Intervention de Yannick Kerlogot

Séance en hémicycle du jeudi 17 décembre 2020 à 9h00
Restitution de biens culturels à la république du bénin et à la république du sénégal — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaYannick Kerlogot, rapporteur de la commission des affaires culturelles et de l'éducation :

Nous arrivons enfin au terme de nos travaux sur un projet de loi dont la portée est, ô combien, symbolique et historique : ce matin, par la voix du Gouvernement, représenté par la ministre de la culture, il nous est demandé d'autoriser la sortie des collections publiques de vingt-sept biens culturels issus de l'Afrique subsaharienne. Les députés que nous sommes vont ainsi voter, à l'unanimité je l'espère, pour le transfert de propriété d'oeuvre en direction de la République béninoise et de la République sénégalaise.

C'est la première concrétisation de la promesse présidentielle prononcée en novembre 2017 au Burkina Faso. À ceux qui dénoncent un fait du prince, je répondrai que, pour ma part, je préfère retenir la témérité et la responsabilité d'un président français qui entend accompagner une jeunesse africaine en quête légitime de son identité patrimoniale.

Que de chemin parcouru depuis le 27 juillet 2016, quand le Bénin formulait une demande officielle de restitution d'une partie des trésors royaux d'Abomey ! La France répondit qu'il était impossible d'y répondre positivement, en rappelant le principe de l'inaliénabilité et de l'insaisissabilité des collections publiques. Par la voie dérogatoire d'une loi d'exception, nous rappelons que c'est au cas par cas qu'il est possible de répondre aux demandes, qu'il convient de considérer désormais comme légitimes, de retour de ces oeuvres dans leur pays d'origine. Dès la première lecture du texte, nous sommes parvenus à dépasser l'image d'un miroir dérangeant de notre passé colonial, pour reconnaître à l'unanimité le bien-fondé des restitutions qui nous occupent. Recentrons-nous sur cette intention.

Au cours des auditions, aux côtés notamment de mes collègues Marion Lenne, Pascal Bois et Michèle Victory, nous avons retenu l'attente, l'engouement que suscite, chez les populations concernées, le retour annoncé d'objets symboliques et historiques prestigieux, mais aussi sacrés. Retenons d'ores et déjà la ferveur suscitée par le dépôt, en 2018, sous forme de prêt, du sabre dit « d'El Hadj Omar Tall » au musée des Civilisations noires de Dakar. Il nous est demandé de faire évoluer une reconduction de prêt en transfert de propriété. La rapporteure pour avis de la commission des affaires étrangères, Marion Lenne, me disait hier qu'il y a peu, au Sénégal, sur un bateau en direction de l'île de Gorée, en baie de Dakar, elle a été frappée par le nombre de jeunes qui se rendaient au musée présentant l'histoire de leur pays, du paléolithique à nos jours, et à la Maison des Esclaves, où se trouve la porte du voyage sans retour. Ces jeunes lui ont confirmé la valeur d'unité nationale que revêt le sabre.

À nos collègues du Sénat, je souhaite exprimer ma volonté de les rejoindre dans un débat qui sera visiblement permis dans le cadre d'une PPL présentée en janvier, faisant suite aux quinze propositions présentées hier, dans le cadre d'une mission d'information visant à engager une réflexion sur le processus de la restitution de biens culturels aux pays qui en font la demande. Nous aurons alors l'occasion de nous retrouver, je le pense, autour de la volonté de coopération avec les conservateurs, scientifiques et autres historiens de ces pays, autour de la volonté d'une meilleure circulation des collections publiques, autour de la proposition de contribuer à la formation des professionnels des musées qui en font la demande.

Ce sera aussi l'occasion de réaffirmer la réalité des démarches scientifiques et historiques engagées par les ministères et les conservateurs à l'endroit des vingt-sept biens culturels du présent projet de loi, qui constituent une première référence exemplaire. Je tiens à saluer au passage le professionnalisme et la disponibilité des interlocuteurs qui ont été les miens au ministère de l'Europe et des affaires étrangères ainsi qu'au ministère de la culture. Il est dommage toutefois que nous ne soyons pas parvenus à nous limiter aux deux seuls articles d'un texte symbolique qui exprime un appel à la confiance et à la fraternité. Nous pouvons ce matin nous rassembler de nouveau par un vote unanime.

Par ailleurs, ce texte est à replacer dans un projet plus global de coopération culturelle entre l'Afrique et la France, qui honore notre pays. Que de chemin parcouru depuis le discours présidentiel prononcé en 2017 à Ouagadougou devant les étudiants burkinabés ! Je salue de nouveau le travail, entamé en particulier sous l'égide de ces deux ministères, qui a précédé ces premières restitutions. Rappelons quelques dates : le forum du 4 juillet 2019 portant sur « Le patrimoine africain : réussir ensemble notre nouvelle coopération culturelle » ; le déplacement, le 16 décembre 2019, il y a tout juste un an, de Franck Riester, alors ministre de la culture, au Bénin, pour soutenir et renforcer la coopération culturelle franco-béninoise ; enfin la déclaration conjointe du 17 novembre 2019, lors du quatrième séminaire intergouvernemental franco-sénégalais, en faveur d'un renforcement du partenariat culturel.

Avant de conclure, je saluerai le travail entrepris par le musée du Quai Branly consistant en l'examen des collections afin d'identifier les objets acquis par la violence ou la contrainte administrative et ceux pour lesquels subsistent des contestations quant à la provenance, le tout permis par des bourses de recherche internes, qui ont été réorientées vers ces questions.

Il est temps d'acter par notre vote le transfert de propriété par lequel trois statues anthropomorphes en bois des rois Ghézo, mi-homme mi-oiseau, Glèlè, mi-homme mi-lion, et Béhanzin, mi-homme mi-requin, quatre portes sacrées des palais royaux d'Abomey réalisées par fon Sosa Adede sous le règne de Glèlè, un siège royal et des récades attendent leur retour dans l'enceinte royale des palais d'Abomey, de laquelle émergera dans quelques mois un tout nouveau musée.

J'ai une pensée enfin pour le président du musée du Quai Branly, qui, dans un entretien à la presse, disait en septembre : « J'ai toujours pensé, dans ce cas précis, qu'un jour ces pièces retourneraient chez elles. Je sens cela comme un mouvement historique normal, car ces objets ont été saisis dans des circonstances particulières qui sont aujourd'hui difficilement acceptables. [… ] Car ces 26 objets en retournant chez eux, au Bénin, vont aussi être créateurs d'un lien nouveau, que les populations d'Abomey construiront. » Donnons-lui raison par notre vote.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.