Intervention de Bertrand Sorre

Séance en hémicycle du mercredi 12 février 2020 à 15h00
Encadrement de l'image des enfants sur les plateformes en ligne — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBertrand Sorre :

Cette proposition de loi visant à encadrer l'exploitation commerciale de l'image d'enfants de moins de 16 ans sur les plateformes en ligne traite d'un phénomène de société d'envergure mondiale : celui des « enfants youtubeurs ». En effet, depuis de nombreuses années, nous constatons une multiplication de créations de chaînes et de diffusions de vidéos mettant en scène des enfants sur des plateformes numériques publiques. Cette recrudescence de vidéos familiales partagées sur internet nous oblige à réagir en tant que législateur, afin de combler le vide juridique qui existe dans le droit français et, ce faisant, de mieux protéger nos enfants. Ces situations de fait existent ; nous les constatons tous les jours lorsque nous surfons sur internet, que ce soit sur les différentes plateformes publiques ou sur les nombreux réseaux sociaux.

Si ce nouveau phénomène prend une ampleur considérable, c'est aussi parce qu'il peut générer d'importants revenus pour les parents et les plateformes. Certaines vidéos et chaînes ont une audience très forte, comptant jusqu'à plusieurs millions d'abonnés et totalisant des milliards de vues à travers le monde.

Je tiens à rappeler que l'objet premier de ce texte est de protéger l'intérêt des enfants : il n'a pas vocation à autoriser le travail des mineurs, lequel est strictement interdit et le demeurera.

Les dispositions de la proposition de loi visent à créer un nouveau cadre juridique pour les enfants dont la relation de travail avec leurs parents n'est pas caractérisée. Elles élargissent aux enfants youtubeurs les dérogations existantes, sur le modèle du régime applicable aux enfants du spectacle et aux enfants mannequins, dont le lien de travail avec leurs parents est établi. Les départements seront ainsi les principaux acteurs pour délivrer l'agrément aux parents et formuler des recommandations quant aux modalités de réalisation des vidéos mises en ligne, notamment en ce qui concerne les durées maximales quotidiennes et hebdomadaires souhaitables.

Par ailleurs, nous constatons que les entreprises et grandes marques profitent pleinement de ce nouveau filon et de la notoriété de certains enfants afin de faire du placement de produits. Or, en l'état actuel de notre droit, l'enfant qui travaille ne bénéficie d'aucune protection juridique, et il n'est pas non plus assuré qu'une fois majeur les revenus générés lui reviendront. Il subit donc en quelque sorte une double peine.

De plus, même si ces vidéos montrent souvent un moment quotidien en famille, d'autres, sous couvert de lancer des défis, posent question. Un exemple parmi tant d'autres autre est celui du « cheese challenge », qui consiste à envoyer des tranches de fromage au visage d'un enfant. Ce genre de défi, ayant pour but de divertir le plus large public, prend ainsi la forme de vidéos extrêmement dégradantes. Aux États-Unis, des cas ubuesques, filmés et diffusés, ont d'ailleurs permis d'identifier des cas de maltraitance infantile. Ces abus sont très inquiétants, et ces moments immortalisés et diffusés sur internet soulèvent de nombreuses questions, principalement celles de l'intérêt de l'enfant et de son développement psychologique.

Pour l'heure, nous ne disposons en effet d'aucun recul sur les effets psychologiques liés à cette exposition médiatique des enfants, sur l'augmentation du cyberharcèlement dont ils peuvent être victime, ou encore sur l'augmentation de la pédopornographie dont ils peuvent être la cible. C'est à ce titre que l'un des points forts du texte est de prévoir un droit à l'oubli numérique. Appelé aussi droit à l'effacement, il fait aujourd'hui partie des droits fondamentaux s'agissant du traitement des données personnelles. Il est ainsi prévu que sur demande du mineur la ou les vidéos pourront être retirées de la plateforme dans les meilleurs délais. Cette disposition apparaît nécessaire et même indispensable.

Pour conclure, j'ajouterai que cette proposition de loi est pionnière en matière de protection des droits de l'enfant sur internet : à ce jour, aucun autre État au monde n'a encore légiféré sur le sujet. Elle s'inscrit également dans un mouvement plus large, engagé par notre majorité, comprenant les votes des propositions de loi relatives à la lutte contre la manipulation de l'information et à la lutte contre la haine sur internet.

Aussi, comme lors du vote en commission, j'appelle l'ensemble des députés à approuver cette proposition de loi à l'unanimité. En ce qui concerne le groupe La République en marche, engagé depuis le premier jour pour la défense des droits l'enfant, il votera en faveur de ce texte avec une très grande conviction.

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