Publié le 29 juin 2023 par : M. Thiériot, M. Vincendet, M. Meyer Habib, Mme Anthoine, Mme Corneloup.
Section 3
Transparence de la Justice
Article XXX
Le titre Ier du code de procédure pénale est ainsi modifié :
1° L’article 30 est complété par un alinéa ainsi rédigé :
« Le ministre en charge de la justice publie également chaque année un rapport chiffré comportant des données relatives à l’ensemble des décisions prises par les procureurs de la République sur le fondement de l’article 40‑1 et exposant les motivations juridiques et d’opportunité qui les justifient. Ce rapport est transmis au Parlement. Il peut donner lieu à un débat à l’Assemblée nationale et au Sénat. »
2° L’article 40‑1 est complété par trois alinéas ainsi rédigés :
« Les décisions sont mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique, juridiction par juridiction.
« Doivent être indiquées les raisons juridiques et d’opportunité qui justifient la décision.
« Les nom et prénoms des personnes physiques mentionnées dans la décision, lorsqu’elles sont parties ou tiers, sont occultés préalablement à la mise à la disposition du public. Lorsque sa divulgation est de nature à porter atteinte à la sécurité ou au respect de la vie privée de ces personnes ou de leur entourage, est également occulté tout élément permettant d’identifier les parties, les tiers, les magistrats et les membres du greffe. »
3° L’article 40‑2 est ainsi modifié :
1° À la fin du premier alinéa, les mots : « des poursuites ou des mesures alternatives aux poursuites qui ont été décidées à la suite de leur plainte ou de leur signalement » sont remplacés par les mots : « de la décision d’engagement des poursuites, de mesures alternatives aux poursuites ou de classement sans suite de la procédure qui a été prise à la suite de leur plainte ou de leur signalement » ;
2° Le premier alinéa est complété par une phrase ainsi rédigée : « En tous les cas, il est tenu d’indiquer les raisons juridiques ou d’opportunité qui justifient sa décision. »
Dans la lutte qui s’impose à nous contre l’ « ensauvagement » de la société selon le terme du ministre de l’Intérieur ou contre la « banalisation de la violence » en langage élyséen, la Justice est sans aucun doute le maillon faible de notre politique pénale.
Chacun peut en effet aisément le comprendre : rien ne sert de donner plus de moyens à la police pour interpeller délinquants et criminels si aucune suite n’est donnée à son action. Or, non seulement l’absence de sanctions encourage malfaiteurs et fauteurs de troubles à persévérer mais l’absurdité de la tâche, véritable tonneau des Danaïdes, décourage dans le même temps policiers et gendarmes dans leurs efforts quotidiens.
Deux causes principales à cette faillite. La première est un évident manque de moyens tant en nombre de places de prison que de magistrats ou d’auxiliaires de justice auquel seule une réelle volonté politique du Gouvernement pourra remédier. La seconde vient du contenu même des décisions rendues par l’autorité judiciaire, siège et parquet confondus.
Il n’est évidemment pas question de remettre en cause le principe d’indépendance de la Justice. Garantie par l’article 64 de la Constitution, l’indépendance institutionnelle de l’autorité judiciaire est une condition nécessaire à l’impartialité de la Justice et une garantie indispensable contre l’arbitraire. Toutefois, parce que nous sommes en démocratie, le pouvoir judiciaire comme le pouvoir exécutif et législatif doit rendre compte aux citoyens de son action. L’indépendance de la justice doit donc trouver ses limites dans le contrôle que le Peuple est en droit d’exercer sur elle. Cette impérieuse nécessité de contrôle suppose en pratique une totale transparence des décisions rendues par l’autorité judiciaire.
À ce titre, il faut espérer que la récente réforme initiée par la loi pour une République numérique du 7 octobre 2016, reprise et prolongée par la loi n° 2019‑222 du 23 mars 2019 de programmation 2018‑2022 et de réforme pour la justice dont le décret d’application est enfin paru le 30 juin dernier, constitue l’amorce d’un mouvement de renforcement du contrôle par le Peuple de sa justice. En vertu du nouvel article L. 111‑13 du code de l’organisation judiciaire en effet, les décisions rendues par les juridictions judiciaires seront prochainement « mises à la disposition du public à titre gratuit sous forme électronique ». On ne peut que se réjouir de cette avancée démocratique. Il était devenu inconcevable, au vu des moyens technologiques actuels, que le Peuple ne puisse toujours pas prendre connaissance des décisions de justice rendues en son nom.
Ces textes ne vont toutefois pas assez loin et ne permettent pas à nos concitoyens d’évaluer pleinement l’efficacité de la politique pénale mise en œuvre dans notre pays.
En effet, les « décisions rendues par les juridictions judiciaires » visées par l’article L. 111‑13 précité concernent exclusivement, en matière pénale, ainsi que le précise l’article R. 111‑11 « les décisions rendues publiquement et accessibles à toute personne sans autorisation préalable ». Sont donc exclues du champ d’application de l’open data de la justice l’ensemble des décisions rendues par les magistrats du parquet, et notamment celles rendues par le procureur de la République sur le fondement de l’article 40‑1 du code de procédure pénale.
Ainsi, toutes les décisions de poursuivre – ou non – les auteurs d’infractions demeurent dans l’opacité la plus totale pour le citoyen. Elles jouent pourtant un rôle crucial dans la conduite de la politique pénale du pays que les procureurs de la République sont précisément chargés de mettre en œuvre conformément aux dispositions de l’article 39‑1 du code de procédure pénale. En décidant de poursuivre une infraction, le procureur de la République remplit une mission qui celle de veiller à l’application de la loi pénale au nom de la sauvegarde de la sécurité et de l’ordre publics. Les décisions qu’il prend constituent le maillon critique entre la constatation des infractions par les forces de police et leur sanction judiciaire. Une mauvaise décision, c’est toute la chaîne pénale qui s’effondre et la protection de la sécurité et de l’ordre publics qui est mise à mal.
Pourtant, le principe d’opportunité des poursuites inscrit à l’article 40‑1 du code de procédure pénale permet au procureur de la République « de mettre en œuvre une procédure alternative aux poursuites » ou « de classer sans suite la procédure dès lors que les circonstances particulières liées à la commission des faits le justifient ». En pratique, en 2018, sur 4 765 672 procédures reçues par les tribunaux, seules 595 261 ont effectivement été poursuivies, soit moins de 12,5 % des affaires (elles ne sont d’ailleurs plus que 11,7 % à aboutir à une condamnation).
Alors que le principe d’opportunité n’est censé qu’exceptionnellement conduire à un classement sans suite ou à une mesure alternative, il est clair au regard de ce chiffre bien trop élevé d’abandon des poursuites que le principe d’opportunité est aujourd’hui dévoyé. Quelle qu’en soit la raison, manque de moyen ou idéologie, il est urgent de faire la lumière sur ces pratiques qui font échec à l’application de la loi pénale. Seule la publicité ‑après anonymisation‑ de ces mesures d’opportunité permettra un contrôle effectif par le Peuple de la conduite de la politique pénale dans notre pays.
Le I du présent amendement entend donc inclure dans le champ de l’open data de la justice les décisions d’engagement des poursuites, de mesures alternatives aux poursuites ou de classement sans suite de la procédure qui sont rendues par le procureur de la République en application de l’article 40‑1 du code de procédure pénale.
En outre, l’exigence de transparence totale des décisions rendues par le procureur de la République implique que soit explicitée leur motivation. Cette information est évidemment d’abord due aux plaignants et victimes de l’infraction.
Pourtant, en l’état du droit, selon la lettre de l’article 40‑2 du code de procédure pénale, le procureur de la République n’est tenu d’indiquer dans l’avis adressé au plaignant et à la victime « les raisons juridiques et d’opportunité » qui justifient sa décision uniquement en ce qui concerne les décisions de classement sans suite. Pourtant, la mise en œuvre d’une mesure alternative aux poursuites constitue tout autant une décision de ne pas poursuivre qui nécessite une justification objective et explicite. Un rappel à la loi ou un stage de citoyenneté n’est pas une réponse pénale et n’aura jamais le même effet qu’une peine d’amende ou de prison.
Le II du présent amendement impose en conséquence au Procureur de la République d’indiquer aux plaignants et victimes les raisons juridiques et d’opportunité qui ont motivé sa décision quelle qu’elle soit.
Cette information des parties civiles est indispensable mais insuffisante. Il importe que la motivation des décisions soit également connue des citoyens qui sont en droit de savoir pourquoi et dans quelles circonstances le tort causé à la société n’a pas été poursuivi ni puni.
La transparence sur la motivation des décisions de classement sans suite et de mesure alternative aux poursuites est en effet déterminante pour permettre au Peuple d’apprécier la teneur et la pertinence de la politique pénale telle qu’elle est mise en œuvre par les procureurs de la République.
Le I du présent amendement soumet donc également à publicité les raisons juridiques et d’opportunité qui justifient les décisions prises par le procureur de la république sur le fondement de l’article 40‑1 du code de procédure pénale.
Cependant, la simple publicité de ces décisions et de leur motivation n’est pas pleinement satisfaisante. Il est en effet illusoire de penser que les citoyens puissent prendre connaissance, quand bien même elles seraient publiques, de l’ensemble des décisions rendues par les parquets. Et si « nul n’est censé ignorer la loi », l’adage ne transforme pas pour autant le citoyen en expert capable de décoder les décisions mises à sa disposition.
Ce qui intéresse le citoyen, ce n’est pas tant de pouvoir accéder à l’ensemble des décisions mais surtout de pouvoir se faire une idée de la capacité de la justice à empêcher et punir ceux qui le menacent corps et biens.
C’est pourquoi il est nécessaire de mettre également à la disposition du Peuple un instrument qui lui permette d’évaluer effectivement, et dans toutes ses composantes, l’efficacité de la réponse pénale.
À cet égard, le rapport du ministre de la justice « sur l’application de la politique pénale déterminée par le Gouvernement, précisant les conditions de mise en œuvre de cette politique » publié en application de l’article 30 du code de procédure pénale n’est d’aucun recours. La question du classement sans suite est en effet totalement absente du rapport de 2019, la loi n’imposant aucune obligation à la Chancellerie de ce point de vue. Quant aux statistiques publiées sur le site du ministère, les trois chiffres indiqués relatifs aux décisions de poursuites ne permettent aucunement de vérifier leur bien‑fondé.
Le III du présent amendement impose en conséquence au ministre de la Justice la publication d’un rapport chiffré comportant des données relatives à l’ensemble des décisions de non poursuite, classement sans suite et mesures alternatives et exposant les motivations juridiques et d’opportunité qui ont conduit à ces décisions. Il importe que ce rapport soit également remis aux Assemblées et fasse l’objet d’un débat au Parlement.
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