Intervention de Jean-Michel Clément

Séance en hémicycle du jeudi 3 décembre 2020 à 15h00
Carte vitale biométrique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Michel Clément :

Après avoir examiné votre proposition de loi visant à interdire la tarification sociale des transports en commun aux personnes vivant sans papiers sur notre territoire, voici que nous abordons un autre marronnier du groupe Les Républicains : la fraude à la carte Vitale.

Je veux dissiper ici tout risque de malentendu : la fraude sociale sous toutes ses formes constitue une réalité contre laquelle il faut lutter. Elle s'opère au détriment des citoyens et des politiques publiques de solidarité. La profonde détérioration de nos comptes sociaux renforce les réflexions sur ce sujet, comme il est bien normal. Néanmoins, l'instauration d'une carte Vitale biométrique était l'un des engagements de Nicolas Sarkozy durant la campagne présidentielle de 2012, ensuite repris par Marine Le Pen : mesurons la pertinence de cette idée à l'aune de ceux qu'elle inspire.

Je ne la rejetterai cependant pas sans un examen dépassionné, laissant de côté les fantasmes qu'elle suscite.

Intéressons-nous aux données : celles dont nous disposons sont par essence partielles, pour la plupart fondées sur les sommes effectivement recouvrées. Je vous invite tout de même à relativiser l'ampleur de la fraude à la carte Vitale. Je prendrai pour référence le rapport très éclairant de la commission des affaires sociales du Sénat sur ce texte. Il rappelle à juste titre que la fraude aux prestations d'assurance maladie ne constitue qu'une partie de la fraude aux prestations sociales ; que 22 % du préjudice financier qu'elle entraîne serait imputable aux assurés, contre 30 % aux établissements de santé et 47 % aux professionnels de santé. J'ajouterai, pour que nous ayons une idée des sommes en jeu, que la fraude à l'obtention des droits s'élèverait à 11 millions d'euros, soit moins de 5 % du montant total des fraudes détectées aux prestations d'assurance maladie. La part strictement liée à l'usurpation de la carte Vitale a donné lieu en 2018 au recouvrement d'1 million, c'est-à-dire 0,5 % de la fraude à l'assurance maladie. Nous voilà loin du phénomène de masse que certains dénoncent. En outre, l'existence de cartes surnuméraires, qui fait souvent croire à la circulation de fausses cartes Vitale, serait en réalité due au défaut d'actualisation par les caisses d'assurance maladie des données relatives à leur bénéficiaire.

Comparons à présent ces chiffres au coût humain, technique et financier d'un passage au biométrique. La proposition de loi initialement déposée au Sénat prévoyait le remplacement par des cartes biométriques de toutes les cartes Vitale existantes, ce qui aurait demandé vingt ans, 400 millions pour l'embauche du personnel nécessaire, 900 millions pour la création des cartes et 60 millions pour équiper les professionnels de santé. Ces prévisions exorbitantes ont conduit le Sénat à réduire la portée du texte, qui ne prévoit plus qu'une expérimentation ; mais son coût, forcément moindre, restera très élevé.

Monsieur le rapporteur, vous avouez vous-même regretter que si peu de données solides permettent de mesurer l'ampleur de cette fraude. Pourtant, vous vous appuyez sur elles pour proposer une réforme dispendieuse aux bénéfices incertains. Je voudrais également évoquer les questions de sécurité et de protection des données personnelles qu'elle soulèverait. La carte Vitale sert à établir des droits : nous pouvons supposer que les professionnels de santé refuseront très probablement de procéder à la vérification de l'identité du porteur.

Cela ne signifie pas que nous nous résignons à ne rien faire. Nous attendons les résultats des expérimentations en cours sur le déploiement d'une carte vitale dématérialisée. Nous souhaitons aussi évaluer l'efficacité des outils de contrôle renforcés par les deux derniers PLFSS. La mesure prévoyant que la carte Vitale ne sera plus valable tout au long de la vie mais pendant la période de validité des droits de l'assuré, prévue à l'article 1er bis, a d'ailleurs déjà été intégrée dans le PLFSS pour 2021.

Mais les auteurs de ce texte ne veulent pas proposer d'améliorations concrètes de la sécurité de la carte Vitale. Je pense que leur dessein est autre : il est de diffuser le soupçon, de laisser croire à une fraude généralisée, de dresser les citoyens respectueux des règles contre une masse de fraudeurs qui saperaient le fondement de la solidarité nationale. Pour toutes ces raisons, le groupe Libertés et territoires ne peut que voter contre ce texte.

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