Intervention de Christine Hénault

Réunion du mardi 28 mai 2019 à 17h55
Commission d'enquête sur l'inclusion des élèves handicapés dans l'école et l'université de la république, quatorze ans après la loi du 11 février

Christine Hénault :

Je suis maman d'un enfant totalement aveugle, qui n'a pas les neurones pour s'imaginer seulement ce que c'est que voir. Ce n'est pas un voyant qui fermerait les yeux et qui aurait tous les « logiciels » dans la tête. Il a eu un parcours alterné : inclusion en maternelle, primaire spécialisé, inclusion en collège, lycée spécialisé.

Pour répondre à vos questions, le principal obstacle à surmonter est la mauvaise compréhension de ce qu'est réellement la cécité. Je vais vous donner quelques exemples.

En cours d'anglais, on projette des images, puisque la pédagogie est basée de plus en plus sur l'image, et l'enfant aveugle entend une phrase en anglais qui décrit une image qu'il n'a pas sous les yeux. Mais il a à côté de lui une AVS ou un camarade qui va lui expliquer l'image en français, et qui lui dit : voilà, il y a un personnage qui porte une casquette « schtroumpf », qui tient une « schtroumpf » à la main, qui fume la « schtroumpf » et qui est vêtu d'une cape. Mais, aujourd'hui, qui porte une cape sinon pour jouer à Zorro – ce qui, pour un enfant aveugle, n'a aucune signification ? Et quel enfant a déjà vu une pipe, que les grands-pères ne fument plus, ou une casquette écossaise ? C'est très compliqué à expliquer à un aveugle. Et je ne parle pas de la loupe… L'AVS, donc, lui explique tout ça à toute vitesse, mais pendant ce temps le professeur a ajouté autre chose, sans faire de pause. L'enfant a donc une sorte de vide intersidéral dans la tête, il a imaginé un personnage avec une casquette style « 9.3 » qu'on met à l'envers. Il est très loin d'avoir reconnu Sherlock Holmes !

Deuxième exemple : l'enfant entend le professeur de maths qui s'applique à verbaliser ce qu'il écrit au tableau et qui dit « a puissance n sur deux ». Je vous invite à l'écrire vous-mêmes, car si vous comparez avec votre voisin, il y a toutes chances que vous ayez des versions différentes, étant donné qu'il y a cinq façons de faire…

Ces exemples montrent que, même avec la meilleure volonté du monde, on loupe quand même beaucoup de choses. Il faut donc tout reprendre, le soir, avec les parents – sauf qu'après sa journée de classe, l'enfant n'en a pas tellement envie.

L'inclusion, donc, ça peut être pas mal : on se fait des copains, on n'a pas trop de pression scolaire parce que les enseignants sont bienveillants, mais on se retrouve avec beaucoup de lacunes. C'est pour cette raison que les parcours alternés sont bénéfiques.

Le braille est également un problème important. Il faut six mois pour transcrire en braille un manuel scolaire. C'est incompressible, car il ne s'agit pas simplement de transcrire mais aussi d'adapter. Or, l'enseignant qui a dans sa classe un élève aveugle le sait en général le jour de la prérentrée, ou l'avant-veille, ou, dans le meilleur des cas, au mois de juin. Or le choix du manuel scolaire relève de sa sacro-sainte liberté pédagogique. Et là, c'est la loterie : soit le livre existe déjà en braille – ce qui est le cas le plus rare –, soit on va commencer à le transcrire à la rentrée, ce qui va prendre six mois. Bien sûr, cela pourra se faire chapitre par chapitre : on va courir après le temps, mais, dans la réalité, l'élève n'aura jamais son livre en braille. La seule solution consiste à obliger l'enseignant à choisir parmi trois ou quatre manuels. Peut-être faut-il pour cela réunir une commission qui décidera quels sont ces trois ou quatre manuels, par matière et par classe, qui sont à transcrire. Il faudrait une obligation, et pas simplement un partenariat reposant sur la confiance.

Le problème est identique pour les supports de cours que les professeurs distribuent – ou pas. Leur liberté pédagogique les autorise à écrire le cours la veille, voire la nuit, s'ils en ont envie. Leur imposer de donner leur cours quinze jours avant serait une petite entorse à cette liberté pédagogique, mais si cette entorse était prévue par la loi, cela permettrait au moins que les outils existants soient utilisés à plein.

Je terminerai en évoquant le deuxième grand problème : celui de l'AESH ou de l'AVS qui n'a pas la formation, la compréhension nécessaire pour être pleinement utile en classe et qui, du coup, se transforme en nounou, amène l'enfant à la cantine, le sert à table, etc. L'enfant n'a pas besoin de cet obstacle entre lui et ses camarades. Ceux-ci peuvent très bien l'amener à la cantine, remplir son plateau, le guider d'une classe à l'autre, voire lui expliquer des petites choses qui se passent dans la classe, comme un élève qui se fait gronder. L'AVS, dans ces situations, est même contreproductive – ou contreproductif si c'est un homme.

Nous pouvons vous faire passer des documents en relief qui pour moi, sont une aberration parce qu'ils obligent les élèves à passer par le dessin, donc par une représentation visuelle destinée à remplacer ce qu'on ne voit pas pour rendre les choses plus faciles à comprendre. C'est leur demander un effort terrible : imaginer visuellement quelque chose qui passe par le toucher. C'est une démarche aberrante, qui les formate pour qu'ils se comportent le plus possible comme des voyants, et qui leur complique la vie plus qu'autre chose. Ils n'ont pas besoin de ça. Si vous touchez ces documents sans les voir regardés avant, vous allez tout de suite comprendre qu'il est absolument impossible de s'en servir en classe. Ce n'est pas une aide, c'est un obstacle.

Au bac, par exemple en SVT, on leur demande même quelque chose de pire : dicter le dessin à un secrétaire, sans savoir ce que le secrétaire dessine effectivement. Cela rappelle les exercices de communication interpersonnelle qu'on fait dans les formations en entreprise : on s'amuse beaucoup en voyant ce que l'autre a dessiné d'après la description qu'on lui a faite, et qui n'a souvent aucun rapport. Mais là, il ne s'agit pas de s'amuser : il y a une note au bout et le correcteur ne sait pas que le candidat est aveugle.

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