Intervention de Olivia Gregoire

Séance en hémicycle du samedi 24 octobre 2020 à 15h00
Prorogation de l'état d'urgence sanitaire — Après l'article 4

Olivia Gregoire, secrétaire d'état :

M. Person ayant défendu ses trois amendements efficacement, je vais tenter de faire de même en défendant la position du Gouvernement et, si vous me l'autorisez, j'y répondrai un par un.

Commençons donc par l'amendement n° 113 . Je vous ai bien écouté, monsieur Person, et je ne vous ferai donc pas une réponse de constitutionnaliste.

En premier lieu, je dois rappeler, dans la droite ligne des propos du rapporteur, qu'il n'existe pas de lien manifeste et direct entre votre proposition et le projet de loi relatif à l'urgence sanitaire que nous examinons aujourd'hui.

Ensuite – et je prendrai ici quelques instants car il faut apporter une réponse claire – , cet amendement présente à l'évidence des difficultés juridiques. Le droit européen, que vous connaissez, est harmonisé par la directive de 2004 et protège les principes de liberté de circulation et d'établissement, qui ne peuvent subir de restriction excessive. Les restrictions que vous proposez ne sauraient se justifier que pour trois motifs : l'ordre public, la sécurité publique et la protection des intérêts essentiels de la sécurité de l'État.

Troisièmement, soyons clairs : cet amendement n'aurait pas de portée concrète et pourrait même être néfaste pour les sociétés qu'il vise à protéger. Une mesure limitée à l'état d'urgence sanitaire se bornerait à retarder de quelques mois des projets d'offre publique d'achat présentés par des acquéreurs potentiels, projets qui interviendront quoi qu'il advienne après la fin de cet état d'urgence. Cependant, votre amendement aurait un effet fortement négatif et immédiat sur la valorisation des entreprises susceptibles de faire l'objet d'une OPA, ce qui les fragiliserait davantage dans la période que nous traversons.

En quatrième lieu, je serai précise quant à ce que l'État et le Gouvernement font déjà depuis plusieurs années pour contrôler les opérations pouvant porter atteinte à certaines des entreprises stratégiques dans notre territoire : le dispositif de contrôle des investissements étrangers que le Gouvernement a renforcé, vous le savez, en abaissant de 25 % à 10 % le seuil de participation dans les entreprises sensibles nécessitant une autorisation, et ce jusqu'à la fin de l'année. Ensuite, l'Assemblée a largement adopté dans une récente loi de finances rectificative l'autorisation d'une enveloppe de 20 milliards d'euros pour donner les moyens à l'État d'investir dans des sociétés menacées. Enfin, et ce n'est pas le moindre des arguments, la Banque publique d'investissement est dotée, comme vous le savez, du fonds « Lac d'argent », que nous avons créé et qui est en passe d'atteindre 10 milliards d'euros. Son objectif consiste précisément à stabiliser le capital des entreprises françaises cotées.

En somme, je dirai deux choses sur cet amendement important. L'État français est très vigilant concernant les actions activistes et s'est doté depuis des années de toute une panoplie d'instruments, parmi les plus complètes d'Europe, pour protéger nos intérêts économiques. Je maintiens que ce texte n'est pas le bon vecteur pour cette mesure qui, en quelque sorte, ne ferait que déplacer ou retarder le problème que vous soulevez après la fin de l'état d'urgence sanitaire. En réalité, il demeurerait inchangé. Or je ne crois pas que vous cherchiez à le retarder, mais plutôt à le résoudre, et de manière pérenne. Néanmoins, je crois sincèrement, encore une fois, que votre amendement adresserait un signal fortement et immédiatement négatif à la communauté économique française.

Comme le ministre de l'économie, je comprends très bien votre objectif et je suis consciente de la qualité de la réflexion qui sous-tend votre amendement, mais je pense que le véhicule n'est pas adapté. Quoi qu'il advienne, le sujet que vous soulevez sera au coeur des discussions relatives au plan de relance. Je ne vous parle pas là d'un débat qui débutera dans six mois, ni même dans trois mois, mais lundi, en séance publique. Encore une fois, la question de la protection des intérêts stratégiques et de l'attractivité des entreprises françaises est au coeur du plan de relance : nous allons renforcer la souveraineté industrielle de la France et les fonds propres de nos entreprises.

Pour toutes ces raisons, le Gouvernement a une position claire : je demande le retrait de l'amendement no 113  ; à défaut, j'émettrai un avis défavorable.

Par ailleurs, l'amendement no 114 me paraît déséquilibré économiquement, car il porte atteinte à une convention légalement conclue entre une collectivité et une société titulaire d'une délégation de service public. Le respect des droits du cocontractant impose qu'une résiliation ne puisse intervenir que pour un motif d'intérêt général, et qu'elle donne lieu à une juste indemnisation du délégataire. Or il n'est pas établi que le changement de contrôle d'une société délégataire de service public constitue un motif d'intérêt général suffisant pour justifier la résiliation d'une convention – et ce, que le changement de contrôle intervienne pendant ou après l'état d'urgence sanitaire. Les changements de contrôle dans des sociétés attributaires de délégations de service public ou de concessions interviennent fréquemment, sans porter atteinte à la bonne exécution du contrat. Ils ont parfois même pour effet d'assurer la pérennité de l'entreprise, quand un nouvel actionnaire y injecte des ressources – oui, cela arrive ! – ou en consolide l'expertise. Enfin, L'indemnisation du cocontractant doit couvrir les pertes qu'il subit, mais aussi son manque à gagner. Le motif de résiliation préconisé par votre amendement serait déstabilisant pour la sécurité juridique et économique des contrats de délégation de service public, et susceptible de porter atteinte à la qualité des services offerts aux collectivités, tout comme à leurs administrés – je sais que vous y êtes sensible. Je demande donc le retrait de cet amendement aussi ; à défaut, mon avis sera défavorable.

J'en viens à l'amendement no 115 . Ayant promis de ne pas faire une réponse de constitutionnaliste, je ne redirai pas que son lien direct avec le texte peut être questionné. Quoi qu'il en soit, cet amendement est inopérant en pratique : le contrôle exercé par l'État porterait sur une entreprise qui serait déjà titulaire d'une convention de délégation de service public, laquelle ne pourrait être résiliée que pour un motif d'intérêt général, sur la base d'une indemnisation équitable.

Plus fondamentalement, cet amendement préconise d'appliquer la procédure de contrôle des investissements étrangers en France à des sociétés titulaires de délégations de service public, sans considération de leur nationalité. Cela consisterait, en quelque sorte, à soumettre les entreprises françaises à des contrôles approfondis, aujourd'hui réservés à des opérations qui, conduites par des investisseurs étrangers, revêtent un caractère stratégique ou sont susceptibles de porter atteinte aux intérêts de la nation. Une telle obligation aurait un caractère disproportionné ; elle pourrait pénaliser nos entreprises – ce qui serait inopportun dans la période actuelle – mais aussi l'ensemble des collectivités locales, dont la capacité d'investissement et de délégation serait entravée.

Je demande donc le retrait de ces trois amendements ; à défaut, avis défavorable.

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