Intervention de Fabien Roussel

Séance en hémicycle du lundi 6 novembre 2017 à 15h00
Projet de loi de finances rectificative pour 2017 — Motion de rejet préalable

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFabien Roussel :

… vient d'ailleurs d'annoncer que la Commission européenne allait saisir la Cour de justice de l'Union européenne pour attaquer l'Irlande, un pays qui n'a toujours pas récupéré auprès d'Apple les 13 milliards d'euros d'impôts impayés, comme Bruxelles le lui avait ordonné. Nous verrons bien avec quelle célérité la Cour de justice s'exécutera et quels recours Apple et l'Irlande utiliseront.

Pour notre part, nous constatons malheureusement que les lobbies à l'oeuvre dans les couloirs du Parlement, du Conseil et de la Commission européenne semblent décidément bien puissants. Mais face à ce mur de l'argent, face aux bataillons d'avocats champions de l'optimisation fiscale, faut-il se décourager et renoncer à l'esprit de cette taxe ? Faut-il cesser d'encourager ceux qui investissent ? Faut-il renoncer à adapter notre système fiscal afin de le rendre incitatif pour ce qui est bénéfique à notre société et dissuasif pour ce qui lui est nocif ? Non et trois fois non !

Pas question de renoncer, surtout après que nous avons appris, jeudi, du ministre lui-même, que ce ne sont pas 5,7 milliards que nous réclament ces grands groupes financiers, mais 10 milliards d'euros, dont 1 milliard pour les seuls intérêts ! C'est énorme ! C'est un vrai hold-up !

Voilà les noms de ces bankers, ceux qui nous ont envoyé leurs spécialistes fiscaux pour traduire la France devant un tribunal et lui réclamer 10 milliards d'euros : l'AFEP en premier de cordée, avec Axa, Michelin, Danone, Engie, Eutelsat, LVMH, Sanofi, Suez Environnement, Technip, Total, Vivendi. Ce sont 10 milliards d'euros que la France devra rembourser, rubis sur l'ongle, à des groupes qui n'acceptent pas qu'elle leur ait taxé, il faut le rappeler, 3% sur les 300 milliards d'euros de dividendes si généreusement distribués au cours des cinq dernières années. Et les voilà qui, par l'intermédiaire du MEDEF, montrent les dents pour récupérer ce qu'ils estiment être un dû, sans rien laisser sur le bord du chemin.

Et c'est bien cela qui nous est imposé, puisque la décision du Conseil constitutionnel est plus sévère que celle de la Cour de justice de l'Union européenne, en nous obligeant à rembourser la totalité de la taxe, intérêts compris. C'est ainsi que nous sommes passés, en l'espace de quelques jours, de 5 à 10 milliards d'euros.

Face à ce contentieux fiscal, le schéma que vous nous proposez aujourd'hui, monsieur le ministre, est le suivant : créer une surtaxe exceptionnelle sur l'impôt sur les sociétés, à la charge des très grandes entreprises, qui devrait rapporter environ 5 milliards d'euros dès cette année. Les 5 milliards restants seraient supportés par les Français, par le biais de mesures d'économies sur la dépense publique ou par du déficit supplémentaire. C'est une honte pour notre pays où la pauvreté s'aggrave, où la société doit faire face à des déserts médicaux, où des millions de familles sont mal logées.

À la base, pourtant, l'idée de surtaxer l'impôt sur les sociétés pour les grands groupes est bonne. Nous l'avions d'ailleurs proposée, sous la forme d'une taxe sur le chiffre d'affaires, lors de la discussion du projet de loi de finances. Vous aviez rejeté cet amendement, mais nous resterons beaux joueurs : une bonne initiative, même lorsqu'elle est reprise par d'autres, reste une bonne initiative !

C'est bien pourquoi nous vous proposons de la pérenniser ! Cette contribution, d'abord exceptionnelle, pourrait devenir ensuite une contribution de solidarité. Dès la deuxième année, nous pourrions baisser le taux de 15 % à 7,5 %, ce qui nous paraît un taux responsable et juste, en échange d'une pérennisation. C'est la proposition que nous vous faisons.

Cette pérennisation présenterait trois avantages. Elle remplacerait la perte de recettes pour l'État qui découle de la suppression de la contribution additionnelle de 3 % – 2 milliards d'euros environ. Elle éviterait le pilotage des résultats et des pratiques d'optimisation fiscale. Enfin, elle permettrait de ne pas faire payer la note aux Français en dégageant les 5 milliards d'euros manquants.

En effet, monsieur le ministre, le projet de budget qui nous réunit aujourd'hui ne remplit que la moitié de l'objectif. Vous restez au milieu du gué, ce qui est une position fort inconfortable, convenez-en. Il reste ainsi 5 milliards d'euros à trouver pour solder ce contentieux fiscal.

En commission, jeudi dernier, vous nous avez expliqué que ces 5 milliards seraient financés à partir de 2018 par du déficit supplémentaire. De tels propos m'ont surpris, car cette soudaine tolérance au déficit, quand il s'agit de rembourser les grands groupes, pose question. Quid du fumeux argument du « poids de la dette que l'on ferait peser sur les générations futures », moult fois entendu lors des discussions budgétaires ? Quid des intérêts que devra payer la population sur ce surplus de déficit ?

Votre choix renforce le sentiment d'un « deux poids, deux mesures » absolument injuste au regard des efforts que vous imposez déjà à nos concitoyens. Comment demanderez-vous aux Français de rogner sur des dépenses essentielles quand, dans le même temps, vous multipliez à l'infini les cadeaux aux plus fortunés et aux grands groupes ? Ainsi, vous allez rembourser ces 10 milliards, dont 5 milliards que paieront directement les Français, quand des retraités sont frappés de plein fouet par la hausse de la CSG, sans être exonérés de la taxe d'habitation ? Certains couples de retraités vont ainsi perdre l'équivalent d'un mois de SMIC net par an : il est à présent certain que ce budget n'est pas fait pour eux.

Pire, en leur demandant de payer, dès 2018, les 5 milliards à régler sur ce contentieux, vous demandez aux Français de financer les dividendes de ces grands groupes. Où partiront ces 10 milliards d'euros ? Personne n'est dupe.

Face à une telle injustice, malgré ce déséquilibre flagrant, le MEDEF, dans une indécence assumée, continue de réclamer « son dû », sans imaginer un instant devoir contribuer à l'effort national. Monsieur le ministre, vous en avez appelé au sens civique des grandes entreprises pour faire accepter votre surtaxe exceptionnelle.

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