stratégique ni notre souveraineté ? Je suis tout à fait d'accord pour examiner la possibilité d'achats sur étagère, sachant que l'on s'expose en ce cas à acheter des produits qui ne sont pas fabriqués en France.
Vous m'avez interrogé sur l'articulation entre AID, DGA, AED, Hedi, Jedi et Diana. L'AID, service à compétence nationale, m'est directement rattachée. Elle est chargée d'éclairer l'avenir par des innovations de rupture pour empêcher le déclassement, de prospecter l'innovation civile pour l'adapter aux besoins militaires et d'accélérer sa mise en œuvre pour faire monter les opérationnels en compétence. Ce n'est pas chose facile : on ne peut simplement repérer une innovation civile et la transférer directement au monde militaire. L'AID est une sorte d'objet quantique en soi, à la fois à l'intérieur et à l'extérieur de la DGA ; je lui laisserai la liberté d'action qui lui permet d'exister entre la direction générale et les armées et d'être au service de l'ensemble du ministère.
Avec l'AED, nous travaillons notamment sur les programmes d'innovation qui demandent que l'on soit plusieurs : composants, matériaux, processeurs… L'Agence s'est dotée d'un Hub for EU Defence Innovation, dit Hedi, chargé de trouver le financement du programme Horizon. On s'emploie ainsi à créer un réseau d'innovation européen dont le point de contact français sera l'AID. Nous allons donc agir avec ceux qui le veulent. L'AED est l'opérateur permettant de faire des innovations en connectant ceux qui se portent volontaires.
Diana, initiative prise sur proposition britannique par l'Otan, vise à créer un accélérateur d'innovation de défense pour l'Atlantique Nord. Soit nous regardons passer le train, soit nous essayons de nous connecter. L'Otan nous apporte des opportunités pour alimenter la coopération avec nos alliés, nous sommes donc ouverts à étudier la possibilité d'ouvrir les portes de nos centres d'essais dans le cadre de certains projets.
Monsieur Chailloux, je n'étais pas à la manœuvre quand le système de drone tactique Patroller s'est crashé lors d'un vol d'essai, je précise un vol d'essai industriel. La DGA a repris la main. Je ne me substituerai pas au Bureau enquêtes accidents pour vous donner les causes de cet incident, que je ne connais pas. Depuis ce crash, de nombreux essais complémentaires ont eu lieu, réalisés avec une reprise en profondeur du concept du Patroller. L'accident a entraîné le retard de deux ans d'un programme dont nous avons besoin. On m'interroge régulièrement sur la simplification des normes, notamment pour la navigabilité. Je suis d'accord pour prendre des risques, aller plus vite, simplifier les normes pour pouvoir expérimenter davantage, mais il faut le faire en pleine acceptation des risques sur des terrains particuliers. Nous pouvons très vite autoriser le vol d'un drone au surplomb d'un terrain d'essai, mais cette décision doit être concertée entre l'autorité technique, la DGA, et l'autorité d'emploi, les armées. En résumé, la DGA a pris la main et la discussion relative à la simplification des normes pour les essais doit tenir compte de ce que l'on ne peut demander aux industriels de se substituer à la DGA pour réaliser seuls la qualification de systèmes qui sont ensuite employées par les armées françaises.
Nous prendrons en compte les conséquences de l'inflation par un report de charges ; le ministre s'est exprimé à ce sujet devant votre commission cet après-midi au Sénat.