Intervention de Régis Juanico

Séance en hémicycle du jeudi 18 février 2021 à 15h00
Fonds d'indemnisation des victimes de la covid-19 — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaRégis Juanico, rapporteur de la commission des affaires sociales :

Je souhaiterais commencer en vous livrant le témoignage de Pauline Oustric, jeune chercheuse en comportements alimentaires et présidente de l'association AprèsJ20 rassemblant de nombreuses personnes atteintes de formes longues de la covid-19, qui a accepté de nous parler de son expérience et des principaux symptômes de cette pathologie : « Je ne peux plus vivre une journée normalement. On m'a diagnostiqué il y a quelques mois une dysautonomie, une dérégulation du système nerveux. J'ai encore des problèmes pour digérer, des malaises post-effort, de la tachycardie au repos, ce qui est quand même préoccupant à vingt-sept ans. Ces symptômes durent depuis dix mois, car j'ai contracté la covid-19 fin mars, sans besoin d'hospitalisation. Je ne peux plus aujourd'hui vivre comme avant, travailler et faire des choses normales à la maison. C'est une autre vie. »

La vie de Pauline, comme celle de tant d'autres, a ainsi été chamboulée depuis qu'elle souffre d'une forme de covid long, pathologie reconnue en août par l'Organisation mondiale de la santé – OMS – et caractérisée par des symptômes persistant plusieurs semaines, voire plusieurs mois, après la contraction de la maladie.

Parmi les si nombreuses victimes de la covid-19, il y a celles qui sont malheureusement décédées des suites de la maladie. Il y a ces nombreux patients dont l'état a nécessité des soins à l'hôpital et en service de réanimation, qui sont atteints de séquelles physiques, cardiaques, musculaires, mais aussi psychologiques et psychiatriques graves.

À ces malades graves s'ajoutent d'autres victimes, moins connues et moins visibles, le plus souvent des femmes et de nombreux jeunes, dont le quotidien a été bouleversé depuis l'infection. Il s'agit des victimes de ce que l'on appelle le « covid long », caractérisé par des symptômes persistants particulièrement invalidants au premier rang desquels figurent un essoufflement rapide, une fatigue chronique et une désadaptation à l'effort ainsi que des troubles cognitifs, l'anosmie ou encore l'agueusie.

Ces patients ont souvent été atteints de formes relativement bénignes de la covid-19, mais souffrent de symptômes à long terme polymorphes – douleurs thoraciques, palpitations, céphalées – ainsi que de dysfonctionnements et d'une incapacité à faire plusieurs choses en même temps. Beaucoup d'entre eux, en raison de troubles persistants de l'attention, sont dans l'incapacité de reprendre leur activité professionnelle. Certains sont arrivés en fin de droits et risquent de voir ajouter à la souffrance physique et psychique de grandes difficultés financières. Le caractère d'affection de longue durée – ALD – n'est pas reconnu à nombre d'entre eux par l'assurance maladie et les soins qui leur sont pourtant indispensables peuvent se révéler onéreux et complexes à obtenir.

Les spécialistes évoquent aussi des séquelles psychiatriques de la covid-19 particulièrement alarmantes chez de nombreux patients : anxiété, insomnie, dépression, syndromes post-traumatiques, symptômes obsessionnels. Selon la professeure Marion Leboyer, les conséquences psychiatriques de la covid-19 sont devant nous.

S'il est encore trop tôt pour donner des chiffres précis, il est probable que ces formes de covid long concernent plusieurs centaines de milliers de personnes en France. L'OMS évalue le nombre de ces victimes entre 10 et 20 millions dans le monde.

Pourtant, le dispositif de réparation des préjudices subis par les victimes de la covid-19 prévu par le décret du 14 septembre 2020 est très loin d'être à la hauteur des enjeux.

Pour les soignants, d'abord, contrairement à ce qui avait été annoncé à de multiples reprises par le Gouvernement, y compris dans cet hémicycle, la reconnaissance de la covid-19 comme maladie professionnelle n'est ni automatique ni systématique. Pour recevoir une indemnisation, les soignants et assimilés doivent en effet être atteints d'affections respiratoires aiguës, avoir eu recours à une oxygénothérapie ou toute autre forme d'assistance respiratoire et avoir fait l'objet d'une prise en charge médicale dans un délai de quatorze jours à compter de l'exposition au virus. Ces critères sont particulièrement restrictifs et peu pertinents dans la mesure où, comme on l'a vu, les séquelles cardiaques, neurologiques ou cérébrales de la covid-19 touchent de nombreux patients atteints, au départ, de formes peu graves de la maladie.

Pour les autres travailleurs et les personnes dont la pathologie ne correspond pas aux critères très stricts que je viens d'énoncer, la reconnaissance de la covid-19 comme maladie professionnelle relève d'un véritable parcours du combattant. Début février, les organisations syndicales faisaient ainsi état de seulement 200 reconnaissances au titre du nouveau tableau no 100 des maladies professionnelles et de la procédure complémentaire. Ces victimes sont tenues de prouver l'existence d'un « lien direct et essentiel » entre leur travail et la contamination par le virus ; or ce lien est particulièrement difficile à établir dans le cadre d'une épidémie comme celle que nous connaissons.

L'existence d'un système à deux vitesses fait, par ailleurs, l'objet d'une vive incompréhension de la part des victimes. Il témoigne d'une forme de mépris face à l'engagement de nombreux travailleurs, ces aides à domicile, hôtesses de caisse, agents des forces de l'ordre et de sécurité, enseignants, agents de propreté et commerçants et tant d'autres montés au front en pleine crise sanitaire. Alors qu'ils souffrent souvent des mêmes séquelles, comment expliquer qu'ils ne soient pas placés sur un pied d'égalité avec les soignants et assimilés ?

Centré autour de la seule reconnaissance comme maladie professionnelle, le dispositif d'indemnisation existant laisse, en outre, de nombreuses victimes de côté : les travailleurs indépendants, parmi lesquels une très faible minorité, environ 20 000, sont assurés contre le risque accidents du travail-maladies professionnelles – AT-MP ; les victimes « environnementales », qui ont été contaminées hors du cadre professionnel ; les bénévoles venus prêter main-forte dans les associations de solidarité ; les retraités puisque, je le rappelle, 90 % des personnes décédées avaient plus de 65 ans ; les résidents en EHPAD, qui ont payé le plus fort tribut à la crise avec plus de 30 000 morts sur les 83 000 décès à ce jour ; mais aussi les proches des personnes décédées.

L'indemnisation proposée actuellement est largement insuffisante. Uniquement forfaitaire, elle ne prend pas en compte les nombreux préjudices physiques, économiques et moraux dont souffrent les victimes. Nous devons agir face à la détresse de ces nombreuses personnes qui nous appellent, au-delà des discours, à passer aux actes. La réparation des préjudices subis par ces victimes est un devoir, et ce à plusieurs titres. Au-delà de la recherche des responsabilités, la mise en place d'un système ambitieux d'indemnisation des victimes de la covid-19 relève avant tout de la solidarité nationale.

Il s'agit d'abord de reconnaître l'engagement de tous ceux qui ont pris de nombreux risques pour assurer la prise en charge des malades et garantir la continuité de la nation. Il s'agit aussi de prendre en considération la souffrance insupportable de ces victimes, nombreuses à dépendre aujourd'hui de leurs proches pour l'ensemble des gestes du quotidien.

Pour toutes ces raisons, mes chers collègues, nous proposons, avec Christian Hutin et les membres du groupe Socialistes et apparentés, la création d'un fonds d'indemnisation des victimes de la covid-19. Notre proposition de loi ouvre la réparation à l'ensemble des victimes graves, que la maladie soit d'origine professionnelle ou non.

Prenant en compte des laissés pour compte du dispositif existant, ce fonds vise une réparation intégrale des préjudices subis par toutes les victimes présentant des séquelles temporaires ou définitives de la covid-19, qu'il s'agisse des personnes touchées par des séquelles lourdes résultant des formes graves de la maladie ou de celles atteintes des symptômes persistants caractéristiques des formes longues de la covid-19.

La réparation que nous envisageons s'adresse aussi aux ayants droit des personnes qui sont malheureusement décédées des suites de la maladie. Nous ne les avons pas oubliés et nous proposons la mise en place d'une réparation intégrale, visant à permettre à la victime de vivre dans des conditions aussi proches que possible de la situation préalable à la maladie.

Le fonds d'indemnisation des victimes de la covid-19 s'inspire de celui des victimes de l'amiante, dont le modèle est aujourd'hui largement éprouvé. La création d'un tel fonds présente de nombreux avantages. Il permet de limiter considérablement le risque de contentieux, qui ajoute inquiétude et incertitude à des victimes déjà fortement éprouvées par la maladie. Il est, par ailleurs, particulièrement protecteur : dès lors que la victime fait état d'un dommage reconnu par le fonds, elle peut obtenir une indemnisation sans qu'il lui soit nécessaire de prouver une faute.

L'intérêt de la mise en place d'un fonds d'indemnisation réside aussi dans la rapidité et la simplicité de la procédure d'indemnisation. Le fonds serait en effet tenu de présenter une proposition de réparation dans les six mois suivant la réception de la demande. Par ailleurs, il centraliserait l'ensemble des demandes et ferait office de guichet unique ; ainsi, dans le cas d'une pathologie développée dans un contexte professionnel, le fonds se tournerait lui-même vers les régimes AT-MP éventuellement compétents, plutôt que de demander aux victimes de suivre une procédure au préalable.

Enfin, le mode de financement du fonds que nous proposons nous paraît particulièrement équilibré. Assis principalement sur une contribution de l'État et de la branche AT-MP de la sécurité sociale, il fait participer les employeurs et l'État, au nom de leurs responsabilités respectives et de la solidarité nationale.

Notre proposition de loi recueille le soutien et suscite une grande attente de la part des organisations syndicales de salariés, mais aussi des associations de victimes que nous avons entendues. Le principe de création d'un fonds d'indemnisation est également défendu par l'Académie nationale de médecine.

Nous n'opposons pas l'indemnisation des différentes formes graves de la maladie et l'amélioration du suivi médical, bien au contraire. Comme le disait notre collègue Caroline Fiat la semaine dernière, pour commencer à guérir, il faut d'abord être reconnu.

Mes chers collègues, monsieur le secrétaire d'État, la création d'un fonds spécifiquement destiné aux personnes souffrant de séquelles et de formes longues de la covid-19 est une mesure essentielle de reconnaissance. Ne restons pas dans les incantations ; agissons vite pour ces victimes qui comptent, plus que jamais, sur notre soutien et notre mobilisation. Il y a urgence !

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