Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du jeudi 4 juin 2020 à 9h00
Nécessité d'une bifurcation écologique et solidaire — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

La crise sanitaire a amplifié le message principal de cette résolution, énoncé depuis des années par les scientifiques, les organisations non gouvernementales, la jeunesse. Ce message est qu'il y a urgence vitale, civilisationnelle à changer de cap. La pandémie de covid-19 nous a placés face à nos responsabilités : destruction des habitats naturels, élevage intensif, mondialisation débridée et urbanisation frénétique ont participé à la transmission du virus de l'animal à l'humain et à sa propagation. Cette crise a remis en lumière des inégalités, qu'elle a encore exacerbées ; tout le modèle néolibéral est mis en cause. Elle nous a également rappelé quelles devraient être nos priorités : la protection de tous et toutes, les biens communs et services publics, les métiers et salariés qui assurent notre survie au quotidien. Enfin, elle a pointé quels étaient les leviers pour répondre à ces besoins : la solidarité, la mobilisation collective et un État stratège, capable d'anticiper et de planifier.

Aujourd'hui, il est beaucoup question du monde d'après, qui devrait voir le jour une fois l'épreuve surmontée. À La France insoumise, nous pensons que ce monde d'après se construit dès maintenant ; il ne doit pas y avoir de retour à la normale, car c'est précisément la normalité qui est le problème. La question est donc : dans quelle direction souhaitons-nous orienter la société ?

Le Gouvernement parle de relance ; nous disons « bifurcation ». Il veut sauver le monde d'avant ; nous proposons de bâtir un autre monde, en commun. L'accélération du changement climatique est documentée depuis plus d'un demi-siècle, mais aucune politique d'ampleur n'a jamais encore été déployée pour y faire face. Le projet de pacte vert – le Green Deal de la Commission européenne – était déjà insuffisant avant la crise ; il est désormais obsolète. Nous proposons un chemin pour répondre à l'urgence et construire, sur le long terme, une société plus résiliente et solidaire. L'emprunter nécessite un changement complet de paradigme et une restructuration de fond en comble des économies.

Des évolutions de cet ordre ont déjà eu lieu, notamment après la seconde guerre mondiale en Europe, sous la houlette d'États, dont la puissance publique était, et reste encore, seule capable de susciter et de rendre cohérentes les transformations nécessaires. Ainsi, la planification, qui fut décisive pour reconstruire un pays en ruine, peut et doit être utilisée pour le faire bifurquer dans la direction de la soutenabilité écologique et de la justice sociale. Pour voir clair et loin, nous avons besoin de nouveaux outils statistiques, qui intègrent, à tous les niveaux, les retombées environnementales, préparent les mutations structurelles et inscrivent dans des trajectoires longues. Ainsi, nous pourrons désinvestir les énergies fossiles et nucléaires et investir massivement dans les énergies renouvelables – l'objectif est de décarboner totalement l'économie d'ici dix ans. Il s'agit de transformer nos modes de production, de diminuer nos niveaux de consommation des ressources naturelles, d'organiser la sobriété et l'efficacité énergétiques, de développer des usages plus soutenables et de restaurer et préserver les écosystèmes. Sortons du productivisme, qui mène à l'épuisement des sols comme des agriculteurs. Relocalisons l'industrie et allongeons la durée de vie des objets, en mettant un terme à l'ère du tout jetable et de l'obsolescence programmée au profit de l'entretien et de la réparation. Développons et valorisons les métiers du soin et du service public. Tout cela créera des millions d'emplois, quand ils ne seront pas déjà garantis par l'État. Ces mutations ne peuvent réussir que si toute la population en prend la décision et y participe activement, que si chacun et chacune y contribue selon ses moyens et reçoit selon ses besoins.

En effet, rappelons-le, nous ne sommes pas égaux face à la catastrophe, en matière de responsabilité ou de conséquences. Cent entreprises multinationales émettent plus de 70 % des gaz à effet de serre au niveau mondial, 0,5 % des plus riches produisent 13 % des émissions de CO2 liées au mode de vie et les pays les plus pauvres ont le plus faible impact écologique négatif, alors qu'ils subissent le plus durement les conséquences du changement climatique. Démocratie, justice sociale et justice environnementale sont liées.

Au-delà de cette assemblée, cette résolution s'adresse à Greta Thunberg, Ridhima Pandey, Autumn Peltier, Leah Namugerwa, Mari Copeny et aux jeunes en grève pour le climat partout dans le monde ; aux familles des « sans terre » qui se battent pour développer une agriculture écologique au Brésil, comme aux gilets jaunes qui se sont révoltés en France contre les fin de mois impossibles ; aux habitants et habitantes de Flint empoisonnés par l'eau, comme à celles et ceux des Antilles contaminés au chlordécone ; aux salariés menacés de licenciement alors que leurs entreprises ont bénéficié de milliards d'argent public en France, comme aux ouvriers du Bangladesh qui perdent la vie dans les ateliers de misère ; aux enfants exploités dans les mines du Congo pour enrichir les géants du numérique ; à toutes celles et ceux qui luttent chaque jour pour un monde plus vivable, respirable et juste. Nous ne promettons pas une révolution tranquille, nous esquissons quelques jalons d'un immense défi collectif à relever ; nous aspirons non à la recherche du profit maximum, mais à la préservation de l'écosystème, qui rend la vie humaine possible, et à la construction d'un monde qui la rend belle et digne d'être vécue. Pour retrouver le goût du bonheur et que viennent les jours heureux, mesdames et messieurs les députés, nous vous appelons à voter pour cette proposition de résolution.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.