Intervention de Danièle Obono

Séance en hémicycle du lundi 13 mai 2019 à 16h00
Représentants au parlement européen élus aux élections de 2019 — Motion de renvoi en commission

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDanièle Obono :

Le projet de loi dont nous débattons aujourd'hui, relatif à « l'entrée au Parlement européen des représentants élus en France aux élections de 2019 », est loin d'être aussi anodin qu'il pourrait paraître au premier abord ; le président Mélenchon vient d'en faire en partie la démonstration. C'est en effet une sorte de projet de loi joker, « au cas où », rendu nécessaire à cause de la situation abracadabrantesque créée par la gestion désastreuse de la décision de retrait du Royaume-Uni de l'Union européenne, prise par référendum en juin 2016.

La Première ministre britannique, Theresa May, ayant échoué à trois reprises à faire valider par sa majorité parlementaire l'accord peu reluisant conclu avec les représentants et représentantes des vingt-sept autres États membres, la date du Brexit, initialement prévue le 29 mars, a dû être repoussée, d'abord au 12 avril, puis au 31 octobre. Le Conseil européen du 10 avril a finalement permis un report flexible : si Theresa May parvient à faire ratifier le traité de retrait avant la fin octobre, le Brexit serait effectif le premier jour du mois suivant la ratification. Si le Royaume-Uni est toujours membre de l'Union au moment des européennes, il sera obligé de participer aux élections. S'il n'y participe pas, sa sortie de l'Union sera effective le 1er juin dans le cadre d'un no deal. Les incertitudes demeurent fortes, le flou politique total. Les Britanniques se préparent donc aux élections européennes « au cas où » et nous voilà à devoir en débattre ou, comme l'on dit trivialement, à « discuter le bout de gras. »

Le texte qui nous est soumis vise en effet à prendre en compte le contexte précédemment décrit dans le cadre des élections européennes en ce qui concerne les cinq eurodéputés supplémentaires qu'obtiendrait la France à la suite du Brexit, du fait de la répartition entre les pays membres des sièges britanniques qui seraient laissés vacants. Le report du Brexit implique qu'en cas d'élections européennes dans ce pays, les eurodéputés britanniques seront élus au Parlement pour la législature 2019-2024 et siégeront jusqu'à la date effective du retrait. Ainsi, les eurodéputés ou eurodéputées supplémentaires de notre pays entreraient en fonction de manière différée.

L'unique article du texte prévoit l'application de la décision 2018937 du Conseil européen fixant la composition du Parlement après retrait du Royaume-Uni. Il précise que l'élection des soixante-dix-neuf eurodéputés et députées de France se fait au même moment et que la Commission nationale de recensement indiquera les élus concernés après élection. Le texte indique également que l'entrée en fonction des cinq élus se fait à la date effective du Brexit, ces élus étant dans l'attente assimilés à des suivants de liste.

C'est le deuxième texte législatif relatif à la fois aux élections européennes et aux conséquences du Brexit que nous étudions depuis le début de cette législature. Pour un observateur non averti, ainsi que pour la majorité de cette assemblée, toujours tellement pressée de voter sans trop réfléchir, sans trop se prendre la tête, il ne devrait pas y avoir besoin de discuter grand-chose et encore moins de motions de rejet et de renvoi, car tout cela n'est censé être qu'une simple formalité technique. Que nenni ! Ce genre d'attitude superficielle fait passer à côté de ce qui constitue, au contraire, une opportunité de débattre sur le fond, à la fois sur le Brexit mais aussi, plus fondamentalement, sur ce dont le Brexit est le nom, sur ce qu'il dit de l'Union européenne et sur le sens à donner aux prochaines élections, pour lesquelles ces cinq nouveaux sièges seront peut-être laissés vacants.

Le Brexit est un cas d'école, un avertissement qui devrait nous alerter sur l'impérieuse nécessité de tout changer, au niveau européen comme au niveau des politiques que nous menons dans nos propres pays. En mars 2016, quelques mois avant le scrutin référendaire britannique, Peter Sutherland, ancien membre de la Commission trilatérale – cette organisation privée, crée à l'initiative de groupes d'intérêts, promeut la coopération entre les grands ensembles que sont l'Amérique du Nord, l'Europe occidentale et l'Asie – , ancien commissaire européen, ancien directeur général de l'Accord général sur les tarifs douaniers et le commerce, ancien président de Goldman Sachs et de British Petroleum, donc un expert sur ces sujets, remarquait ainsi, non sans une certaine amertume, dans un article du Financial Times : « L'un des paradoxes les plus désolants au sujet d'un éventuel Brexit est que Londres a remporté un grand succès en façonnant une Union européenne libre-échangiste à sa propre image. » On ne saurait mieux dire !

Les dirigeants et dirigeantes de l'Union européenne partagent avec la classe dirigeante britannique une philosophie et des politiques similaires, depuis son origine jusqu'à aujourd'hui. En 1957, le Traité de Rome instituant la Communauté économique européenne place les dogmes libéraux de la concurrence et du libre-échange au sommet de l'édifice communautaire.

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