Intervention de Alexandra Valetta Ardisson

Séance en hémicycle du lundi 7 octobre 2019 à 16h00
Déclaration du gouvernement suivie d'un débat sur la politique migratoire de la france et de l'europe

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexandra Valetta Ardisson :

Pour que cette réconciliation puisse avoir lieu, nous devons mettre un terme aux craintes de nos concitoyens et dire les choses telles qu'elles sont réellement, sans démagogie, sans rien minimiser, sans rien occulter et sans aucune naïveté. Lutter contre l'immigration irrégulière, c'est permettre de mieux accueillir les personnes qui en ont réellement besoin, éviter que des familles ayant obtenu le droit d'asile soient laissées pour compte, et intégrer plus efficacement des étrangers qui ont respecté les règles de notre République et souhaitent vivre dans notre pays.

Savons-nous aujourd'hui combien de personnes en situation irrégulière résident et circulent sur le territoire national ? La réponse est non. Nous ne le savons pas, parce que ces personnes ont toutes des profils, des motivations et des itinéraires différents et qu'il n'existe malheureusement aujourd'hui aucun outil de décompte européen adapté. Il peut s'agir de déboutés du droit d'asile qui se sont maintenus illégalement sur notre territoire ; de personnes entrées clandestinement en France qui n'ont jamais envisagé de régulariser leur situation ; ou encore d'étrangers entrés légalement en France avec un visa ou un titre de séjour dont la validité a expiré, qui ne sont pas rentrés dans leur pays d'origine. Le chiffre de 318 106 personnes – celui des bénéficiaires de l'AME en 2018 – sert de repère. Mais vous l'aurez compris, il ne correspond pas, dans les faits, au nombre de personnes en situation irrégulière vivant sur notre territoire.

C'est là que réside toute la complexité de la lutte contre l'immigration irrégulière. Comment appréhender un phénomène que nous ne parvenons pas à quantifier ? Comment lutter efficacement contre une immigration irrégulière dont une partie des acteurs n'est pas identifiable ni localisable ?

La loi pour une immigration maîtrisée, un droit d'asile effectif et une intégration réussie a sécurisé l'obligation pour les étrangers de quitter le territoire français après le rejet d'une demande d'asile, et a accentué le contrôle sur les personnes visées par cette procédure. La durée de la rétention administrative a été doublée pour passer de 45 à 90 jours maximum, permettant ainsi à l'administration d'organiser l'éloignement en obtenant un laissez-passer consulaire. Depuis le 1er janvier 2019, les ressortissants d'un pays considéré comme sûr n'ont plus le droit de rester sur le territoire national pendant l'instruction de leur recours devant la CNDA. Depuis la même date, les procédures ayant été accélérées, le recours contre les décisions de la CNDA s'effectue dans un délai de quinze jours, voire quarante-huit heures si la personne est assignée à résidence ou placée en rétention. En 2018, 30 276 étrangers en situation irrégulière ont quitté le territoire national, soit 13 % de plus qu'en 2017 et 22,5 % de plus qu'en 2016. La même année, le nombre d'éloignements contraints a progressé de 10 % par rapport à 2017 et de 21 % par rapport à 2016. Entre 2018 et 2020, 480 places supplémentaires seront aménagées au sein des centres de rétention administrative, soit une augmentation de 30 %. Enfin, 303 filières d'immigration clandestine ont été démantelées en 2017 et 321 en 2018.

Devons-nous nous satisfaire de ces résultats encourageants ? Cela est-il suffisant ? La réponse est non. Malgré nos actions, malgré le travail sans relâche et souvent dans des conditions très difficiles de nos forces de l'ordre et de sécurité – parmi lesquelles les femmes et les hommes de la police aux frontières, que je tiens ici à assurer de toute ma reconnaissance et de tout mon soutien – , il faut aujourd'hui regarder en face les insuffisances de notre système. Chaque jour, des crimes liés aux trafics et à la traite esclavagiste de migrants sont à déplorer, de nombreuses vies sont brisées et nous comptons de plus en plus de pertes humaines dans les déserts et en mer Méditerranée. Notre droit d'asile est dévoyé : en 2018, l'Albanie et la Géorgie faisaient partie des cinq premiers pays d'origine des demandeurs d'asile. Or le taux d'octroi de la protection d'asile pour les demandeurs albanais est de 9,6 % et pour les demandeurs géorgiens, de 4,7 %.

Malgré l'augmentation significative de notre parc d'hébergement, de nombreux demandeurs d'asile qui bénéficieront d'une mesure de protection et de nombreux réfugiés ne sont pas hébergés. Même si le taux d'éloignement depuis les centres de rétention administrative est en augmentation, il reste néanmoins faible. Depuis 2017, comme le permet le code frontières Schengen et comme le font certains autres pays de l'Union européenne, nous avons maintenu le rétablissement du contrôle aux frontières intérieures, ce qui a permis de prononcer 156 587 non-admissions entre 2017 et 2018. Or cette procédure exceptionnelle qui permet notamment de lutter contre l'immigration irrégulière ne pourra pas être renouvelée éternellement, et il est donc urgent de mettre en place un véritable contrôle aux frontières extérieures de l'espace Schengen.

Enfin, bien qu'une coopération européenne soit en train de s'organiser grâce à l'action du Président de la République, nous savons tous qu'il sera extrêmement compliqué de construire une réelle politique migratoire européenne commune.

Si nous voulons réconcilier les Françaises et les Français, pérenniser notre droit d'asile et accueillir dignement tous les réfugiés, nous devons impérativement nous poser la question suivante : dans le respect de nos traditions, de nos cultures et de nos valeurs, sommes-nous enfin prêts à agir avec pragmatisme et à lancer un véritable plan de lutte contre l'immigration irrégulière ?

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