Intervention de Pierre Moscovici

Séance en hémicycle du mardi 23 mars 2021 à 15h00
Dépôt du rapport annuel de la cour des comptes

Pierre Moscovici, Premier président de la Cour des comptes :

Je vous remercie, monsieur le président, de vos mots de bienvenue et de l'accueil que vous avez réservé à notre institution, qui traduisent la qualité des liens qui unissent les juridictions financières et le Parlement. Vous savez combien j'y suis attaché, combien tout mon parcours contribue à m'y attacher. Je suis d'ailleurs heureux de m'adresser à vous dans cet hémicycle – heureux et ému, car voilà bientôt sept ans que je n'ai pas parlé à cette tribune et je n'imaginais du reste pas forcément que j'aurais l'occasion de le faire à nouveau, et cela me renvoie l'écho de nos échanges passés.

Il s'agit du premier rapport public annuel que j'ai l'honneur et la fierté de vous présenter depuis ma nomination comme Premier président de la Cour des comptes. C'est en effet Mme Sophie Moati qui était intervenue l'an dernier devant vous en sa qualité de doyenne des présidents de chambre de la Cour, alors que Didier Migaud avait quitté ses fonctions et que je n'avais pas encore été nommé. En cette fin février 2020, la crise épidémique faisait déjà parler d'elle, d'une façon encore lointaine et, évidemment, beaucoup plus discrète.

La publication de notre rapport public annuel 2021 intervient, quant à elle, plus d'un an après le déclenchement de cette crise majeure, sans précédent et sans comparaison, qui continue de bouleverser nos libertés et nos destinées individuelles et collectives dans des proportions que nous n'avions pas pu imaginer auparavant. Bien évidemment, ce choc a d'importantes répercussions sur le fonctionnement et sur les travaux des juridictions financières – la Cour des comptes, mais aussi les chambres régionales et territoriales des comptes, qui sont associés à ce rapport public et qui y participent, comme le rappelle son introduction générale.

Le déroulement des enquêtes a été plus difficile, du fait du confinement et des difficultés que rencontraient les organismes contrôlés, que nous n'avons d'ailleurs pas voulu surcharger lorsqu'ils étaient au premier plan contre la pandémie. Les délais de contradiction ont été très souvent allongés et le report des élections municipales a prolongé d'autant la période dite « de réserve », durant laquelle nous sommes tenus de limiter la publication de certains travaux qui concernent ce qu'on appelle le bloc communal. Surtout, nous avons été très attentifs à ne pas perturber les administrations et les acteurs qui se trouvaient en première ligne dans la gestion de la crise et de ses conséquences. Cependant, ces contraintes n'ont pas empêché les juridictions financières de remplir leurs missions, et même – je crois pouvoir le dire, et vous en jugerez – , de bien les remplir.

D'ailleurs, toute l'année 2020 aura donné lieu à des échanges nombreux, très ouverts et très riches entre la Cour et le Parlement, et je m'en réjouis tout particulièrement. Nous avons réalisé, à la demande de l'Assemblée nationale et du Sénat, rien moins que seize rapports, soit un de plus qu'en 2019, et vous avons transmis au total plus de 300 travaux. En particulier, l'année dernière a permis la remise au comité d'évaluation et de contrôle de deux rapports qui étaient, je le sais, très attendus, portant respectivement sur Parcoursup et sur la lutte contre les contrefaçons. Seul, et c'est compréhensible, le nombre d'auditions parlementaires a finalement pâti de la crise, puisqu'il n'y en a eu – si j'ose dire – que quarante-huit en 2020, contre soixante-quinze l'année précédente, mais ces chiffres disent l'intensité et la qualité des relations entre la Cour et le Parlement.

Nous sommes donc parvenus à maintenir nos relations de travail malgré le contexte sanitaire. J'y vois la marque de la très grande solidité de nos liens et d'une attention partagée à la continuité de la vie institutionnelle, à l'entretien et au soin du débat public, même pendant les crises – et, si je puis dire, surtout pendant les crises. Les nouvelles réalités de la gestion et de l'action publiques, ainsi que l'évolution des situations sanitaire, économique et sociale ont fait émerger chez nos concitoyens de nouvelles attentes et de nouvelles préoccupations. Les juridictions financières ont donc naturellement souhaité les prendre en considération en faisant évoluer leurs programmes de contrôle.

Dès l'an dernier, nous avons publié deux premières analyses des conséquences de la crise sur les finances publiques de l'État, de la sécurité sociale et des collectivités locales dans les rapports annuels correspondants. Cela a notamment été le cas dès juin dernier, dans le cadre du rapport sur la situation et les perspectives des finances publiques – le premier que j'ai eu l'occasion de présenter au Parlement immédiatement après ma nomination au poste de Premier président.

Dès cette nomination, il m'est d'ailleurs apparu fondamental de consacrer une grande partie du rapport public annuel que je vous présente aujourd'hui aux effets concrets et à la gestion opérationnelle de la crise de covid-19. Il eût été pour le moins surprenant que nous ne l'abordions pas. Ce premier choix stratégique que j'ai eu à opérer en tant que Premier président a nécessité un important effort d'adaptation et, dès l'été, nous avons lancé de nouvelles enquêtes avec des délais de réalisation très courts – sans m'attarder sur ce point, je souligne que raccourcir les délais fait partie de mes objectifs pour la Cour des comptes et les chambres régionales des comptes.

Ce rapport public annuel, fruit d'une année 2020 si particulière, présente deux autres originalités, liées elles aussi aux circonstances.

Tout d'abord, et de façon tout à fait exceptionnelle, il ne comporte pas de chapitre relatif à la situation d'ensemble des finances publiques, non par manque de matière – vous savez comme nous qu'elle est au contraire exceptionnelle – , mais parce que le Premier ministre a demandé à la Cour de lui remettre en avril un diagnostic de la situation de nos finances publiques et des premières recommandations sur la stratégie à adopter pour l'après-crise. Il nous aurait semblé incohérent de nous exprimer deux fois sur la même question à quelques semaines d'intervalle, en actualisant les données, en sachant que le programme de stabilité serait peut-être présenté entre-temps. Nous publierons donc le mois prochain, à l'occasion de ce rapport, l'ensemble de nos analyses sur l'état des finances publiques, qui s'appuieront sur les données les plus à jour. Je serai naturellement heureux de venir présenter ces analyses à la représentation nationale – à la commission des finances en particulier, si elle le souhaite.

Deuxième originalité : le rapport public annuel 2021 ne contient pas non plus de partie consacrée au suivi des recommandations émises pour 2020. En effet, réunir les informations idoines aurait nécessité d'interroger les services de l'État et les collectivités locales au cours du second trimestre 2020 – il y a donc à peine un an – , ce qui aurait été, je crois, tout à fait inopportun durant cette période pendant laquelle ils ont été très sollicités par la gestion de la crise. Cela aurait aussi été, il faut le dire, un peu artificiel.

Néanmoins, il ne s'agit là que d'un décalage, puisque le rapport public annuel de 2022 comprendra une partie consacrée au suivi des recommandations à la fois pour l'année 2021 et pour l'année 2020.

J'en reviens au contenu du rapport public de 2021, qui se divise en deux tomes.

Le premier tome aborde les premiers enseignements de la crise dans une dizaine de chapitres portant essentiellement sur les premières phases de l'épidémie, et couvrant des sujets variés très concrets pour nos concitoyens. Il examine les mesures instaurées et les modalités de la gestion de la crise par différents types d'acteurs publics.

Le second tome, plus classique, est quant à lui consacré aux politiques et à la gestion publiques. Il présente des exemples précis de déploiement de ces politiques dans les territoires, mais également leur évolution, grâce notamment à de nombreuses synthèses des travaux menés par les juridictions financières, qui offrent une vision plus approfondie et plus territorialisée des sujets traités. C'est aussi l'occasion de revenir sur certains rapports antérieurs, afin de mesurer les progrès réalisés ou de suivre l'application de nos recommandations.

Je commence par le contenu du premier tome du rapport public, qui traite des enseignements de la crise. À travers les différents thèmes traités, abordés sous plusieurs facettes, cette partie devait permettre de fournir des éclairages sur la gestion de l'épidémie de covid-19, que ce soit sur les mesures adoptées pour en limiter les conséquences ou de ses effets sur différents types d'acteurs.

Nous avons choisi de traiter de sujets importants en raison de leur ampleur opérationnelle ou des masses financières en jeu, mais aussi d'approfondir d'autres travaux. Les différents chapitres ne permettent évidemment pas de dresser un bilan exhaustif et définitif des manières dont la crise a été gérée, ni de toutes ses conséquences – nous n'avions pas cette prétention, et je crois d'ailleurs qu'en réalité, personne n'est en mesure de le faire aujourd'hui ; mais ils peuvent déjà nous permettre de tirer quelques enseignements. J'en citerai trois.

Le premier est la faible anticipation d'un choc comme la crise de covid-19 – certes largement imprévisible – par la plupart des acteurs publics étudiés – je dis bien la plupart, et non la totalité. Il existe en effet une gradation sur cette question.

Notre chapitre consacré au service public du numérique éducatif pendant la crise sanitaire souligne ainsi l'absence de plan de continuité dans les établissements scolaires, ainsi qu'une appropriation antérieure du numérique trop limitée pour permettre le basculement rapide dans l'enseignement à distance généralisé. Cela a empêché de garantir la poursuite des apprentissages pour tous les élèves : nous estimons qu'environ 5 % d'entre eux, soit tout de même 600 000 enfants, étaient en rupture numérique pendant la crise.

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