Je suis heureuse et émue de me trouver devant vous et je vous adresse à toutes et à tous mes félicitations républicaines pour votre élection. Nous sommes dans une situation politique, économique et géopolitique particulière, mais je reste persuadée que la culture peut nous rassembler au-delà de nos divergences. Votre commission l'a démontré plusieurs fois au cours de la dernière législature : qu'il s'agisse des restitutions de biens culturels au Bénin et au Sénégal, des restitutions de biens spoliés ou de la politique en faveur du livre ou des bibliothèques, l'unanimité a été possible et vous avez marqué l'Histoire.
Les débats relatifs au projet de loi audiovisuelle ont été très riches. Vous n'avez pas toujours été d'accord mais nous avons, ensemble, permis des évolutions majeures. La meilleure protection des créateurs, une lutte renforcée contre le piratage, la création de l'Autorité de régulation de la communication audiovisuelle et numérique (ARCOM), nouveau régulateur aux compétences étendues, mais aussi la protection du patrimoine audiovisuel et cinématographique français en cas de volonté de rachat des catalogues par des acteurs étrangers : vous avez rendu possibles ces évolutions historiques pour la défense de notre souveraineté culturelle. J'ai donc pleine confiance en la qualité des travaux que vous allez mener et dans votre capacité à vous rassembler sur l'essentiel quand il s'agit de culture.
Malmené par la pandémie pendant deux années, le monde de la culture connaît un moment particulier. La reprise est là, mais elle est timide. La fréquentation est encore de 25 % en moyenne inférieure à celle de 2019 ; la jeunesse, notamment, tend à se détourner des sorties culturelles, passant plus de trois heures par jour devant les petits écrans.
La révolution numérique bouscule depuis plus de vingt ans le modèle culturel français et la crise sanitaire a accéléré les mutations. Cela doit nous amener à affirmer la place de la création, de la langue et de l'innovation françaises et dans le monde physique – je reviendrai à ce sujet sur la commande artistique Mondes nouveaux, qui aura une suite – et dans le monde numérique, avec le levier du plan France 2030, très ambitieux à ce sujet.
Jeunesse, souveraineté, diversité culturelle : tel sera le fil rouge de l'action que je souhaite mener au cours des prochaines années. Je vous en présenterai les grandes lignes en me concentrant sur les cinq chantiers principaux que sont l'enfance et la jeunesse, l'accès à l'information, les industries culturelles et créatives, le patrimoine et l'apaisement des mémoires.
Le pass culture est l'un des principaux outils de la politique menée en direction de la jeunesse. C'est le moyen d'amplifier une politique d'éducation artistique qui me tient à cœur et que le ministre de l'Éducation nationale et moi-même développerons main dans la main, dans le domaine de la musique, comme nous l'avons fait pendant le précédent quinquennat avec La Rentrée en musique, le plan Chorale et les orchestres à l'école, mais aussi dans les domaines du spectacle, de l'expression orale, du théâtre. S'agissant de l'éducation au patrimoine, nous avons constaté l'engouement des enfants et des jeunes lors de l'opération « Levez les yeux ». Nous avons cherché à développer « le quart d'heure lecture » pour inciter élèves et collégiens à lire pour le plaisir et non seulement par obligation scolaire.
Le pass culture, qui favorise l'accès aux cinémas, va être étendu aux collèges à partir de la classe de quatrième. Une expérimentation est en cours, avec une part collective gérée par les professeurs et, à partir de la classe de seconde, une part individuelle laissée au libre choix des adolescents. Les sorties culturelles organisées dans ce cadre par les professeurs se multiplient ; en premier vient le spectacle vivant, en deuxième, le cinéma. Il existe donc là un réel potentiel de contribution à la reprise de la fréquentation des lieux culturels à court terme comme à plus long terme : sensibiliser ainsi la jeunesse, c'est lui redonner envie de culture « en chair et en os », pas uniquement de culture numérique par le biais des écrans.
Une de mes priorités sera la pratique artistique des jeunes, pour que l'accès à la culture ne se résume pas pour eux à assister à des spectacles, des concerts ou des films mais qu'ils pratiquent aussi le dessin, la photo, la musique, le théâtre. Plus ils pratiqueront les arts, plus ils fréquenteront ensuite les lieux culturels. Le pass culture va donc devenir un espace d'expériences pour tester des cours et mettre au point des projets collectifs dans tous les domaines de la culture, et nous allons inaugurer à Guingamp l'Institut national supérieur de l'éducation artistique et culturelle, centre de formation et de ressources pour tous les enseignants, médiateurs, artistes et tous ceux qui souhaitent mieux transmettre l'amour de l'art et de la culture.
Le deuxième chantier du ministère concerne le droit des citoyens à une information fiable, libre, pluraliste et indépendante. Le président de la République a annoncé la tenue d'états généraux du droit à l'information. Notre ministère ne sera pas le seul impliqué dans leur organisation, puisque le sujet comporte un volet éducatif – l'éducation aux media, essentielle – et international – la lutte contre les ingérences étrangères. Les parlementaires seront évidemment associés aux débats, qui porteront aussi sur la synergie dans l'audiovisuel public, la régulation au regard des dérives qui peuvent résulter de la concentration dans les médias, la protection des journalistes, la liberté de la presse et la liberté d'expression, sans oublier ni les photographes ni les dessinateurs de presse. Je mentionne au passage la réalisation d'un projet qui tenait à cœur au regretté Georges Wolinski : l'ouverture à Paris de la Maison européenne du dessin de presse et du dessin satirique. Les états généraux devraient commencer en novembre prochain et nous réfléchirons aux évolutions législatives qui pourraient résulter des débats. Faudra-t-il réviser la loi de 1986 relative à la liberté de communication ? Faudra-t-il élaborer un nouveau projet de loi audiovisuelle ? Ces états généraux permettront d'ouvrir le débat avec l'ensemble des parties prenantes et avec un cercle, le plus large possible, de citoyens et d'associations.
Le troisième chantier sera le renforcement de nos industries culturelles et créatives pour défendre notre souveraineté culturelle. Le plan France 2030 comporte un volet très ambitieux pour nos industries de l'image, du cinéma, du son et du jeu vidéo. Nous l'avons défini en trois axes. Le premier concerne le renforcement de nos infrastructures de production, les studios de tournage, les studios d'effets visuels et studios de post-production ; trois zones prioritaires – l'Île-de-France, les Hauts-de-France et la région Sud – sont déterminées mais d'autres régions pourront évidemment être aussi concernées si des projets forts sont présentés. Le deuxième axe est celui de la formation, car il est vital de développer nos talents créatifs et techniques. Le troisième axe a trait à l'innovation et aux nouvelles technologies : comment soutenir nos entreprises qui poussent les frontières du numérique ? La créativité française est très forte en matière d'expériences immersives et d'expériences virtuelles. Pour permettre que la French Touch s'exprime avec toute sa créativité, il nous faut impérativement traiter du Métavers sous son angle juridique car de très nombreuses questions se poseront sur les droits des artistes et des créateurs, leur rémunération et le volet industriel et technologique.
Notre quatrième chantier est la protection du patrimoine, le patrimoine emblématique comme le patrimoine de proximité même quand il n'est ni classé ni inscrit au titre des monuments historiques. C'est l'objet du Loto du patrimoine, opération que nous allons poursuivre avec son énergique ambassadeur Stéphane Bern. Cette mission permet, au-delà de l'important budget récolté, de fédérer les citoyens autour du patrimoine de proximité. Je porterai une attention particulière aux dossiers des territoires d'outre-mer. Pour ce qui est du patrimoine emblématique, je me dois d'évoquer Villers-Cotterêts, le chantier phare que le président de la République nous a demandé de mener. Ce château de François 1er, laissé à l'abandon, était extrêmement dégradé. Le chantier avance vite et nous espérons l'ouverture au public, au printemps 2023, en ce château rénové, de la Cité internationale de la langue française, lieu vivant où l'on pourra voir des spectacles et des films et où seront hébergés des artistes en résidence, lieu de débats aussi, qui accueillera des associations et des entreprises qui se consacrent au développement des technologies de la langue.
Qui dit « patrimoine » dit aussi métiers du patrimoine ; je veux lancer un grand plan pour les métiers d'art pour susciter des vocations dans les jeunes générations. Les métiers de la main sont des métiers d'avenir et de sens ; il nous faut préserver et transmettre ces savoir-faire d'excellence qui font aussi la richesse de nos territoires. Enfin, nous devons penser le patrimoine à l'aune de la transition écologique et pour cela concilier au mieux le développement des énergies durables et la protection du patrimoine et des paysages. Qu'il s'agisse d'éoliennes, de panneaux solaires ou d'isolation thermique, il nous faut définir un cadre de dialogue avec les collectivités et toutes les parties prenantes pour susciter une concertation apaisée et des solutions au cas par cas respectant à la fois nos engagements écologiques et la protection du patrimoine et de nos paysages.
Le cinquième chantier porte sur le rôle que peut jouer la culture dans « l'apaisement des mémoires », terme que j'emprunte au président de la République. Regarder l'histoire en face, s'appuyer sur les travaux des historiens et des chercheurs, se placer à l'écoute des jeunes générations afin de construire une mémoire républicaine partagée, telle est l'approche privilégiée par le président de la République depuis 2017 et dans laquelle je souhaite inscrire encore plus fortement l'action du ministère de la Culture. Au cours de la dernière législature, les cérémonies de panthéonisation de Maurice Genevoix, Simone Veil et Joséphine Baker ont été des moments marquants et fédérateurs pour notre nation. J'ai fait état du projet de loi relatif à la restitution ou la remise de certains biens culturels aux ayants droit de leurs propriétaires victimes de persécutions antisémites, et des restitutions d'œuvres du patrimoine africain au Bénin et au Sénégal. Je mentionnerai aussi l'ouverture anticipée des archives relatives à la guerre d'Algérie et au Rwanda, et la restitution de vingt-quatre crânes de résistants algériens.
Une nouvelle phase est possible et je souhaite réfléchir avec vous à un projet de loi-cadre pour établir une doctrine, élaborer des critères et une méthodologie permettant de progresser en matière de restitutions, qu'il s'agisse des biens spoliés ou du patrimoine africain, deux sujets différents. Je souhaite aussi la création d'un fonds de soutien aux recherches de provenance, auquel seront associés certains de nos voisins européens, pour mieux connaître l'origine des œuvres de nos collections.
Concernant les mémoires plurielles de la guerre d'Algérie, le ministère de la Culture va s'atteler à la réalisation du projet de création de l'Institut de la France et de l'Algérie qui figure au nombre des recommandations du rapport de Benjamin Stora. Il pourrait se concrétiser à Montpellier. Vous le constatez, la politique envisagée n'est ni dans le déni ni dans la repentance, c'est bien une politique de reconnaissance.
Je ne saurais conclure ce propos liminaire sans dire un mot du projet de loi de finances rectificative et de la fin de la contribution à l'audiovisuel public. Il s'agit, je le redis, d'une mesure de pouvoir d'achat – si, monsieur Corbière –, qui bénéficiera à 23 millions de Français. La redevance était un impôt à bout de souffle, adossé qu'il était à une taxe d'habitation en voie de disparition et portant sur des téléviseurs dont le nombre baisse fortement au bénéfice des smartphones, tablettes et ordinateurs.
J'ai entendu les craintes exprimées au sujet de l'indépendance de l'audiovisuel public, mais cette indépendance, déjà pleinement assurée, le demeurera. Ce n'est pas la redevance qui en est la garante, mais le fait que les dirigeants de l'audiovisuel public ne soient pas nommés par le Gouvernement mais par l'ARCOM, régulateur indépendant, et que les contrats d'objectifs et de moyens des entreprises publiques considérées soient soumis pour avis aux commissions parlementaires compétentes et à l'ARCOM. La redevance constituait certes une partie importante de leur budget, mais elle ne suffisait pas, si bien que, chaque année, l'État devait ajouter en moyenne 600 millions d'euros ; les dotations budgétaires directes ont donc toujours existé. Surtout, le Gouvernement n'a aucun moyen d'interférer dans les décisions éditoriales de l'audiovisuel public. Il ne l'a jamais fait, n'a aucunement l'intention de le faire, ne le fera pas, et l'indépendance éditoriale sera totalement préservée.
Les garanties de financement de l'audiovisuel public sont là : la compensation à l'euro près des effets fiscaux induits par le nouveau mode de financement est prévue, ainsi que le versement du montant total des ressources en une fois, en début d'année, pour éviter tout risque de régulation infra-annuelle. La transparence sera maintenue, avec un programme budgétaire par entreprise comme c'est le cas actuellement et une visibilité pluriannuelle accrue par l'inscription d'une trajectoire dans la loi de programmation des finances publiques.
Je ne doute pas que le Parlement mènera un débat constructif à partir de ce texte. Vous pourrez compter sur votre rapporteure pour avis, qui connaît parfaitement les enjeux. Le Gouvernement a clairement posé les principes auxquels nous sommes attachés : redonner du pouvoir d'achat aux Français tout en assurant un financement pérenne à l'audiovisuel public, dans le respect total du pluralisme et de l'indépendance des media.