Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du jeudi 18 juillet 2019 à 10h30
Transformation de la fonction publique — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Nous examinons un projet de loi de transformation, de modification profonde de la fonction publique. Il traite essentiellement de la gestion des ressources humaines, mais, en fait, c'est l'État lui-même qu'il remet en question, et la conception que nous nous faisons de l'intérêt général.

La fonction publique républicaine, à la française, si j'ose dire, telle qu'elle a été conçue dans notre pays au fil de l'histoire est au coeur de notre modèle social. Elle est une réalité bien spécifique à l'intérieur de la Nation, elle suit les évolutions de la société et les accompagne.

Ce sont 5,4 millions d'agents qui consacrent tout leur temps professionnel à leur fonction. C'est un personnel qui a fait, généralement, le choix du service public, et qui a vocation à y rester en faisant carrière. Il fait tourner les rouages de l'État, et nous considérons qu'il est la meilleure incarnation de l'intérêt général.

Ce sont nos agents publics qui assurent la permanence de cette grande architecture. Et ce sont leurs conditions de travail que vous mettez en cause par ce texte focalisé sur la question de la « gestion des ressources humaines ». La formule emprunte au privé. Et pour cause ! En 2017, Emmanuel Macron, candidat à la Présidence de la République, déclarait : « Il faut gérer l'État comme une entreprise. » Nous ne sommes pas d'accord.

Qu'est-ce à dire ? Cela ne veut rien dire. Une entreprise ? Laquelle ? Il existe différents types d'entreprises. Philosophiquement, une entreprise, ce n'est pas la même chose qu'un État. Une entreprise produit et a vocation à faire du profit. Ce n'est pas la mission du service public.

Il n'est pas vrai qu'il faille gérer un État comme une entreprise. L'État n'a pas à rechercher la rentabilité ou l'accumulation de profits. Il a une autre mission : la recherche de l'intérêt général, ce qui impose parfois des investissements, des développements, des constructions. Comment gérer le fruit d'une construction historique à l'instar d'une entité privée dont les fondements et les objectifs sont profondément opposés ?

Votre vision opère un bouleversement des grands principes du service public. Elle pense le fonctionnaire comme un gestionnaire, l'usager comme un client, et l'État comme une start-up. Dans les faits, ce projet ne transforme pas la fonction publique, il la ponctionne.

Dans l'article 20, vous ponctionnez le droit de grève, qui est pourtant un droit fondamental garanti par le préambule de la Constitution de 1946. Il va désormais falloir produire une déclaration individuelle quarante-huit heures à l'avance pour exercer ce droit qui, par nature, est collectif. Il y a un an et demi, l'un de vos collègues, qui, depuis, est devenu ministre, avait dénoncé à la radio la « gréviculture ». Vous voulez faire peur aux fonctionnaires. Vous voulez les persuader qu'ils s'exposent à des sanctions s'ils font grève. Vous voulez faire en sorte que la grève ne soit plus une décision collective ! Je me souviens que, lorsque j'étais enseignant, avec tous les collègues nous nous réunissions le matin en assemblée générale pour discuter afin de savoir si nous allions faire grève. S'il faut déposer une déclaration quarante-huit heures à l'avance, cela devient tout autre chose, et vous le saviez bien.

Si l'on généralise les contractuels dans la fonction publique, il va de soi que la menace qui pèse sur eux est bien différente et limite leur capacité à se mobiliser. C'est là tout l'enjeu de ce texte ! Nicolas Sarkozy se félicitait naguère du fait que cela ne se voyait plus lorsqu'on faisait grève dans le pays. Ça, c'était dans ses rêves ! Quand on fait grève, cela se voit encore, fort heureusement. Mais vous voulez encore vous en prendre à ce qui constitue l'un de nos patrimoines nationaux. Oui, en France, on se mobilise ! Oui, en France, on n'accepte pas les inégalités ! Oui, en France, les gens sont tellement attachés au service public qu'ils se mobilisent lorsqu'on s'en prend à lui !

En limitant le droit de grève, vous ignorez les raisons même du déclenchement de la grève, notamment celles qui motivent les soixante-quinze services hospitaliers actuellement mobilisés.

Entre 2007 et 2012, avec la révision générale des politiques publiques – RGPP – voulue par Sarkozy, 150 000 postes de fonctionnaires ont été supprimés. Sous le quinquennat Hollande, ils furent 33 500. Après ces dix années de démantèlement de l'État s'ouvre une nouvelle séquence, la vôtre. Vous aviez annoncé 120 000 suppressions de postes. À la suite de la mobilisation des gilets jaunes, qui a bouleversé le pays, vous avez accepté de réduire ce nombre à 85 000. Malgré cela, que de dégâts, déjà ! Tout cela n'a rien d'anodin.

Je voulais dénoncer le pantouflage dont votre texte maintient la possibilité. Vous l'aurez compris, nous nous opposons à cette proposition et voterons contre. Et nous pensons que vous rendez un bien mauvais service à la fonction publique qui, je le répète, est composée d'agents qui ont fait le choix de cette carrière. Ils savent que, bien souvent, leur salaire ne sera pas mirobolant. Depuis 2010, ils subissent le gel du point d'indice. Mais ils ont choisi cela en raison du statut de fonctionnaire. Ce statut, vous le remettez en cause. Voilà pourquoi nous sommes farouchement opposés à votre proposition.

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