Intervention de Philippe Vigier

Séance en hémicycle du mardi 18 juin 2019 à 15h00
Agences publiques et instances consultatives nationales — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Vigier :

Notre pays compte plus de 1 200 agences publiques et 387 commissions et instances consultatives, toutes placées sous l'autorité du Premier ministre ou des ministres. Il est vrai qu'en France, quand il y a un problème, on crée une commission et quand on veut être efficace, on crée une agence ! Ces données, qui figurent en annexe du projet de loi de finances pour 2019, ne sont sans doute pas exhaustives : il existe certainement d'autres agences que l'on n'a pas encore bien identifiées.

Ces structures sont supposées rendre l'État plus efficace. C'est même la raison de leur création : lorsqu'il fallait diminuer les effectifs dans les fonctions publiques, créer une agence était un moyen de récupérer les personnels tout en prétendant résoudre les difficultés. Malheureusement, le résultat est tout autre. Toujours plus nombreuses, formant des doublons, ces agences nous coûtent cher : plus de 60 milliards d'euros par an, dont 500 millions d'euros de masse salariale. Remarquons au passage que les commissions consultatives ne représentent, elles, que 22 millions d'euros de budget : la notion de consultation n'est pas encore très répandue, du moins si l'on en juge par les moyens financiers qui lui sont dévolus.

Mais, au-delà du coût budgétaire, la multiplication des organismes à caractère consultatif ou des agences publiques est-elle le signe d'une bonne administration ? Nous ne le pensons pas. Certes, les rationaliser ne signifie pas obligatoirement les supprimer : cela peut impliquer de les faire entrer dans un même cadre. Il y a quelques semaines, lors de la création de l'Agence nationale de cohésion des territoires, nous étions ainsi nombreux à souhaiter, par souci d'efficacité, rassembler d'autres entités en son sein.

En définitive, chacun s'accordera à juger que ces organismes sont source de complexité : chacun veut dire son mot mais, quand on monte un dossier, on n'obtient aucune réponse ! Quelques agences sont spécialistes en la matière : ainsi, dans le domaine de la transition énergétique, quand vous consultez l'ADEME, vous êtes à peu près assurés de la réponse !

Le sujet n'est pas nouveau. Il faut le reconnaître : un véritable effort de réduction a été accompli par tous les gouvernements depuis 2002. Cela a permis d'identifier les fameuses commissions administratives à caractère consultatif dont l'existence n'apparaissait plus justifiée et celles dont les missions pouvaient être prises en charge par un autre ministère. Un chemin a été tracé. L'audit a été suivi d'effets, puisqu'ont été notamment supprimés la commission interministérielle pour la prévention et la protection des risques liés à l'amiante, le haut conseil de l'information scientifique et technique ou encore le groupe central des grandes opérations d'urbanisme. Ce dernier intitulé montre d'ailleurs qu'en ce domaine, l'imagination n'a pas de limite !

Cette démarche s'inscrit dans le contexte général de modernisation de l'État entamée dans les années 2000. Un début de rationalisation a également été réalisé sous le gouvernement actuel, puisqu'une circulaire du Premier ministre du 24 octobre 2017 entendait supprimer, parmi les 410 commissions qui existaient il y a deux ans, celles qui n'avaient pas tenu de réunion. Vous avez bien entendu : certaines n'avaient pas tenu la moindre réunion ! Nos concitoyens doivent se demander à quoi sert tout cela !

Par ailleurs, toute nouvelle commission consultative doit avoir une durée maximale de cinq ans, ce qui est une bonne chose. De plus, sa création doit s'accompagner de la suppression concomitante d'une commission existante. À ce propos, nous qui sommes législateurs, nous ferions bien d'y réfléchir : nous ne cessons de voter de nouvelles lois, sans même supprimer celles qui attendent toujours leurs décrets d'application ! Nous devrions peut-être nous inspirer de cette initiative du Premier ministre…

Cette circulaire a donc permis de supprimer vingt et une commissions et instances placées auprès des ministres, soit 5 % d'entre elles : c'est un premier effort. Par la suite, en 2018, une nouvelle condition a été ajoutée pour la création d'une commission : elle devra s'accompagner de la suppression de deux commissions existantes. Une telle rationalisation est nécessaire, même s'il ne faut pas pour autant renoncer à la concertation et au dialogue – bien au contraire, et les gilets jaunes nous l'ont rappelé avec force ! – : utilisés à bon escient, ils constituent en effet des éléments essentiels du processus décisionnel.

Le groupe Libertés et territoires salue l'effort mené ces dernières années mais nous regrettons qu'il ne soit pas encore suffisant : je pense que nous pouvons partager ce constat. La création d'instances consultatives nationales ou de nouvelles agences continue. Aujourd'hui, 470 000 agents de l'État travaillent pour les opérateurs de l'État. Selon une étude de la fondation IFRAP – dont je vous invite à lire les travaux – , réalisée avec les données actualisées de 2016-2017, le nombre d'opérateurs est en baisse de 24 % par rapport à 2012 mais celui des organismes divers d'administration centrale augmente, pour atteindre 731. C'est le fameux « en même temps » !

Le 5 juin dernier, une circulaire du Premier ministre demandait de supprimer prioritairement les organismes dotés de moins de 100 équivalents temps plein. Le propos est clairement volontariste, il n'y a aucun doute, mais nous regrettons l'absence de chiffrage global, les objectifs de la circulaire étant en réalité assez peu contraignants pour les ministères. Réduire le nombre d'agences comptant moins de 100 agents n'affecterait qu'une soixantaine de structures, selon l'IFRAP, soit 2 500 agents. Au passage, réduire ne signifie pas nécessairement supprimer des emplois : il peut y avoir une mutualisation, une optimisation dans des agences existantes, avant de décider si ces emplois sont pertinents ou non.

La portée de cette circulaire risque d'être d'autant plus limitée que nos agences doublonnent parfois entre elles. Ainsi, l'ANAP, l'Agence nationale d'appui à la performance des établissements de santé et médico-sociaux, semble avoir du travail quand on voit la progression de la désertification médicale… Mais elle établit des statistiques parallèles à celles des ARS, dont c'est la compétence. Expliquez-moi pourquoi ! De plus, elle est en concurrence avec l'ANESM, l'Agence nationale de l'évaluation et de la qualité des établissements et services sociaux et médico-sociaux. D'un côté, on étudie la performance et, de l'autre, on fait de l'évaluation et de la qualité : il me semble que la performance fait partie de l'évaluation et de la qualité !

Autre exemple : la Cour des comptes, en 2009, avait jugé inutile l'Agence de financement des infrastructures de transport de France car elle avait des ambitions limitées et était privée de moyens – nous en avons d'ailleurs débattu cet après-midi à propos de la loi d'orientation des mobilités. Elle recommandait par conséquent que l'AFITF soit placée sous le boisseau de la DGITM, direction générale des infrastructures des transports et de la mer. Cela serait d'autant plus pertinent que c'est cette direction, bras armé du ministre, qui décide des investissements à réaliser. Sinon, vous aurez un système de billards à trois bandes, dans lequel tout le monde veut décider et où, malheureusement, la décision finale se perd. C'est dommage et, pour ma part, je fais confiance à la DGITM.

C'est dans les opérateurs de l'État que la masse salariale a particulièrement augmenté, passant de 25 milliards d'euros en 2012 à 30 milliards d'euros aujourd'hui. Dès lors, fixer un objectif de 400 000 équivalents temps plein chez ces opérateurs et surtout supprimer les doublons serait le reflet d'une bonne administration.

Enfin, je souhaite évoquer le sujet de la transparence – qui ne concerne pas seulement le Parlement, mais aussi à toutes les agences de l'État. Nous avons d'ailleurs, il y a quelques semaines, déposé des amendements en ce sens. En effet, les opérateurs ne mettent pas à disposition leurs comptes annuels, ou le font rarement, alors qu'ils gèrent de l'argent public : cela devrait nous faire réfléchir ! Il en va de même pour les organismes divers d'administration centrale.

L'exemple fort intéressant de la société de valorisation foncière et immobilière SOVAFIM est emblématique. Créée en 2006, elle devait accélérer les cessions de biens immobiliers de Réseau ferré de France tout en réalisant sur ces opérations des plus-values afin d'assurer la remontée rapide de dividendes vers le budget de l'État ; l'objectif est louable. Une fois cette mission terminée, pour compenser la baisse de ses revenus, la société a cherché à diversifier ses activités en louant des biens immobiliers ou en investissant dans la production d'énergie solaire – vous voyez qu'ils ne manquent pas d'idées : leur inspiration est féconde ! Comme le soulignait la Cour des comptes, « cette mutation, nullement prévue lors de sa création, a été opérée dans un cadre juridique dépourvu de stabilité et de clarté. » Quand on voit la facilité avec laquelle une commune est déférée lorsque son action est interprétée comme étant à la limite de ses compétences, cela amène à réfléchir ! Mais c'est ainsi : l'État contrôle l'État.

Depuis 2011, la même Cour des comptes réclame la suppression de cette société, qu'elle juge inutile et dont elle estime l'équilibre incertain. Chaque année, nous votons la loi de finances, nous autorisons des crédits sans même savoir à quoi ils serviront. En cela, le pouvoir de contrôle et d'évaluation budgétaire de notre assemblée, principe inhérent à toute démocratie, inscrit à l'article 14 de la Déclaration des droits de l'homme et du citoyen, s'en trouve affaibli. C'est pourquoi nous soutenons le souhait d'annexer à la loi de finances un document présentant l'ensemble des agences et leur budget consolidé : tel est l'objet de cette proposition de résolution.

Vous l'aurez compris, pour le groupe Libertés et territoires, toute mesure susceptible d'apporter une information exhaustive, de favoriser la mutualisation des moyens et de rendre l'administration plus efficace est une mesure qui va dans le bon sens. C'est la raison pour laquelle nous voterons cette proposition de résolution.

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