Intervention de Catherine Vella

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 17h55
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Catherine Vella, présidente de l'Association nationale de parents d'enfants sourds (ANPES) :

Je préside l'Association nationale de parents d'enfants sourds (ANPES), qui ont fait le choix de la langue des signes comme langue de communication.

Je suis maman d'un petit garçon sourd de 12 ans qui est en collège, en ULIS. Il a fait sa première année de maternelle en inclusion. Pour reprendre ce que disaient mes collègues : c'était le petit roi de la classe, parce qu'il avait son AVS à lui, alors que les autres enfants partageaient la même institutrice. Il est parti en classe bilingue français-LSF, dans une école de quartier, mais avec un groupe d'enfants sourds. Il y a appris la citoyenneté, la socialisation, il était un élève ordinaire parmi d'autres élèves ordinaires, qui avait une langue, la langue des signes, un enseignant qui la maîtrisait parfaitement, ce qui permettait aux élèves de construire leur langue dès la maternelle. J'ai voulu vous envoyer un document par messagerie, mais il est trop lourd ; je vais donc vous le remettre. J'y ai repris les textes de l'Éducation nationale selon lesquels la maternelle est faite pour construire sa langue. Mais comment un enfant sourd dont la langue est la langue des signes peut-il la construire s'il n'est pas avec d'autres enfants sourds et, surtout, avec un adulte qui la maîtrise parfaitement ?

Je ne sais pas comment faire pour vous expliquer. Par exemple, en dernière année de maternelle, une AVS avec un petit niveau en LSF a remplacé un jour la maîtresse. Elle a demandé aux enfants ce qu'ils voulaient faire plus tard, sauf que le signe qu'elle a employé signifiait « tard » dans le sens de « en retard », si bien que les enfants sont restés un peu interloqués et n'ont pas répondu à la question, faute de l'avoir comprise. Il faut donc faire très attention.

J'ai inclus aussi dans ce document les nouveaux programmes de français de CP, où tout repose sur le son, la phonétique, la phonologie, les rythmes. Comment un interprète, même le meilleur du monde, ou une AVS qui maîtriserait la LSF parfaitement, va-t-il pouvoir traduire à un enfant sourd, en intégration individuelle : Écris la syllabe manquante – pi, fi, bi, mi – dans les mots avec un trou – par exemple « bobine » – ? Il faudra qu'il lui traduise en phonologie, c'est-à-dire qu'il va lui donner la réponse… J'ai réuni un florilège d'exercices de français qui vont transformer l'enfant sourd en « plante verte » dans la classe : comme me disait l'une de mes collègues : ça va lui passer au-dessus, il ne va pas comprendre et ne progressera pas en français. On sait bien que l'enjeu, pour un enfant sourd, est la maîtrise du français écrit – qui est une deuxième langue. Or c'est vraiment très difficile car elle ne se construit pas du tout comme la langue des signes.

Pour assurer l'accès des jeunes sourds à cette langue, il faut des professionnels, notamment des professionnels sourds. Mais quelle place auront-ils dans un système inclusif ? Pourront-ils être intégrés à l'Éducation nationale ?

La langue des signes est une langue, et pour partager une langue, il faut être plusieurs. Être seul dans une classe ne sert strictement à rien. Dans l'ULIS, mon fils a une professeure de français – spécialement affectée à l'ULIS… – qui n'est pas vraiment acculturée, qui ne sait pas vraiment ce qu'est un enfant sourd. Elle fait conjuguer la phrase : « je n'entends plus le vent dans les arbres », elle leur fait étudier le présent de l'indicatif avec la phrase « nous avons tous cinq sens, l'ouïe, l'odorat, etc. », elle leur apprend « je suis en train de faire la cuisine » sans leur expliquer que la cuisine n'est pas « dans le train » et qu'il s'agit juste d'une locution. Tous les soirs, je dois refaire les cours de français et expliquer à mon fils ces expressions qu'il ne comprend pas.

Je suis d'accord pour que tous les enfants soient des enfants de la République, je suis pour l'égalité des droits et des chances, mais il faut s'en donner les moyens, notamment humains et en termes de formation, et il faut surtout que les enfants qui apprennent la LSF le fassent entre pairs, car c'est comme cela qu'ils vont vraiment apprendre, communiquer et se socialiser. L'école inclusive ne doit pas être en fait une école exclusive : elle doit être une école qui fasse l'enfant entrer dans la société. Car ce dont je rêve, c'est d'une société inclusive, où chacun, quel qu'il soit, ait sa place.

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