Intervention de Jean-Pierre Door

Séance en hémicycle du mardi 22 octobre 2019 à 21h30
Projet de loi de financement de la sécurité sociale pour 2020 — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Pierre Door :

Il arrive qu'un énorme choc rende amnésique. En l'espèce, il ne viendra pas des résultats, pourtant promis, de la croissance et de l'amélioration des finances sociales, mais plutôt des mesures d'urgence économique et sociale octroyées fin décembre par le Président de la République, sous la pression de la crise des gilets jaunes. Nous vous avions alertés à plusieurs reprises quant à l'absence de financement de ces mesures, que vous répercutez directement dans le déficit de la sécurité sociale, ce qui revient à faire payer ceux qui en bénéficient et qui ont consenti des efforts continus depuis dix ans pour redresser les comptes de la sécurité sociale.

Votre discours, monsieur le ministre, loin de provoquer l'ictus amnésique, nous renvoie à vos promesses de l'an dernier, largement diffusées, d'un excédent du solde combiné du régime général de la sécurité sociale et du fonds de solidarité vieillesse de 700 millions d'euros – « pour la première fois depuis 2001 », ajoutiez-vous. Afin de financer votre cascade de promesses, vous avez décidé de relever l'ONDAM pour 2019 à 2,5 % au lieu des 2,3 % programmés. Or, malheureusement, la sécurité sociale replonge actuellement dans le rouge puisque son déficit s'aggrave pour atteindre cette année 5,4 milliards d'euros. Pour 2020, vous nous présentez même un déficit de 5,1 milliards. Vous ne faites donc guère mieux qu'en 2017.

Monsieur le ministre, vous avez soutenu en commission que la cause principale du déficit de la sécurité sociale n'était pas la colère sociale que vous n'avez pas su prévenir, ni les dépenses que vous avez laissées filer, mais un retournement de conjoncture. Or vous n'avez pas davantage su prévoir un tel retournement, provoqué par une croissance et une masse salariale revues à la baisse, ce qui affecte les rentrées de cotisations. Le défaut de prévision des fluctuations économiques est-il pour autant une excuse ?

L'an dernier, vous aviez fait voter un quasi-gel des prestations sociales pendant deux ans. Or le Conseil constitutionnel a censuré l'inscription pour une deuxième année de la sous-indexation des retraites et des allocations familiales, l'année 2020 n'étant pas couverte par la loi de financement pour 2019. Vous devrez, par conséquent, soumettre de nouvelles mesures de sous-indexation au vote du Parlement.

Ainsi, confrontés à une hausse imprévue des dépenses de la sécurité sociale, vous reportez l'équilibre des comptes et l'horizon de la réforme « ma santé 2022 » à l'année 2023, au-delà du quinquennat présidentiel, ce qui affectera la dette sociale. Or, selon la Cour des comptes, « parvenir rapidement à un équilibre financier durable de la sécurité sociale, indépendamment des aléas de la conjoncture économique, est indispensable afin d'éteindre totalement la dette sociale liée aux déficits passés et d'éviter qu'elle ne se reconstitue au détriment des générations futures ».

Quoi qu'il en soit, le véritable choc de ce projet de loi de financement de la sécurité sociale vient de l'article 3. Nous ne pouvons accepter le subterfuge par lequel vous évitez de compenser la baisse des recettes pour la sécurité sociale afin de financer les mesures consécutives à la crise des gilets jaunes, provoquée par l'absence de revalorisation des retraites conjuguée à la hausse de la pression de la CSG sur les retraités, à laquelle notre groupe s'était opposé avec force. L'État, responsable de cette situation, choisit de mettre la sécurité sociale en déficit. Les assurés sociaux n'ont pas à payer pour les carences de l'État, imputables à la politique que vous menez. En procédant ainsi, vous portez atteinte à ce qui reste d'autonomie de la sécurité sociale.

Cela a provoqué, en commission des affaires sociales, l'indignation de tous les groupes d'opposition et même d'une partie de la majorité. La commission a adopté un amendement visant à supprimer l'essentiel de l'article 3.

Ces mesures sont contraires à la loi Veil du 25 juillet 1994 relative à la sécurité sociale, qui impose le principe d'une compensation du coût des exonérations de charges sociales. En effet, les politiques d'exonération qui réduisent les ressources de la sécurité sociale sont d'autant plus critiquées que le déficit de cette dernière est élevé. Il est vrai que nous avons déjà connu de telles pratiques, mais ce n'est pas une raison pour continuer dans cette voie.

De l'aveu du rapporteur général, le rapport Charpy-Dubertret, remis en mars 2018, qui recommande de rapprocher les budgets de la sécurité sociale et de l'État, est à l'origine de cet article 3. Ainsi, l'an dernier, le Gouvernement s'en était déjà inspiré. En nouvelle lecture, le régime assurantiel, dont le principe est de cotiser selon ses moyens et de recevoir selon ses besoins, avait été remis en cause pour être remplacé par un régime universel, dans lequel les recettes de la sécurité sociale seraient assurées par des mesures fiscales.

En décidant de ne pas compenser la perte de ressources pour la sécurité sociale induite par l'exonération des cotisations sociales sur les heures supplémentaires et par l'introduction d'un taux intermédiaire de CSG sur les revenus de remplacement, vous dénaturez notre modèle de sécurité sociale. Aujourd'hui, la confusion est complète entre les finances publiques et les finances sociales. Or il est injustifié d'imposer des efforts financiers à nos concitoyens pour compenser des déficits qui leur sont étrangers.

Bien sûr, il est nécessaire de réaliser des économies, mais vous jouez au mistigri de la compensation des déficits. Le décrochage de l'ONDAM hospitalier en témoigne, les établissements de santé devenant une variable d'ajustement. Les économies demandées aux établissements de santé entre 2005 et 2020 s'élèvent à 9,4 milliards d'euros et se traduisent par des ponctions sur le sous-objectif de l'ONDAM, faisant naître le sentiment d'une profonde injustice au sein de la communauté hospitalière.

De l'aveu même des commissaires de la majorité, la branche maladie ne peut plus financer des investissements d'urgence dans les hôpitaux, alors que les services d'urgence traversent une grave crise et multiplient les grèves depuis le mois de mars. La présentation d'un pacte de refondation des urgences, chiffré à 750 millions d'euros, et l'octroi en juillet dernier d'une modeste prime de 100 euros nets mensuels, versée aux professionnels des services d'urgence, seraient des pistes intéressantes si nous savions où trouver ces sommes.

Compte tenu de la baisse des prix, de l'augmentation des remises, des efforts en matière de prescription et des déremboursements, le médicament devra à lui seul réaliser près de la moitié de l'effort d'économie imposé à hauteur de 4,2 milliards d'euros à la branche maladie. Vous matraquez l'industrie pharmaceutique, dont nous avons pourtant grand besoin dans notre pays.

L'ensemble des professionnels de santé voient dans ce PLFSS un véritable camouflet. Après seize années d'économies, vous proposez un texte sans priorisation, ni vision stratégique, ni imagination, alors que le système craque. Le rejet de ce PLFSS est général. Les caisses de sécurité sociale ont majoritairement émis un avis défavorable, de même que les mutuelles et les associations de patients.

Pourtant, tout n'est pas négatif dans ce projet dont l'énumération des dispositions pourrait faire penser à un projet de loi portant diverses mesures d'ordre social. Certaines sont même bienvenues, comme l'indemnisation du congé de proche aidant. Oui, je suis favorable au contrat d'amélioration de la qualité des soins, à l'exigence de la qualité et de la pertinence des soins, à la mise en place d'un parcours post-cancer ainsi qu'à l'engagement de la réforme du financement de la psychiatrie, des soins de suite et de réadaptation. Je suis tout aussi favorable au financement des hôpitaux de proximité. Oui, beaucoup de mesures sont intéressantes et nous les soutiendrons.

Or nous retiendrons de ce PLFSS qu'il a été échafaudé à partir d'un déficit de 5,1 milliards d'euros, après un trou de 5,4 milliards en 2019, qu'il est pauvre en mesures susceptibles de rapporter des recettes mais qu'il n'est pas avare de dispositifs d'économies imposés à l'assurance maladie.

Il faudra en tout cas surmonter l'obstacle de l'article 3. C'est pourquoi nous conditionnerons essentiellement notre vote aux corrections qui y seront apportées.

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