Intervention de Jean-Bernard Sempastous

Réunion du mercredi 16 octobre 2019 à 9h35
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Bernard Sempastous, rapporteur pour avis :

Le budget de la mission « Agriculture, alimentation, forêt et affaires rurales » s'inscrit dans un contexte particulier : certains enjeux s'entrechoquent et il nous appartient de les concilier.

Il y a d'abord le dérèglement climatique qui menace l'agriculture d'aujourd'hui et de demain. Les températures pourraient augmenter de 7 degrés d'ici à 2100. L'agriculture en subit les conséquences de plein fouet avec des sécheresses à répétition et des épisodes de grêle dévastateurs. La multiplication des phénomènes climatologiques extrêmes, l'apparition d'organismes nuisibles et de maladies contre lesquelles il faudra lutter sans molécules chimiques affecteront davantage les rendements. Cet enjeu, la mission budgétaire le prend en compte à travers la hausse des crédits du programme 149, principalement dirigée vers la hausse des crédits attribués aux mesures agroenvironnementales et climatiques dans le cadre du volet agricole du Grand plan d'investissement (GPI). Les actions 24 et 27 sont principalement concernées par la hausse des budgets en faveur de l'environnement. Notons le maintien du financement de l'indemnité compensatoire de handicaps naturels (ICHN), stable sur un an, après une hausse de 20 millions d'euros en 2019. Ce dispositif permet le maintien des exploitations agricoles durables dans les zones défavorisées. La révision des zonages et des critères de l'ICHN animale entraîne un accroissement de l'enveloppe budgétaire.

Il faut aussi avoir en tête que l'agriculture, bien qu'émettrice de gaz à effet de serre, peut constituer un moyen de réduire l'impact du réchauffement climatique grâce à des techniques agricoles vertueuses pour l'environnement.

Contrer l'artificialisation des sols au profit d'un foncier agricole accessible doit être un des piliers de la refonte de notre modèle agricole. Pour mettre en valeur ce foncier, il faut des agriculteurs, ce qui implique de leur assurer un revenu décent. C'est aussi pour cela que j'ai décidé d'axer la seconde partie de mon rapport sur les initiatives de la CDC Biodiversité qui favorisent un meilleur accès au foncier agricole, et qui n'appelle pas de mesures législatives, je le précise.

Faciliter le quotidien des agriculteurs et favoriser la qualité de notre agriculture dépend de l'effectivité des mesures des États généraux de l'alimentation (EGA). Comme l'a rappelé le ministre Didier Guillaume la semaine dernière : « Nous devons pousser jusqu'au bout les États généraux de l'alimentation pour que les agriculteurs puissent vivre de leur travail ». Appuyons-nous sur ces propositions indispensables pour développer les initiatives locales, les synergies, mieux répondre aux attentes des consommateurs, réussir la transition écologique, renforcer l'attractivité des métiers et faire rayonner le patrimoine alimentaire français. Ce travail de plusieurs mois apporte de vraies réponses pour réaffirmer le potentiel de l'agriculture française mais aussi pour éviter qu'elle ne soit distancée.

Valoriser nos productions agricoles nécessite un travail approfondi pour prévenir le décalage avec d'autres régions du monde.

Ce décalage est d'abord environnemental : nous ne sommes pas tous égaux face aux conséquences du dérèglement climatique. Comment prévenir les catastrophes environnementales ? Comment adapter notre agriculture et nos modes de consommation ?

Ce décalage tient aussi à notre système : nos normes sanitaires et sociales ont leur importance, elles doivent montrer l'exemple sans pour autant constituer des freins. De mes échanges avec les acteurs du monde agricole est souvent revenue l'idée de concurrence déloyale entre pays, d'abus mal contrôlés qui donnent des avantages à des structures dans des pays qui appartiennent parfois à l'Union européenne. Certaines pratiques transfrontalières conduisent à un épuisement des sols. Dans le Nord de la France, à la frontière, les taux de matières organiques du sol subissent une chute au bout de trois années de culture de la pomme de terre. Or, il faut trente ans pour parvenir à une reconstitution complète. La terre reste donc très peu fertile pendant des décennies. Pour éviter ce genre d'écueil, il est nécessaire de travailler au niveau européen et de veiller aux impacts des politiques agricoles d'autres États membres.

Le budget de l'action 23 « Appui au renouvellement et à la modernisation des structures agricoles » entend prendre en compte les obstacles au développement de notre agriculture. La modernisation des exploitations prend appui sur le Grand plan d'investissement et sur les subventions à l'investissement du plan de compétitivité et d'adaptation des exploitations agricoles (PCAE).

Un autre problème va se poser en Europe : le sort de la PAC. Elle constitue un soutien précieux. Les menaces d'une baisse importante de ses crédits du fait du Brexit devraient être prises au sérieux. Il faudra négocier pour maintenir un budget correct et réfléchir à sa mise en oeuvre en matière de protection de l'environnement, qui devrait être l'une des principales ambitions de la PAC après 2020.

Pour 2020, les aides de la PAC s'élèveront à 9,5 milliards d'euros, dont 6,8 milliards d'euros en paiements directs. Les aides directes de la campagne PAC 2020 seront payées sur la base du nouveau budget pluriannuel 2021-2027 à partir du 16 octobre 2020. La Commission européenne a proposé une baisse de 3,9 % de l'enveloppe des paiements directs pour la prochaine programmation, soit une baisse de 290 millions d'euros pour la France. Les discussions budgétaires sont en cours. Le futur commissaire européen chargé de l'agriculture, M. Janusz Wajciechowski, s'est dit ouvert au changement mais il doit d'abord finaliser les négociations. Par ailleurs, il s'est engagé à proposer un plan d'action pour le développement de l'agriculture biologique en Europe et des dispositions pour lutter contre l'accaparement des terres agricoles dans l'Union européenne. M. Didier Guillaume a soutenu au Conseil des ministres européens un maintien du budget de la PAC à son niveau UE27 et a rappelé qu'on ne pouvait se permettre une baisse du budget au moment où les défis environnementaux s'accroissent.

Le Brexit a aussi des répercussions sur la sécurité sanitaire et le programme 206 « Sécurité et qualité sanitaires de l'alimentation » comporte des mesures pour prévenir les potentielles conséquences néfastes de la sortie du Royaume-Uni. Citons la création de 320 équivalents temps plein pour réaliser des contrôles sanitaires aux frontières.

Autre point d'importance : le besoin de proximité pour la refonte de notre système. Je pense entre autres aux chambres d'agriculture qui s'engagent en faveur de la transition éco-agricole à travers un diagnostic économique et environnemental des exploitations françaises d'ici à trois ans. Les 103 chambres maillent le territoire et leurs plus de huit mille collaborateurs sont indispensables à une transition efficace de notre agriculture. C'est la raison pour laquelle je m'oppose à la baisse du budget des chambres via la réduction de 15 % de la taxe additionnelle à la taxe sur le foncier non bâti (TATFNB). Ce n'est pas en adéquation avec nos exigences sans cesse renouvelées pour l'amélioration de notre agriculture. Je soutiens donc l'amendement de suppression de cette mesure déposé par M. Hervé Pellois.

Je salue par ailleurs la création de la société d'aménagement foncier et d'établissement rural (SAFER) de Guyane qui va dans le sens d'une politique de proximité.

L'efficacité de notre politique de proximité passera aussi par une régionalisation réfléchie. La France a des spécificités et l'agriculture n'est pas épargnée par des disparités territoriales. Soutenir et décider au plus près des territoires va dans le bon sens. La régionalisation est une nécessité. Elle doit cependant être effectuée correctement avec un temps d'habilitation et des expérimentations préalables pour optimiser le dispositif. L'accompagnement vers une agriculture plus vertueuse sera aussi conditionné à notre capacité à prendre en compte les nouvelles technologies.

Ce budget pour 2020 entend répondre aux enjeux que j'ai énumérés et je tiens d'ailleurs à saluer l'augmentation des crédits qui est déployée pour y faire face.

Venons-en aux aspects plus strictement budgétaires.

À périmètre identique, le budget de cette mission augmente de 6,41 % en autorisations d'engagement et de 1,24 % en crédits de paiement. Cela tient à deux raisons principales : la volonté de poursuivre nos efforts en faveur d'une agriculture durable et respectueuse de l'environnement et la nécessité d'anticiper les conséquences du Brexit, surtout en cas de sortie sans accord.

Le programme 149 est un pilier majeur du ministère puisqu'il cadre les filières. La hausse de 8,8 % en autorisations d'engagement et de 0,43 % en crédits de paiement s'explique principalement par les efforts effectués pour soutenir les mesures agroenvironnementales et climatiques dans le cadre du volet agricole du Grand plan d'investissement 2018-2022. La dotation du GPI est en hausse avec 329,9 millions d'euros en autorisations d'engagement et 244,2 millions d'euros en crédits de paiement.

Le budget de l'action 28 « Gestion durable de la pêche et de l'aquaculture » est en hausse. Il est marqué par le financement du renouvellement de la flotte dans les départements d'outre-mer grâce à une augmentation de 2 millions d'euros en autorisations d'engagement comme en crédits de paiement.

Le programme 206 a la particularité de favoriser le changement de pratiques afin de préserver la santé publique et l'environnement. Il s'agit d'évaluer, de prévenir et de réduire les risques sanitaires à tous les stades de la production et de s'assurer de la réactivité et de l'efficience du système de contrôle sanitaire. Son budget en hausse est très affecté par le Brexit. L'augmentation du budget de l'action 01 « Prévention et gestion des risques inhérents à la production végétale » se justifie par la mise en oeuvre de plusieurs règlements européens relatifs à l'inspection, l'échantillonnage, les contrôles, l'importation, la mise en circulation et la certification du matériel végétal. La hausse du budget de l'action 02 « Lutte contre les maladies animales et protection des animaux » s'explique par la lutte contre la peste porcine africaine détectée en Belgique et par la baisse des co-financements européens.

Le programme 215, qui concerne le pilotage et la mise en oeuvre déconcentrée des politiques portées par le ministère, voit son budget baisser légèrement, de 1 %. Les explications avancées sont liées aux dépenses de l'administration générale pour le personnel et le fonctionnement, aux besoins de gestion immobilière et aux moyens en baisse des directions régionales de l'alimentation, de l'agriculture et de la forêt (DRAAF), des directions départementales de l'agriculture et de la forêt (DDAF) et des directions départementales des territoires (DDT).

Je termine par mon point thématique : la CDC Biodiversité.

Dans la continuité des travaux que j'ai menés sur le foncier agricole, j'ai choisi d'accorder une attention particulière à une expérimentation en préparation au sein de la CDC-Biodiversité. Elle consiste en l'achat de grandes parcelles de terres agricoles dans le but de les redécouper et de les rendre disponibles pour les agriculteurs, à un loyer modéré. La CDC-Biodiversité a une grosse capacité d'investissement qui pourrait résoudre une partie des problèmes rencontrés par des acteurs classiques et alternatifs du foncier dans l'acquisition de terrains. Il faudra, cependant, veiller à ne pas faire monter les prix en privilégiant les achats au prix du marché.

Dans des conditions particulières impliquant de respecter un cahier des charges préétabli composé de diverses obligations environnementales, des baux d'au moins neuf ans, avec reconduction automatique seront accordés aux nouveaux exploitants, sans distinction d'âge ou de cadre familial, pour encourager l'investissement.

Par ailleurs, la diversification des sources de revenus sera encouragée grâce aux aides préexistantes et la sécurisation des débouchés à un prix anticipable sera prise en compte, éventuellement avec l'association Pour une agriculture du vivant.

Le rapport remis au Gouvernement en juillet 2019 Ruralités, une ambition à partager le rappelle, « il est nécessaire de proposer des mesures concrètes pour faciliter l'installation des jeunes ou moins jeunes agriculteurs qui n'ont pas accès au foncier ni au réseau ». Ce genre d'expérimentation nous paraît intéressant, compte tenu des difficultés rencontrées par les nouveaux exploitants agricoles lors de leur installation, de la nécessité de renforcer l'attractivité de ce secteur essentiel et des défis environnementaux et sanitaires. Elle est en cohérence avec le budget marqué par l'augmentation des moyens alloués aux mesures agro-environnementales et climatiques et avec la proposition d'établir un cahier des charges environnemental.

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