Intervention de Thomas Bourdel

Réunion du jeudi 21 novembre 2019 à 10h10
Mission d'information sur l'incendie d'un site industriel à rouen

Thomas Bourdel, médecin radiologue, fondateur du collectif Strasbourg respire :

Je suis médecin, j'ai créé le collectif « Strasbourg respire ». Je suis également dans le collectif « Air Santé Climat », avec mes deux voisins. J'ai publié des études scientifiques médicales, notamment sur les effets cardiovasculaires de la pollution de l'air. Comme Jean-Baptiste Renard, je vais insister sur un problème qui n'est pas spécifique à Lubrizol. Il s'agit du fait qu'en France et en Europe, nous ne dosons pas forcément les bons polluants, notamment sur les particules fines. Nous dosons en routine les grosses particules, les PM10, un peu les PM2.5, mais pas du tout les particules ultrafines, qui sont des très petites tailles inférieures à 0,1 micromètre. Nous savons que ce qui sort d'une voiture, d'une cheminée ou d'une usine, notamment lorsqu'il y a un incendie, ce sont essentiellement ces particules ultrafines qui sont dangereuses, parce qu'elles sont de très petite taille. Elles ne s'arrêtent plus aux poumons, elles passent dans le sang. Elles touchent tous les organes, le cerveau. Elles vont pouvoir toucher la femme enceinte. Elles ne sont plus filtrées par le placenta. Elles donnent des maladies cardiovasculaires et des cancers. À la surface de ces particules ultrafines, nous trouvons vraiment les composés dangereux, notamment les fameuses HAP. Il y en a plus d'une centaine, et nous les retrouvons essentiellement à la surface des particules ultrafines. À côté de ces HAP, à la surface des particules ultrafines, nous allons trouver des dioxines et des métaux. Tout ce qui concentre les composés toxiques, ce sont les particules ultrafines. Ce sont celles que nous n'avons pas dosées. J'ai lu que les laboratoires qui avaient dosé les particules s'étaient concentrés sur les PM10, les grosses particules, en disant que c'était suffisant, mais de ce fait, nous sommes probablement passés à côté de nombreux polluants. De plus, nous avons dosé les HAP via des lingettes. Je ne remets pas en cause le procédé, mais nous avons passé des lingettes sur les meubles.

Nous sommes partis du principe que comme il a plu, une grande partie des particules fines sont passées de l'air au sol, ce qui est relativement logique, la pluie étant le meilleur allié de la pollution de l'air. Les particules fines sont retombées sur le sol, nous avons dosé les HAP via des lingettes passées sur certaines surfaces.

Or, quand nous utilisons ce procédé, nous dosons essentiellement les HAP de grosse taille, notamment ceux qui sont présents à la surface des grosses particules, et nous ratons les HAP qui sont à la surface des particules ultrafines. Par ailleurs, nous n'avons pas dosé les HAP gazeux. Les HAP peuvent être à la surface des particules, mais également sous forme de gaz. Nous n'avons pas du tout dosé les HAP qui sont sous forme de gaz. Nous avons dosé quelques hydrocarbures de type benzène, toluène, pyrène, mais nous n'avons pas dosé les HAP sous forme gazeuse. Là aussi, en termes de mesure, il y a probablement des insuffisances. J'ai lu qu'il avait plu peu de temps après cet accident, ce qui a permis qu'une grande partie du nuage et des particules retombe dans le sol, et a transformé une bonne partie de la pollution qui aurait dû être essentiellement dans l'air, en pollution des sols, de l'eau et des aliments. Cela a mené aux restrictions que nous avons connues concernant le lait, etc.

Ensuite, vous parlez d'un évènement exceptionnel. C'est faux. C'est un évènement qui n'est pas du tout exceptionnel. Les incendies dans les installations classées sont nombreux à Strasbourg, qui est une des villes en France qui concentre le plus d'installations classées, peut-être autant, voire plus que Rouen. Nous avons eu ces deux dernières années cinq incendies d'installations classées, avec des photos de nuages, qui ressemblent étrangement à celui de Lubrizol. Heureusement, ces incendies ont été rapidement maîtrisés. Nous n'avons pas eu de telles retombées, mais les incendies dans les installations classées ne sont pas des évènements rares. Cela arrive malheureusement très souvent.

Nous avons beaucoup insisté sur la toxicité aiguë. Nous avons signé une tribune dans le journal Le Monde, avec notre collectif « Air Santé Climat », pour dire que ce qui nous semble le plus dangereux pour ces installations classées, ce ne sont pas tellement les toxicités aiguës, même s'il y a une dangerosité temporaire de ces explosions. Nous avons surtout insisté dans cette tribune pour dire que ces installations classées polluent de façon chronique, tous les jours, d'année en année, sans que les gens ne s'en rendent compte et soient alertés. Certes, quand il y a une explosion, les gens se rendent compte qu'ils vivent à côté d'une installation classée, mais ils n'y pensent pas le reste de l'année. Pourtant, ce sont des installations qui polluent beaucoup. Elles bénéficient de beaucoup de dérogations. Toutes les installations classées bénéficient ainsi du système de l'auto surveillance, ce qu'on appelle l'« auto-déclaration ». Elles déclarent elles-mêmes leurs émissions. Il est incroyable de demander à un pollueur de déclarer de lui-même ses polluants. C'est comme si avant de payer votre vignette Crit'Air, on vous demandait d'auto déclarer la pollution de votre véhicule pour payer moins. Plus une industrie pollue, plus on lui donne de dérogations. Ce sont les entreprises de type Lubrizol. Toutes les installations classées bénéficient de ce régime de l'auto surveillance et elles ont des contrôles indépendants des directions régionales de l'environnement, de l'aménagement et du logement (DREAL), au mieux une fois tous les cinq ans.

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