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Donner à la douane les moyens de faire face aux nouvelles menaces — Texte n° 1352

Amendement N° 408 (Adopté)

Publié le 19 juin 2023 par : le Gouvernement.

Après le titre Ier de la loi n° 96‑542 du 19 juin 1996 relative au contrôle de la fabrication et du commerce de certaines substances susceptibles d’être utilisées pour la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes, il est inséré un titre Ier bis ainsi rédigé :

« Titre Ier bis : Dispositions applicables aux substances chimiques non classifiées.

« Art. 19‑1. – I. – Pour l’application du présent titre, les substances non classifiées sont celles définies au b de l’article 2 du règlement européen (CE) n° 273/2004 du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 et au b de l’article 2 du règlement n° 111/2005 du Conseil du 22 décembre 2004 susmentionnés.

« II. – Dès lors qu’ils disposent d’indices suffisants permettant de supposer un lien avec la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes au sens de l’article L. 5132‑7 du code de la santé publique, les agents des douanes peuvent consigner toute importation ou exportation d’une substance non classifiée pour une durée maximale de dix jours aux fins d’examen et d’identification de la substance retenue. Cette durée est renouvelable sur autorisation du procureur de la République dans la limite de vingt-et-un jours.
« III. – Si les nécessités de l’enquête douanière relative à la recherche et à la constatation des délits mentionnés à l’article 414 et à l’article 415 du code des douanes, ou à l’article 19‑5 de la présente loi, l’exigent, les agents des douanes notifient à l’expéditeur, au destinataire ou au détenteur de la substance, la décision de retenue, pour une durée de trente jours. Cette notification met en demeure l’expéditeur, le destinataire ou le détenteur de la substance, de produire une déclaration d’usage prévue à l’article 19‑3 dans le même délai. Les conditions d’établissement de cette déclaration d’usage sont définies par décret.
« S’il n’est pas procédé à la déclaration après trente jours ou si les informations fournies sont incorrectes ou incomplètes, l’obligation de déclarer l’usage de la substance est réputée non exécutée.
« La durée de retenue peut être prolongée sur autorisation du procureur de la République pour une période supplémentaire d’un maximum de 30 jours. Pendant cette période complémentaire, les agents des douanes procèdent aux vérifications de la déclaration d’usage et des conditions de l’opération d’importation ou d’exportation concernée.
« Si la déclaration d’usage produite ou les vérifications mentionnées à l’alinéa précédent ne permettent pas de confirmer un lien avec la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes, et au plus tard à l’expiration des périodes mentionnées au présent III, les produits sont immédiatement remis à l’expéditeur, au destinataire ou au détenteur.

« Art. 19‑2. – La décision de retenue mentionnée au III de l’article 19‑1 peut faire l’objet d’un recours, exercé par l’expéditeur, le destinataire ou le détenteur, auquel la déclaration d’usage est exigée ou par le propriétaire de la substance si cette personne est différente. Ce recours s’exerce devant le président de la chambre de l’instruction de la cour d’appel compétente dans le ressort de la direction régionale des douanes dont dépend le service chargé de la procédure. La décision de retenue temporaire mentionne les délais et voies de recours.

« Ce recours doit être formé par déclaration remise ou adressée, par pli recommandé ou par voie électronique, au greffe de la cour dans un délai de quinze jours qui court à compter de la notification de la décision de retenue temporaire. Ce recours n’est pas suspensif.
« L’ordonnance du président de la chambre de l’instruction est susceptible d’un pourvoi en cassation, selon les règles prévues par le code de procédure pénale.

« Art. 19‑3. – La déclaration d’usage mentionnée à l’article 19‑1 contient les éléments suivants, accompagnés de leurs pièces justificatives :

« a) les noms et prénoms du déclarant ;

« b) le propriétaire de la substance ;

« c) l’expéditeur de la substance ;

« d) le destinataire ou le destinataire final de la substance ;

« e) la nature et la quantité de la substance ;

« f) l’usage qu’il est prévu de faire de la substance non classifiée.

« Art. 19‑4. – Au cours de la période mentionnée au III de l’article 19‑1, les agents des douanes habilités peuvent saisir les substances non classifiées et leur confiscation peut être prononcée par le tribunal correctionnel lorsque les conditions de l’opération d’importation ou d’exportation ne paraissent obéir à d’autre motif que la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes.

« Art. 19‑5. – Est passible des peines et sanctions prévues au dernier alinéa de l’article 414 du code des douanes, l’utilisation de substances non classifiées aux fins de la fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes au sens de l’article L 5132‑7 du code de la santé publique.

« Art. 19‑6. – Pour l’application du présent titre, les agents des douanes mettent en œuvre les pouvoirs et procédures prévus par le code des douanes, y compris le chapitre IV du titre II. »

Exposé sommaire :

La production de drogues et particulièrement de drogues de synthèse (MDMA, métamphétamines, cathinones, cannabinoïdes de synthèse, opioïdes, GHB/GBL etc.) et semi-synthétiques (cocaïne et héroïne) connaît une progression exponentielle ces dernières années en France et en Europe. Ainsi en 2021, 350 laboratoires de productions de drogues de synthèse ont été démantelés en Europe.

La production de ces drogues nécessite le recours à des substances chimiques dénommées « précurseurs de drogues », produits chimiques, dont une majorité dispose d’une utilisation légale. Par conséquent, les précurseurs de drogues constituent un sujet de première importance dans la lutte contre le trafic de stupéfiants.

La réglementation relative aux précurseurs établit un double statut pour ces substances :

une trentaine de précurseurs de drogues sont « classés » : leur commerce est soumis à un ensemble de règles qui permettent de les contrôler ;
les autres précurseurs sont dits « non classés» : par conséquent aucune règle de contrôle de leurs flux n’existe.

Face à la classification d’un nombre toujours plus important de substances chimiques par la réglementation permettant leur saisie et la mise en œuvre de sanctions, les organisations criminelles font un recours accru aux précurseurs non classifiés et particulièrement aux « précurseurs sur mesure » : ces molécules échappent à la classification et, donc, aux dispositifs de contrôle.

Un récent rapport de l’Observatoire européen des drogues et toxicomanies (OEDT) et d’Europol relatif à la métamphétamine estime, ainsi, que la majorité de la métamphétamine produite au BENELUX, région majeure de production de drogue de synthèse dans le monde (un rapport de 2017 de l’académie de Police de la Haye estime le chiffre d’affaires de la production de drogues de synthèse aux Pays-Bas à 19 milliards d’euros par an), l’était à partir de précurseurs de drogues non classés.

La clause dite « attrape-tout » ou « catch all », prévue aux articles 26§3 bis et 3 ter du règlement n° 111/2005 (pour les flux extra-UE) et de l’article 10§2 du règlement n° 273/2004 (pour les flux intra-UE), constitue aujourd’hui la seule solution effective à ce phénomène des précurseurs non classifié et sur mesure. Elle permet, en effet, de saisir une substance non classifiée, dès lors qu’un faisceau d’indices permet de supposer une utilisation illicite. Ce dispositif a, par exemple, permis des saisies importantes de MAPA (pré précurseurs de l’amphétamine et de la métamphétamine), lorsque cette substance n’était pas encore classée.

Néanmoins, cette clause présente deux faiblesses majeures :

un cadre juridique incertain qui vient fragiliser sa mise en œuvre. En effet, les dispositions de l’article 10 §2 du règlement (UE) n° 273/2004 et de l’article 26 §3 du règlement n° 111/2005 ne suffisent pas, en tant que telles, à fonder un pouvoir de saisie des précurseurs non classifiés puisque ces dispositions, bien que contenues dans un règlement européen, laissent une marge d’appréciation aux Etats. Aussi est-il est nécessaire que les Etats complètent ces règlements par des dispositions législatives de droit interne ;
des effets limités à la seule interception des marchandises, aucune sanction ne pouvant être prise sur le fondement de l’article 414 du code des douanes. Par conséquent le recours à des techniques spéciales d’enquêtes (livraisons surveillées et visites domiciliaires) qui permettraient d’identifier et entraver les laboratoires de production de drogues est impossible.

Cet amendement vise à donner toute sa portée à la clause « catch all » prévue par le droit européen. Il permettra de de constater les cas de détournement de substances non classifiées et de poursuivre les personnes ayant recours à l’utilisation de précurseurs non classés aux fins de production de drogues de synthèse et de drogues semi-synthétique. Ce dispositif vise également à permettre le recours à des techniques spéciales d’enquêtes qui doivent permettre d’identifier et de démanteler des laboratoires de production de drogues de synthèse sur le territoire national, et d’intercepter les auteurs des trafics de produits chimiques approvisionnant les filières de production.

L’amendement prévoit également un cadre d’échange contradictoire formalisé avec les personnes physiques ou morales suspectées, en conformité avec les dispositions du droit européen (charte des droits fondamentaux et article 6,§1 de la Convention européenne des droits de l’Homme). Cet échange s’exprime par une déclaration d’usage qui sera demandée par les agents des douanes. Un décret viendra préciser les conditions d’établissement de cette déclaration.

Un recours contre la décision de retenue temporaire des substances non classifiées est ouvert devant le président de la chambre de l’instruction.

A l’expiration de la phase contradictoire, les agents des douanes pourront saisir les substances non classifiées en cause dans deux hypothèses :

- soit l’obligation de déclaration d’usage n’a pas été respectée ;

- soit en en cas de raisons plausibles tendant à caractériser un risque de détournement ou de fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes.

Il appartiendra alors à l’autorité judiciaire d’en prononcer la confiscation.

En définitive, s’il est établi que l'utilisation des substances chimiques non classifiées aux fins de fabrication illicite de stupéfiants ou de substances psychotropes au sens de l’article L 5132-7 du code de la santé publique est établie, les peines de l'alinéa 3 de l’article 414 du code des douanes seront applicables.

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