Intervention de Ericka Bareigts

Séance en hémicycle du jeudi 12 décembre 2019 à 15h00
Politiques publiques contre les moustiques aedes et les maladies vectorielles — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEricka Bareigts, rapporteure de la commission des affaires sociales :

Elle n'a pas vocation à instruire le procès de quiconque mais bien à regarder avec intelligence et volontarisme l'ampleur de la tâche et des dangers qui se dressent devant nous. Je commencerai par citer le directeur général de la santé, le Pr Salomon, qui a rappelé, lors de son audition en juillet dernier que « les maladies vectorielles ont un impact social, économique et sanitaire » et que les territoires d'outre-mer, touchés par le paludisme, la dengue, le chikungunya ou encore le virus zika, avaient payé un lourd tribut. Le point commun à l'ensemble de ces maladies est la prolifération particulière d'Aedes albopictus, considéré comme leur principal vecteur. Deux faits majeurs sont à l'origine de cette prolifération intense, massive et rapide.

Il s'agit, d'abord, de la globalisation des échanges, prix de notre modèle de développement. La liberté de circulation des biens et des personnes a largement contribué à la propagation de ces vecteurs. C'est ainsi qu'Aedes albopictus se répand dans le monde. L'ANSES, l'Agence nationale de sécurité sanitaire de l'alimentation, de l'environnement et du travail, a notamment souligné que l'extension de l'aire géographique du moustique tigre à la France hexagonale est concomitante du commerce des pneus.

La liberté de circulation des personnes, ensuite, contribue à ce que les individus virémiques participent activement à l'expansion des maladies vectorielles.

Chacun comprendra que cette globalisation des échanges constitue une difficulté singulière car elle soulève la question de la surveillance sanitaire aux frontières, dans les ports et aéroports, rendue complexe par le caractère asymptomatique de ces maladies. Ce phénomène est appelé à s'amplifier dans les années à venir, en raison du réchauffement climatique. J'avais ainsi souligné en commission que le Pr Desenclos indiquait, le 24 juillet dernier, qu'en fonction des scenarii climatiques, l'aire de propagation du moustique tigre pourrait s'étendre jusqu'à Oslo. La colonisation du territoire hexagonal est inéluctable. Nous devons accepter cette réalité et nous préparer sans tarder à être résilients, par la prévention et la lutte contre les gîtes larvaires, afin d'éviter autant que possible les épidémies.

Le constat me semble suffisamment grave pour solliciter toute notre attention. Ces maladies vont devenir un fléau important – ce n'est pas moi qui l'affirme, mais le directeur général de la santé, en juillet 2019. Alors qu'il est arrivé en France continentale en 2004, le moustique tigre est déjà présent dans soixante départements hexagonaux. Cela démontre la rapidité du processus de colonisation et notre faiblesse pour y faire face.

Les données de Santé publique France sont claires : le phénomène s'aggrave de façon alarmante ici, en France continentale, non seulement en nombre de cas mais surtout avec l'apparition de cas autochtones. On a dénombré 189 cas importés de dengue en 2018, puis 657 en 2019 ; 6 cas importés de chikungunya en 2018, puis 56 recensés en 2019 ; 8 cas autochtones de dengue en 2018, et 12 en 2019. Plus récemment, 3 premiers cas autochtones hexagonaux de zika ont été confirmés dans la commune de Hyères, dont le maire a pourtant déployé un véritable plan Marshall dans ce domaine.

Nous le savons, le climat tempéré que connaissait l'Hexagone jusqu'à présent va évoluer. Les prévisions du GIEC – Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat – font état d'épisodes de fortes pluies, propices aux inondations et à la création de nombreux nids de prolifération de moustiques Aedes.

Certes, comparaison n'est pas raison ; j'aimerais néanmoins partager avec vous quelques exemples d'épidémies connues chez moi, à La Réunion. En 2005-2006, le chikungunya a touché 266 000 personnes, dont 267 sont décédées. Rapportés à la population de l'Hexagone, ces chiffres équivalent à plus de 22 millions de personnes touchées et plus de 22 000 morts – des chiffres supérieurs au bilan de la canicule de 2003. L'épidémie de dengue que connaît La Réunion depuis maintenant près de deux ans représenterait quant à elle près de 2 millions ce cas, 180 000 passages aux urgences et plus de 1 500 morts.

L'ensemble de ces éléments conduit à s'interroger sur la capacité de notre État à affronter cette réalité complexe, instable, nouvelle pour nos concitoyens de l'Hexagone, et à mettre en place des dispositions destinées à lutter, réduire ou annihiler les cas de maladies vectorielles autochtones. Tel est l'objet de la proposition de résolution portant création d'une commission d'enquête.

Sans préjuger des travaux qu'une telle commission serait habilitée à conduire ni des conclusions que ses membres pourraient en tirer, sa mise en place est tout à fait opportune et permettrait de répondre à plusieurs questions et, le cas échéant, d'aider à la définition d'une nouvelle politique publique face à ce phénomène grave.

La commission des affaires sociales a voté en faveur de l'installation de cette commission d'enquête ; je remercie nos collègues qui ont pris conscience de l'ampleur du phénomène et de ses conséquences, nous obligeant à transcender nos bancs et territoires pour nous mettre à la tâche.

En quoi cette tâche consiste-t-elle ? Il s'agit d'accompagner et d'éclairer l'action, dont on sent qu'elle se cherche et tâtonne – ce qui est normal. Mais avons-nous le droit de tâtonner trop longtemps en prenant le risque de l'épidémie et de l'enkystement d'un phénomène ? La réponse est clairement non !

Une initiative parlementaire a été proposée par notre collègue Olivier Véran. Celui-ci craignait d'ailleurs qu'une commission d'enquête ne puisse en empêcher l'examen, qui devait avoir lieu au printemps, soit près d'un an tout de même après son dépôt. Après vérification auprès des services, je souhaite rassurer tout le monde : l'un n'empêche pas l'autre.

J'ai bien sûr étudié cette proposition de loi, qui poursuit trois objectifs : établir par la loi la responsabilité de l'État dans la mise en oeuvre des mesures de prévention relatives aux maladies vectorielles ; autoriser à intervenir sur les propriétés publiques et privées les opérateurs désignés par les ARS – les agences régionales de santé – pour mettre en oeuvre les mesures de prévention ; enfin, simplifier la délimitation des zones à risque par les préfets. Cette proposition de loi va dans le bon sens mais ne répond que très partiellement aux interrogations qui m'ont conduite à proposer une commission d'enquête et ont convaincu les membres de la commission des affaires sociales de l'adopter.

D'autres sujets doivent absolument être évalués.

Il s'agit, pour commencer, des retours d'expérience français et étrangers de bonnes pratiques de comportement et de prévention parmi la population.

Viennent ensuite les mécanismes de transmission – je pense aux cas confirmés en Espagne de dengue transmis par voie sexuelle.

Le troisième sujet concerne la recherche et les vaccins ou médicaments spécifiques à ces maladies.

Quatrième sujet : les effets des traitements sur l'environnement, notamment l'utilisation des biocides.

Enfin et surtout, je le répète, rien n'interdit de mener de front deux exercices, même si, en opportunité, on peut se demander s'il y a lieu d'adopter un texte alors que l'Assemblée accomplit sa mission de contrôle. Rien n'interdit d'articuler intelligemment les deux exercices pour que les parlementaires soient suffisamment outillés pour examiner un texte législatif à la hauteur des enjeux qui nous attendent.

Comme le dit le Pr Salomon : « L'approche doit être complètement globale. Il ne faut surtout pas avoir une approche spécifique ou ponctuelle. » Avec cette commission d'enquête, nous aiderons à la décision ; nous aurons les moyens d'investigation qu'exige ce sujet vital pour l'humain et la biodiversité. Aucun élément ne pourrait venir contredire le vote de la commission des affaires sociales ; les populations ne le comprendraient pas et les spécialistes que nous avons rencontrés non plus. Pour l'avoir vécu, je sais que seule la mobilisation de notre énergie et de notre intelligence collective, au-delà de toute considération, pourrait aider à protéger nos concitoyens et leur environnement. Je vous invite donc, chers collègues, à confirmer le vote de la commission des affaires sociales.

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