Intervention de Emmanuel Chiva

Réunion du mardi 11 octobre 2022 à 21h30
Commission de la défense nationale et des forces armées

Emmanuel Chiva, directeur général pour l'armement :

Je suis heureux de me présenter devant vous pour la première fois en tant que délégué général pour l'armement. Je commenterai brièvement le projet de loi de finances (PLF) pour 2023 avant de vous parler de l'institution singulière qu'est la DGA et de la manière dont nous comptons la transformer.

Cette année encore, le budget se caractérise par l'exécution à l'euro près de la loi de programmation militaire (LPM) 2019-2025. Pour la DGA, cela va se concrétiser par un programme 146 en hausse de 900 millions d'euros, soit +6 % par rapport à la loi de finances initiale de 2022. Dix-sept milliards d'euros d'autorisations d'engagement – une augmentation de 111 % – sont alloués aux programmes à effet majeur, avec des avancées importantes au profit du Rafale, notamment le Rafale standard F4, des patrouilleurs maritimes du futur, du système de lutte anti-mines du futur (Slam-F), du porte-avions de nouvelle génération, de la défense sol-air et du système Scorpion. L'enveloppe des crédits de paiement est de 8,5 milliards d'euros environ.

Vous avez signalé mon tropisme pour l'innovation. Je me suis effectivement battu pendant des années pour développer cette ambition et je me félicite que le budget 2023 proposé pour le programme 144 soit porté à 1,25 milliard d'euros en autorisations d'engagement et à 1,16 milliard en crédits de paiement, continuité directe de la trajectoire croissante des dépenses en faveur de l'innovation prévue par la LPM. Des efforts particuliers auront lieu dans des domaines stratégiques de la cyberdéfense, de la défense nucléaire, radiologique, biologique et chimique (NRBC) et de la lutte anti-drones.

De manière générale, les crédits alloués à la dissuasion continuent d'augmenter, en particulier pour renouveler nos deux composantes, océanique et aéroportée. La montée en puissance se poursuit dans le domaine spatial, nouvel espace de conflictualité, avec un effort de 684 millions d'euros. Pour le domaine cyber, l'accélération continue avec une enveloppe de 270 millions d'euros en autorisations d'engagement pour les programmes à effet majeur et de 27 millions pour les projets d'innovation cyber. Sans dresser la liste exhaustive des livraisons prévues en 2023, je vous en donnerai quelques exemples emblématiques : 13 Rafale Air, 200 missiles moyenne portée et 38 postes de tir, un sous-marin nucléaire d'attaque – j'indique à ce sujet que la première divergence du réacteur nucléaire du Duguay-Trouin, c'est-à-dire l'enclenchement pour la première fois d'une réaction nucléaire maîtrisée, a eu lieu il y a deux semaines –, des avions ravitailleurs multirôles et un satellite de communication.

J'en viens à ma vision de l'avenir de la DGA. J'ai été nommé le 28 juillet dernier, avec fierté et humilité, à la tête d'une administration unique en son genre. On constate que dans les pays, même ceux qui ont une défense importante, qui n'ont pas de structure équivalente, les choses sont beaucoup plus complexes pour les armées. La DGA a permis à la France de se démarquer en équipant un modèle d'armée complet et en disposant d'une base industrielle et technologique de défense (BITD) parmi les plus solides du monde, qui associe 4 000 PME à une douzaine de grands maîtres d'œuvre industriels.

La DGA a pour missions d'équiper les armées de manière souveraine, de préparer le futur des systèmes de défense, de promouvoir la coopération, notamment européenne, et de soutenir les exportations, sans lesquelles une partie de notre BITD ne pourrait pas exister. Le soixantième anniversaire de la DGA a été célébré en 2021. Née de la vision qu'avait le général de Gaulle de la dissuasion, elle a permis à la France de se tenir au niveau des plus grandes puissances mondiales en matière de technicité et de diversité des équipements, de construction d'une autonomie stratégique crédible, d'une capacité d'innovation et de préparation de l'avenir, de performance en matière d'exportations. Elle a aussi soutenu l'activité d'une BITD souveraine, héritière des arsenaux. L'action de la DGA est renforcée par deux agences qui me sont directement rattachées : l'Agence du numérique de défense (AND) et l'AID. L'effectif de la DGA est de quelques 10 000 personnes réparties sur tout le territoire ; nous avons dix centres d'essais et quatorze sites, et je ne fais pas mystère de mon intention de poursuivre le développement de notre ancrage territorial, et d'en tirer tout le bénéfice possible.

La direction générale de l'armement, outil précieux, est régulièrement mis à disposition d'autres administrations. Il en a été ainsi au moment de réaliser des tests de conformité des masques anti-Covid ou de financer les projets de tests PCR rapides et des premiers autotests antigéniques.

Mais pour s'adapter aux évolutions en cours, la DGA doit se transformer. Je dis bien se transformer, non se réformer : on réforme un organisme qui ne fonctionne pas, on le transforme pour l'adapter au changement. Les évolutions sont multiples, qu'il s'agisse du contexte géostratégique et diplomatique, de l'accélération du rythme de l'innovation technologique et de sa démocratisation – certaines technologies qui étaient l'apanage de l'État, la communication sur les théâtres d'opérations par exemple, ne le sont plus, comme on le voit dans la bande sahélo-saharienne – ou encore du nivellement par l'émergence de nouvelles technologies. Le contexte économique se modifie aussi en raison de l'inflation et du renforcement économique de certains de nos compétiteurs. Enfin, la nécessaire transition énergétique nous oblige à relever des défis structurants sur le plan opérationnel. Nous devons donc nous transformer pour gagner en adaptabilité et fournir à nos forces des systèmes performants. C'est le mandat qui m'a été confié, et je dois intégrer de multiples enjeux : ceux de l'économie de guerre, de l'élaboration de la nouvelle LPM, du soutien à nos alliés et de la conduite nominale des activités de la DGA. Cette prise de poste a donc lieu dans un contexte assez dense.

Je le redis, la DGA fonctionne. Ses soixante ans d'histoire sont marqués par ses succès, de la dissuasion à Scorpion en passant par les programmes spatiaux. La maison est solide, mais elle doit évidemment travailler à sa transformation, avec l'industrie aussi. Une première manifestation de cette transformation est la nomination à mes côtés d'un directeur général adjoint, l'ingénieur général de classe exceptionnelle de l'armement Thierry Carlier, ancien directeur du développement international de la DGA, qui se consacrera plus particulièrement au pilotage opérationnel.

Je souhaite une DGA experte et agile, au service de la politique de la défense et de la nation, adaptable, actrice d'une France unie et résiliente, moteur de notre autonomie stratégique nationale et européenne, œuvrant au bénéfice de notre système de défense. Pour cela, la direction générale de l'armement doit pouvoir assurer la réponse adaptée aux besoins des armées dans les délais requis et avec des coûts maîtrisés – et chaque mot de cette phrase compte. Aussi, je souhaite voir s'accroître la surface d'échange entre la DGA et les armées, pour continuer à gagner en compréhension réciproque. .

Pour accroître la porosité entre la DGA et les forces, je souhaite promouvoir des parcours d'immersion du personnel dans les armées. Je veux aussi renforcer les démarches incrémentales et mieux analyser l'articulation coût-délai-performance de chaque programme. Cette analyse de la valeur fournie se fait naturellement dans le monde industriel et civil ; nous souhaitons la remettre au premier plan.

La DGA doit aussi avoir une capacité d'anticipation stratégique propre à éclairer l'avenir, pouvoir se projeter dans le temps et dans l'économie future. Le service des affaires industrielles et de l'intelligence économique (S2IE) est chargé de cartographier et de suivre les entreprises stratégiques ou critiques pour notre BITD. Ce service peut faire beaucoup plus, et je souhaite que l'on étudie les leviers non exploités Je souhaite aussi renouer, sous une forme revue et corrigée, le principe de certaines pratiques passées comme celle du PP30 (plan prospectif à 30 ans) qui avait le mérite de nous pousser à nous projeter vers l'avenir . Á ce sujet, je vous ai parlé il y a un an de la Red Team, composée de scénaristes de science-fiction travaillant avec des experts scientifiques et militaires sur des scenarii prospectifs à long terme.

La DGA doit aussi garantir l'expertise technique nécessaire à l'équipement de nos forces et à leur préparation opérationnelle jusqu'au combat de haute intensité – c'est le cœur de sa mission. Elle doit également faire tous les efforts nécessaires pour le succès de nos partenariats internationaux. Il nous faut déterminer ce que nous devons faire seuls et ce que nous devons faire en coopération, quelles alternatives envisager, comment diversifier nos canaux de coopération, et contribuer à la consolidation de l'industrie européenne pour peser face à la concurrence. Pour faire tout cela, nous devons être en mesure d'attirer les talents, notamment dans les jeunes générations. La DGA s'apparente à une entreprise de 10 000 personnes qui serait en concurrence avec les start-ups, les PME et les grands maîtres d'œuvre de l'écosystème de l'innovation. Comment attirer à nous les jeunes gens sinon en ouvrant portes et fenêtres, puisque nous avons peu de chances de les intéresser et de les fidéliser s'ils ne nous connaissent pas ? Nous y travaillons. Nous voulons assouplir nos modes de recrutement, modifier notre politique de ressources humaines pour passer d'une logique de stock à une logique de flux et attirer des personnels aux parcours diversifiés qui enrichiront la culture de la DGA

Je vois la militarité de la DGA, singularité de cette maison, comme un facteur d'attractivité. Les ingénieurs de l'armement et les ingénieurs des études et techniques de l'armement sont des militaires et doivent le rester ; ce statut participe de leur légitimité vis-à-vis des forces, renforce leur proximité avec elles et contribue à la fierté d'appartenance. J'ai moi-même présidé des cérémonies militaires et participé à plusieurs d'entre elles – la dernière fois ce matin. Je sens une adhésion des personnels au renforcement de cette militarité. Il peut paraître paradoxal qu'un civil dise sa forte conviction à ce sujet, mais je juge cet élément essentiel.

Faire autrement, cela vaut aussi pour les méthodes d'acquisition des équipements. Il ne s'agit pas que d'économie de guerre, mais des chantiers que nous avons lancés pour améliorer notre souveraineté en matière d'approvisionnement, en cherchant aussi à accélérer le rythme de transformation de nos pratiques. Nous travaillons beaucoup à simplifier et alléger les normes, à simplifier le besoin et à mieux tirer parti de l'innovation civile. Pour moi, l'innovation, fil rouge de ma carrière, c'est la préparation du futur et pour cette raison un enjeu stratégique. L'urgence de la nécessaire réponse aux crises de l'heure ne doit pas nous empêcher de préparer l'avenir. C'est pourquoi la poursuite de nos efforts dans le domaine de l'innovation est indispensable.

La trajectoire prévue dans la LPM 2019-2025 a permis que notre budget, qui lui est consacré, passe de 730 millions d'euros en 2018 à un milliard en 2022. Nous devons maintenir cet effort, anticiper l'évolution des menaces, éviter le déclassement. Je vous assure aussi de ma volonté de rester pendant toute la durée de mon mandat à la disposition de la représentation nationale pour répondre à vos questions ; dans la limite du respect du XXXX, nous avons un rôle à jouer dans la transparence et l'explication, qui participent de l'ouverture que je souhaite.

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