Intervention de Cédric O

Séance en hémicycle du mercredi 3 juillet 2019 à 15h00
Haine sur internet — Présentation

Cédric O, secrétaire d'état chargé du numérique :

Internet est né il y a trente ans d'un rêve fou : celui de connecter instantanément entre eux les êtres humains, sans barrière ni frontière, et de faire naître une société de la connaissance. Ce rêve s'est en partie réalisé : plus de la moitié des habitants de notre planète sont désormais connectés, et l'accès au savoir n'a jamais été aussi aisé ; chaque jour, des milliards de personnes échangent, partagent, créent et apprennent en ligne.

Internet est également un levier de la démocratie. C'est sur internet que sont nées les révolutions arabes. C'est internet qui a permis de faire émerger Barack Obama, un candidat à l'élection présidentielle américaine jusqu'alors peu connu, mais qui a su faire de cet outil un levier pour renverser les pronostics. C'est internet, enfin, qui a cristallisé le mouvement des gilets jaunes, lequel, pour être sévère avec le Gouvernement, n'en était pas moins, dans ses formes initiales, le signe d'une expression politique.

Nous sommes récipiendaires de cet héritage, de sa part de rêve comme de cauchemar. Dans les replis de cette liberté ont en effet germé des menaces qui mettent en péril l'existence même d'internet et les valeurs qui ont présidé à sa création. La liberté originelle s'est, en quelque sorte, retournée contre elle-même.

Ces menaces peuvent être évidentes et directes : les cyberattaques, la pédopornographie, le terrorisme, les trafics en tous genres. La liberté porte ainsi en son sein la licence et son lot de noirceur.

Certaines menaces sont essentialistes : la remise en cause des principes de base comme la neutralité du net, les dangereux progrès de l'idée que l'égale accessibilité des contenus et des infrastructures ne serait finalement pas si importante que cela, qu'il pourrait ne pas y avoir un seul internet mais plusieurs, en fonction des choix culturels et politiques des uns et des autres.

D'autres menaces, enfin sont plus pernicieuses : certains acteurs se sont développés à la mesure de la démesure dont était porteuse la fin des frontières.

Ceux qui étaient, bon an, mal an, les garants de la liberté dans le monde réel, à savoir les institutions et la puissance publique, n'ont pas su évoluer au même rythme que les bouleversements technologiques. Ils se retrouvent aujourd'hui mis à l'épreuve par des acteurs d'une taille, d'une puissance et d'une complexité technologique qu'ils n'ont jamais connues.

Lors du Forum sur la gouvernance de l'internet, en novembre dernier, le Président de la République, Emmanuel Macron, invitait les acteurs multiples du net à prendre conscience de leur responsabilité à l'égard de celui-ci. Tim Berners-Lee, l'un des fondateurs d'internet, ne dit guère autre chose lorsqu'il appelle à réguler plus fermement et à instaurer des « normes solides permettant de trouver un équilibre entre les intérêts des entreprises et ceux des citoyens connectés ».

J'ai conscience du fait que l'idée même de régulation n'est pas évidente dans l'univers d'internet, qui s'est développé à partir de l'idéal de liberté que j'évoquais au début de mon propos. Nombre de ses figures tutélaires, qu'il s'agisse de John Perry Barlow, d'Aaron Swartz ou de Richard Stallman, portaient en eux des principes libertaires qui s'accommodent mal de l'immixtion des États dans des protocoles qu'ils ont voulu résolument horizontaux. Toutefois, dans ce domaine comme ailleurs, la liberté ne procède d'aucune nécessité : ceux qui la défendent n'ont malheureusement pas les mêmes armes que ceux qui en jouent.

Je suis le premier à le regretter, mais c'est ainsi : des extrémismes de tous horizons, des forces économiques cyniques et, parfois, de grandes puissances étatiques s'organisent, tantôt pour prendre le pouvoir sur la toile, tantôt pour déstabiliser nos sociétés, et leurs moyens sont colossaux. Ainsi, ce qui, autrefois, pouvait être considéré comme une marge chaotique et comme un défouloir tolérable menace désormais l'essentiel.

Les Français l'ont bien compris. Du fait de l'importance prise par internet dans nos vies, nous devons entendre la demande de protection que nos concitoyens adressent à l'État. Notre réponse n'en doit pas moins rester équilibrée, en conservant pour horizon le développement d'internet comme un lieu d'opportunités. La protection peut, certes, imposer de lutter contre ceux qui abusent de ces opportunités, mais c'est pour mieux ouvrir des espaces de liberté au plus grand nombre. Il s'agit là un grand défi pour nos démocraties. En d'autres termes, si les seuls États à même de protéger internet de ces abus sont ceux qui recourent à des méthodes autoritaires, nos citoyens finiront, de guerre lasse, par se tourner vers ces solutions. La liberté de tous sera alors perdue. Nous avons donc, en la matière, une obligation de résultats.

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