Intervention de Frédérique Dumas

Séance en hémicycle du mardi 21 juillet 2020 à 15h00
Prorogation de mesures du code de la sécurité intérieure — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrédérique Dumas :

Avec ce projet de loi, vous nous proposez de proroger les quatre premiers articles de la loi du 30 octobre 2017 renforçant la sécurité intérieure et la lutte contre le terrorisme, ainsi que l'article 25 de la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Cette demande nous apparaît justifiée eu égard aux conséquences de la crise sanitaire sur le calendrier parlementaire.

Il était cependant indispensable de ne pas les proroger au-delà du raisonnable. C'est pourquoi le groupe Libertés et territoires se réjouit de la réduction du délai de prorogation d'un an à six mois, adoptée à la fois par la commission de la défense, saisie pour avis, et par la commission des lois, saisie au fond.

La clause de révision est en effet un acquis important car, si le projet de loi que vous nous présentez ne pose pas de difficulté au groupe Libertés et territoires, nous avons des réserves de fond, qui concernent tant la loi SILT que la loi relative au renseignement. Une évolution du cadre légal est absolument nécessaire, et notre groupe y prendra toute sa part le moment venu.

À cet égard, j'aimerais m'attarder sur l'expérimentation de la technique dite de l'algorithme pour le recueil du renseignement. Il est indispensable que le Gouvernement fasse un bilan précis de cette mesure et « un bilan plus général de l'application du cadre légal entré en vigueur en 2015 », comme l'a souligné la CNCTR dans son rapport d'activité 2019. En effet, la pratique a révélé que certaines dispositions de la procédure posaient des difficultés d'application ; il est donc nécessaire de les rectifier. En outre, certains encadrements sont trop souples, d'autres sont trop rigoureux, ce qui appelle des ajustements. La CNCTR a d'ailleurs proposé une extension du droit au recours contentieux en matière de surveillance internationale et des modifications législatives portant sur certains aspects techniques ou procéduraux.

Par ailleurs, cela a été rappelé, des instances sont en cours devant les juridictions européennes. Le Gouvernement devra tirer toutes les conséquences des décisions qui seront rendues par la Cour de justice de l'Union européenne, saisie de plusieurs questions préjudicielles relatives à la conservation des données de connexion, et par la Cour européenne des droits de l'homme, la CEDH. Deux instances sont en cours devant les juges de Strasbourg au sujet de la conformité aux stipulations de la convention européenne des droits de l'homme – en particulier le droit au respect de la vie privée – de dispositions légales régissant le partage international de données entre services de renseignement. Notons également que quatorze requêtes ont été introduites devant la CEDH par des avocats et des journalistes contre la loi du 24 juillet 2015 relative au renseignement. Elles sont toujours pendantes.

En ce qui concerne les dispositions des articles 1er à 4 de la loi SILT, qui ont permis de sortir de l'état d'urgence en dotant l'autorité de police administrative de pouvoirs spécifiques en matière de prévention d'actes de terrorisme, nous serons extrêmement vigilants, car elles sont particulièrement sensibles du point de vue des droits et des libertés individuelles. Au demeurant, rien n'indique qu'elles sont utiles et plus efficaces que le droit commun. C'est pourquoi notre groupe estime indispensable qu'une évaluation indépendante soit menée. Celle-ci pourrait nourrir le travail de réflexion des députés, qui auront in fine la tâche de les reconduire ou non, selon les modalités qu'ils auront définies.

Une demande en ce sens avait d'ailleurs été formulée par la rapporteure spéciale compétente du Conseil des droits de l'homme des Nations unies, lors de sa visite en France en 2018. À cette occasion, elle avait émis quelques recommandations relatives à la loi SILT. J'en citerai deux : établir si les dispositions de la loi sont utiles compte tenu des principes de nécessité, de proportionnalité et de non-discrimination ; renforcer le contrôle que le Parlement exerce sur les autorités chargées de lutter contre le terrorisme et d'assurer la sécurité nationale.

Pour conclure, je veux évoquer les MICAS. Leur nombre augmente, principalement parce que leur utilisation s'est orientée vers les personnes sortant de prison. Pourtant, ces mesures sont un frein à la réinsertion : la personne frappée d'une MICAS est placée dans un cercle vicieux aux effets contre-productifs. Par ailleurs, il convient de s'interroger sur la place du juge judiciaire dans la mise en oeuvre des MICAS. Certes, le juge de la détention et des libertés entre en jeu, mais il n'intervient pas de la même façon que le juge judiciaire. Pour notre groupe, il est essentiel de redonner au juge judiciaire toute sa place dans le dispositif.

Le groupe Libertés et territoires votera ce projet de loi de simple prorogation, mais cela ne nous empêchera pas, vous l'aurez compris, d'être extrêmement vigilants lorsque nous serons amenés à analyser, dans quelques mois, le fond des mesures de la loi SILT.

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