Intervention de Joaquim Pueyo

Séance en hémicycle du mercredi 20 mai 2020 à 15h00
Débat sur l'opportunité d'une quatrième révolution industrielle écologique et numérique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJoaquim Pueyo :

Nos collègues du groupe MODEM nous invitent à nous pencher sur les possibilités ouvertes par la quatrième révolution industrielle et à réfléchir à ses conséquences sur le monde à venir, à la lumière de la crise sanitaire.

Il me semble impératif que cette révolution industrielle soit pensée comme une chance pour nos territoires. S'il est une caractéristique de ce changement global, c'est bien la place centrale donnée au numérique. Or le développement de toutes les capacités offertes par celui-ci est insuffisant dans certains de nos territoires. La dématérialisation des échanges et le développement de nouvelles technologies vont faciliter les contacts entre des territoires et populations éloignés, ce qui permet d'agir sur l'aménagement du territoire en faveur des zones rurales, périurbaines et des villes moyennes.

Si l'on peut considérer cette évolution comme une chance, c'est en ce qu'elle facilitera grandement l'avènement d'un nouvel acte fort de décentralisation. Alors que les deux premières révolutions industrielles ont eu pour effet la concentration de larges parts de la population autour des lieux de production, comme les usines, entraînant une urbanisation massive, il nous faut saisir les éléments positifs du changement profond que nous vivons pour rééquilibrer nos territoires. Cette évolution industrielle doit prendre en compte les acteurs économiques – petites et moyennes entreprises, agriculteurs, éleveurs, artisans, commerçants, ouvriers, employés – qui veulent faire autrement, notamment dans les territoires où l'on sauvegarde des moyens de production alternatifs. Ce mot ne renvoie pas à mes yeux à une production marginale ou excentrique, mais au maintien ou au retour de techniques productives en adéquation avec les besoins et les enjeux de demain : agroécologie, respect des cultures, saisonnalité, distribution et consommation responsables. L'amélioration technologique doit offrir des modèles protégeant nos agriculteurs, nos producteurs, nos éleveurs, nos commerçants, nos artisans et nos employés en leur permettant d'améliorer concrètement l'écoulement de leur production dans le respect de la démarche dans laquelle ils sont engagés.

Cette révolution doit aussi améliorer le secteur des services. Comme nous avons pu le voir pendant la crise liée au covid-19, les possibilités ouvertes par le télétravail, par exemple, représentent un bouleversement aussi bien dans la relation au travail que dans les interactions entre les personnes. Mais se posent des questions relatives à l'augmentation de la productivité constatée en télétravail, au droit à la déconnexion, à l'assimilation de son lieu de résidence à son environnement de travail – autant de points à considérer si nous devons nous acheminer vers une modification des pratiques. Les opportunités offertes par la quatrième révolution industrielle devront être un moyen pour accompagner ce que nous décidons et non un modèle imposé. La robotisation, les processus de production fondés sur des algorithmes sous prétexte d'augmentation infinie de la productivité… Voilà ce dont nous ne voulons pas.

Autre enjeu, peut-être le plus important : cette quatrième révolution industrielle doit et devra placer l'humain au centre. Toutes les révolutions industrielles ont eu un impact sur la manière de vivre des hommes et des femmes qui composent nos sociétés ; celle qui est en cours bouleversera peut-être plus qu'aucune autre auparavant nos relations sociales et économiques. Elle aura des incidences considérables sur le marché du travail : la robotisation et le développement de l'intelligence artificielle détruiront un très grand nombre d'emplois ; certaines tâches seront supprimées car devenues inutiles, d'autres seront effectuées par des robots. Que sont les capacités d'un humain face à la vitesse de calcul, de communication et d'analyse de ces technologies ? La dématérialisation bouleversera nos relations interpersonnelles : si tout passe par internet, que le traitement est effectué par une intelligence artificielle et la livraison, par de nouveaux moyens techniques, que restera-t-il du rapport humain ? Que restera-t-il de la possibilité de découvrir un livre sortant des calculs algorithmiques qui dépendent de nos historiques de recherche ? Pensons aux portes qui se ferment et à l'enfermement dans des goûts imposés car plus rentables. Qu'en sera-t-il également de la sécurité de nos données d'ores et déjà abondamment collectées et utilisées à des fins commerciales ?

Si l'humain est profondément touché par cette révolution industrielle, celle-ci doit l'impliquer : la concertation et la décision doivent revenir aux hommes et aux femmes qui composent notre société. Pour faire un choix conscient, ils auront besoin d'une connaissance de ces processus. Quelles que soient les spécificités de chaque révolution industrielle, elles doivent prendre en compte l'humain, qu'elles ont trop souvent oublié. Oui à la technique et à la technologie comme facteurs de développement, à condition qu'elles améliorent les situations des hommes et des femmes tout en respectant nos écosystèmes. L'enjeu n'est donc pas de savoir si nous sommes pour ou contre une révolution qui est déjà engagée, mais d'en fixer les objectifs, faute de quoi nous devrons, une fois de plus, passer après pour protéger ceux qui auront été abîmés par ses avancées.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.