Deux millions de jeunes gens sont inscrits au pass culture ; ce nombre colossal me permet de dire que c'est un succès. En face, l'offre existe bel et bien : 13 000 acteurs culturels sont également inscrits, ce qui permet à ces deux millions de jeunes gens de découvrir près de chez eux des librairies, des musées, des cinémas, des théâtres, des salles de concerts, des festivals.
Le nouveau pass culture opère une jonction avec l'éducation artistique et culturelle dès le collège. C'est en quelque sorte l'équivalent de la conduite accompagnée avant le permis de conduire : avant de disposer de 300 euros à dépenser comme ils le souhaitent, les adolescents accompagnés par des enseignants sont sensibilisés à l'art et ouverts à des expériences qu'ils n'auraient peut-être pas pu mener autrement. À ce stade, je l'ai dit, arrivent en tête le spectacle vivant et le cinéma. Cela montre que les enseignants se mobilisent et que les acteurs culturels travaillent avec le monde éducatif pour préparer des projets et les sorties correspondantes. Nous voulons même aller plus loin en milieu rural, en examinant la question des transports, fréquemment évoquée par les collectivités et les établissements scolaires. Nous étudions comment grouper dans certains cas une proposition de spectacle, de concert ou de film avec une aide aux transports, voire l'organisation d'un transport.
Le pass culture n'est pas qu'un bon d'achat de places ou d'abonnement ; il permet des expériences et des parcours. De plus en plus, le pass culture éditorialiste ces propositions, et mobilise des jeunes ambassadeurs très investis. J'ai rencontré plusieurs d'entre eux à Cannes : venus de Lille et de Roubaix, ils ont pendant deux jours vu des films, rencontré des artistes et vécu le festival bien au-delà d'une simple séance de cinéma. C'était aussi le cas à Avignon l'année dernière : des jeunes, grâce au pass culture, ont rencontré Tiago Rodrigues, le nouveau directeur du festival, vécu les coulisses de La Cerisaie qu'il a mise en scène dans la cour d'honneur du Palais des papes, visité ce palais lors de la préparation technique du spectacle, échangé avec les artistes… Cette expérience marquante leur donnera envie d'aller au théâtre. Le pass culture n'est pas seulement un billet d'entrée au théâtre, j'y insiste, comme j'ai insisté sur le volet « développement des pratiques ».
De plus, notre politique dirigé vers les jeunes ne se limite pas au pass culture. Ainsi avons-nous lancé dans l'urgence « L'Été culturel » pendant la crise sanitaire en 2020, une expérience que nous avons ensuite reconduite. Il n'est pas vrai que les DRAC ne soutiennent que les gros établissements et les gros festivals : l'Été culturel a été l'occasion de soutenir plus de 8 000 projets qui ont touché plus d'un million de personnes, notamment des jeunes gens des quartiers en politique de la ville ou du milieu rural, et de créer des projets partout en France, et les DRAC ont pour rôle de continuer à le faire.
J'ai évoqué avec vos collègues sénateurs la création d'un fonds d'innovation territoriale avec les collectivités pour expérimenter des projets nouveaux, singulièrement dans les communes de petite et de moyenne taille. Notre politique de soutien aux bibliothèques s'est traduite lors du précédent quinquennat par l'extension des horaires d'ouverture, notamment dans les communes de moins de 100 000 habitants. Notre priorité absolue est la proximité, comme le montre aussi notre programme de développement des micro-folies. Nous en avons créé plus de 200. Elles suscitent l'engouement des maires : je ne pense pas que nous recevrions de leur part des demandes si nombreuses si cela ne correspondait pas aux attentes des citoyens. Ce programme ne cesse de se développer, là encore dans de petites villes et des communes de banlieue, telles Nevers ou Sevran.
Le financement de la politique culturelle repose pour les deux tiers sur les collectivités territoriales. L'État ne peut rien faire seul et c'est main dans la main que nous pouvons mettre en œuvre l'éducation artistique, la préservation du patrimoine, la mise en avant des métiers d'art. Nous avons amélioré le dialogue avec les collectivités grâce à des cercles de concertation et des comités locaux ; nous le renforcerons encore.
Nous devons agir sur l'espace numérique et sur le monde physique. La création française se doit d'être présente dans l'espace numérique, sinon n'y seront diffusées que des productions américaines ou chinoises. C'est à quoi nous nous sommes employés par les décrets relatifs aux services de media audiovisuels à la demande. La directive SMA que la France a portée au niveau européen et transposée très vite oblige les plateformes Netflix, Amazon, Disney et les autres à financer la création audiovisuelle et cinématographique française et européenne à hauteur de 20 % au minimum de leur chiffre d'affaires. C'est un succès historique pour l'Europe ; en France, je le tiens pour aussi important que la création du Centre national du cinéma après la Seconde Guerre mondiale. Si, quand on ouvre Netflix, on peut voir des séries et des films français, c'est grâce à la directive SMA, dont l'application rapportera plus de 300 millions d'euros par an à la création française.
Nous devons continuer d'investir le champ numérique sans perdre de vue pour autant vue la culture « en chair et en os ». Nos créateurs doivent pouvoir continuer de créer, partout sur notre territoire. C'est l'objet de la commande inédite Mondes nouveaux, programme de soutien à la conception et à la réalisation de projets artistiques dans des sites du patrimoine architectural, historique et naturel relevant du Centre des monuments nationaux ou du Conservatoire du littoral, et en d'autres types de lieux : un EHPAD, une université, une place publique, une école… L'annonce par le président de la République de l'acte II de cette commande publique exceptionnelle garantit que nous continuerons à soutenir la création physique et vivante dans les territoires.
Plusieurs interventions ont porté sur le financement de l'audiovisuel public. Le président de la République ayant proposé la suppression de la redevance dès le début de sa campagne de candidat à la présidence, je ne vois pas qu'il s'agisse d'une décision prise en catimini au cours des quinze derniers jours. Un débat public intense a lieu depuis plusieurs mois à ce sujet, et il ne fait que commencer au Parlement, où il se poursuivra pendant de longues semaines encore. C'est une très bonne chose, car l'attention de tous est ainsi appelée sur l'importance de l'audiovisuel public et de la qualité de l'information pour lutter contre les fausses informations et les bulles complotistes qui prolifèrent. Aussi bien, l'audiovisuel public porte la création française et il a une stratégie numérique forte pour s'adresser aux nouvelles générations puisque, effectivement, les postes de télévision tendent à disparaître des foyers.
Le rapport des inspections indépendantes des affaires culturelles et des finances qui vient de m'être remis sera publié dans les deux jours, je m'y engage. Vous y trouverez matière à réflexion, et ce sera une utile contribution à vos débats.
Je pense avoir été assez claire : la fin d'un canal de financement ne signifie pas la fin d'un budget mais son remplacement par un budget équivalent. Dans le texte qui vous est soumis figurent toutes les compensations, effets fiscaux compris. Vous m'avez interrogée sur l'avis rendu par le Conseil d'État. Effectivement, l'absence de régulation infra-annuelle initialement prévue n'est pas possible au regard de la LOLF et c'est pourquoi nous proposons le versement de la totalité des ressources en début d'année.
Nous avons travaillé et sur l'hypothèse de création d'une Autorité supérieure évoquée dans le rapport des sénateurs et sur une autre, consistant à s'appuyer sur l'ARCOM. Plusieurs visions existent de la manière de garantir davantage encore l'indépendance de l'audiovisuel public. Place, donc, au débat entre vous pour déterminer ce qui, de votre point de vue, est le plus protecteur, mais c'est déjà la mission cardinale de l'ARCOM, régulateur garant de l'indépendance de l'audiovisuel public. La loi de 1986 prévoit qu'il est obligatoirement consulté sur les contrats d'objectifs et de moyens et qu'il donne un avis rétrospectif sur leur exécution. Elle prévoit également qu'il peut être saisi par le Gouvernement, le président de l'Assemblée nationale, le président du Sénat ou les commissions compétentes des deux chambres de demande d'avis ou d'études pour l'ensemble des activités relevant de sa compétence. Telles sont les garanties existantes et elles semblent suffisantes. Je l'ai dit, place au débat, et toute amélioration du texte est la bienvenue. Cela étant, j'ai été alertée sur le fait que si l'ARCOM est en mesure de garantir tout ce que nous souhaitons garantir, il n'est peut-être pas nécessaire de créer une nouvelle autorité administrative indépendante ; j'en ai tenu compte dans le texte qui vous est soumis.