Publié le 9 juillet 2022 par : M. Colombani, M. Serva.
Dans un délai de trois mois à compter de la promulgation de la présente loi, le Gouvernement remet au Parlement un rapport évaluant l’opportunité de réglementer les prix des carburants dans la Collectivité de Corse.
Cet amendement vise à répondre rapidement à la situation grave d’inflation du prix des carburants en Corse, qui fait peser une pression économique insoutenable sur les ménages corses. Le présent texte doit tenir compte des spécificités de la Corse telles qu’énoncés par la Conférence Sociale pour le respect des droits fondamentaux des citoyens de Corse dans le domaine économique et social qui s’est tenue le 23 mai 2022 à Bastia, à savoir :
- Un coût coût de la vie courante supérieure dans toutes ses composantes (produits de consommation courante, carburants, logement) aux autres territoires. Le produit intérieur brut (PIB) de la Corse s’élève à 9,4 milliards d’€. Le PIB par habitant (27 780 €) est inférieur de 8 % à la moyenne des régions de métropole hors Île-de-France. Le PIB par emploi (72 210 €) figure également parmi les plus faibles des régions métropolitaines. Le salaire moyen s’établit à 2 346 € brut, identifié comme le plus bas de France métropolitaine avec un différentiel de - 440 €.
- Un taux de précarité supérieur à toutes les régions du continent, associé à un niveau de salaire moins élevé et à un niveau moyen des pensions de retraite en-deçà de la moyenne nationale. 18,5 % des ménages vivent sous le seuil de pauvreté, soit le taux le plus élevé de métropole. La moitié des personnes en Corse ont un niveau de vie annuel inférieur à 20 670 €, contre 21 650 € au niveau national. Selon l’Insee, le niveau de vie médian des personnes en situation de précarité s’élève à 855 € par mois en Corse. Cela signifie que la moitié des personnes pauvres a un niveau de vie plus bas que cette somme, soit 19,6 % de moins que le seuil de pauvreté établi à 1 063 €.
- Un différentiel de 3,6 % entre les prix pratiqués en Corse et ceux de province au détriment du consommateur insulaire (une mise à jour de l’enquête en cours est à paraître en avril 2023). Des disparités étaient cependant constatées selon les postes de dépense. Notamment, celui des biens et services liés à la personne apparaissait plus cher en Corse (+ 8,9 %) ainsi que celui de l’alimentaire (+ 8,7 %) sachant que ce dernier représente environ 15 % des dépenses des ménages.
La Corse est donc un territoire où les prix sont plus élevés que la moyenne nationale, quand elle est en même temps la région la plus pauvre de France métropolitaine.
En ce qui concerne la cherté des carburants, en Corse, l’utilisation plus fréquente de la voiture conjuguée à des temps d’accès souvent plus long a un impact sur le budget de la plupart des foyers. En 2008, 28 % des ménages étaient considérés en situation de vulnérabilité énergétique liée aux déplacements (dépenses de carburants), proportion la plus élevée de France (10,2 %). Sont davantage impactés les ménages composés d’actifs en emploi résidant hors des aires urbaines.
Or les prix pratiqués pour les carburants sont largement supérieurs à ceux de la France métropolitaine.
Depuis le mois de mai 2020, les prix des carburants suivent globalement une tendance haussière. En octobre 2021, cette progression s’accélère sous l’effet d’un rebond du prix du baril de pétrole et d’une offre toujours limitée de certains pays producteurs avec des progressions annuelles proches voire supérieures à 20 %. Cette flambée est plus marquée pour le gazole. Au mois de mars 2022, le conflit en Ukraine affole la cotation sur laquelle reposent les prix d’achat auprès des fournisseurs européens et la reprise post-covid engendre une nouvelle flambée du prix du baril de pétrole ce qui a pour effet d’accentuer cette tendance. Les prix atteignent à cette période des valeurs historiques dépassant la valeur symbolique de 2 € par litre. Par ailleurs, le gazole étant en grande partie importé de Russie, son prix a grimpé en flèche pour dépasser celui du SP95 traditionnellement plus élevé.
À compter du 1er avril 2022, une remise financée par l’État est entrée en vigueur pour une durée de quatre mois, occasionnant immédiatement une baisse des prix à la pompe. En moyenne, après être repassés sous la barre des 2 € / l, la tendance haussière atteint aujourd’hui un niveau oscillant entre 2,18 et 2,22 €/l. Le coût des carburants pour le consommateur corse reste significativement supérieur à celui de l’an passé et plus particulièrement celui du gazole qui accuse une inflation de près de 30 % (+ 13,7 % pour le SP95 ; + 27,2 % pour le gazole).
Comparativement aux valeurs moyennes relevées sur le continent, les prix sont supérieurs en Corse avec des écarts de l’ordre de 9 à 12 centimes par litre pour le SP95 et le gazole.
De plus, l’Autorité de la concurrence, dans son avis 20-A-11 en date du 17 novembre 2020, note que « Sur le plan concurrentiel, le secteur est par ailleurs très concentré : à l’aval, la vente au détail dans les stations-service se caractérise par un oligopole de trois réseaux de distribution : chacune des 133 stations-service de l’île est rattachée à l’un d’entre eux. Cette situation risque de perdurer, l’entrée de nouveaux concurrents étant soumise à des barrières à l’entrée importantes. En effet, d’une part, le développement de stations-service exploitées par les GMS ou de stations-service discount se heurte aux réticences des entreprises et des pouvoirs publics face au développement de ce mode de distribution en Corse.
D’autre part, à l’amont, les dépôts pétroliers sont contrôlés exclusivement par une entreprise verticalement intégrée. Celle-ci bénéficie d’un monopole de fait sur l’approvisionnement et le stockage des carburants en Corse et contrôle une « infrastructure essentielle » : ses dépôts sont un point de passage obligatoire à toute activité de distribution de carburant en Corse. L’organisation actuelle de l’approvisionnement des carburants en Corse ne permet pas à un simple usager (s’il n’est pas actionnaire des dépôts pétroliers par ailleurs) de s’approvisionner directement auprès des fournisseurs de son choix. Ces spécificités constituent une barrière à l’entrée sur le marché pour tout nouvel acteur souhaitant s’approvisionner auprès de ses propres fournisseurs de produits pétroliers raffinés pour les distribuer en Corse. »
Dès lors, une telle situation de monopole implique la nécessité pour le Gouvernement de pratique une régulation des prix, conformément à l’article 410‑2 du Code du commerce, qui dit que « dans les secteurs ou les zones où la concurrence par les prix est limitée en raison soit de situations de monopole ou de difficultés durables d’approvisionnement, soit de dispositions législatives ou réglementaires, un décret en Conseil d’État peut réglementer les prix après consultation de l’Autorité de la concurrence. »
De même, conformément à la demande formulée par l’Assemblée de Corse, le Gouvernement pourra envisager la mise en œuvre d’un cadre législatif et réglementaire adapté aux contraintes et besoins spécifiques de la Corse, territoire insulaire, en matière de contrôle des situations de monopole et des seuils de concentration, de fixation du prix des carburants, et de fiscalité, s’inspirant notamment des articles L. 410‑2, L. 410‑3 et 752‑27 du code de commerce, tels que visés dans le rapport de l’Autorité de la Concurrence du 20 novembre 2020, ainsi que des décrets LUREL.
Enfin, il apparait essentiel que le Gouvernement procède à une étude sur le prix du carburant en Corse qui concerne l’intégralité des segments de la chaine et même allant au-delà de la seule distribution insulaire, impliquant de fait d’élargir le périmètre d’instruction aux phases en amont de lalivraison aux distributeurs (achat aux producteurs, stockage au sein des dépôts pétroliers du continent, acheminement en Corse et stockage local), et ce afin d’éviter que les acteurs bénéficiant d’une situation de monopole ne se contentent de décaler leurs surmages en aval des segments réglementés afin de contourner les mesures de régulation des prix des carburants.
Tel est l’objet de cet amendement.
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