Intervention de Jacques Maire

Séance en hémicycle du lundi 29 avril 2019 à 16h00
Débat sur le rapport d'information du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques sur l'évaluation de la lutte contre la délinquance financière

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJacques Maire, rapporteur du comité d'évaluation et de contrôle des politiques publiques :

Je souscris évidemment à tout ce qui a été dit par mon excellent corapporteur, Ugo Bernalicis. La délinquance financière fait de nombreuses victimes, que l'on peut évaluer, à titre d'illustration et non de démonstration, à près de 2 millions par an. Pour la seule année 2017, 1,2 million de personnes se sont fait soutirer 744 millions d'euros par la seule fraude aux moyens de paiement. Celle-ci s'étend à grande vitesse : elle a connu une progression de 23 % entre 2013 et 2018. L'État est évidemment le premier perdant ; il subit, Ugo Bernalicis l'a dit, une fraude à la TVA représentant environ 20 milliards d'euros par an.

Combattre ce fléau est très difficile, car les victimes perdent souvent de petites sommes, ce qui ne motive pas le dépôt d'une plainte. Par ailleurs, les enquêtes sont longues et nécessitent des personnels qualifiés. Or, la société accorde évidemment beaucoup plus d'importance aux atteintes aux personnes qu'aux petites atteintes financières. Il faut donc valoriser ces filières au sein des services d'enquête et des juridictions, au moyen de différentes mesures que je n'ai pas le temps de détailler.

Depuis une dizaine d'années, des progrès ont eu lieu. Les pouvoirs publics ont mis en place des structures comme le parquet national financier, déjà évoqué, ou l'Agence française anticorruption, mais ceux-ci traitent le haut du spectre. S'il faut se féliciter que ces affaires complexes et médiatisées soient traitées, ce qui évite tout déni de justice, le système est au bord de l'asphyxie, vous l'avez dit, et des centaines de milliers de petites affaires passent à la trappe. Le risque de déni de justice est donc réel pour la petite délinquance financière.

Il faut donc aller plus loin et adopter des mesures structurelles. On peut citer, par exemple, la mise à l'étude du paiement scindé, sur laquelle je ne reviendrai pas. De façon plus générale, il faut pouvoir accompagner les innovations et les encadrer, car elles sont souvent exploitées. Toute innovation donne naissance à un espace dérégulé propice à tous les trafics.

Il faut commencer par introduire la régulation chez les professionnels eux-mêmes. BNP Paribas dépense 660 millions d'euros par an pour la conformité ; autre chiffre, l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution – ACPR – demande un gel de 18 milliards d'euros par an dans les bilans pour gérer le risque opérationnel. Malgré l'inexistence du droit à l'erreur, les fraudes continuent.

Comment traiter les faiblesses restantes ? Les professions du chiffre sont un peu trop faiblement mobilisées, mais il faut aussi surveiller chaque marché qui se crée. Nous proposons ainsi une surveillance obligatoire des plateformes d'échange des crypto-actifs et des cryptomonnaies, telle que proposée par le groupe d'action financière – GAFI. La loi PACTE ne va effectivement pas au-delà de l'enregistrement volontaire, si bien qu'il faudra rapidement dépasser ce premier pas.

En termes de prévention, la mesure la plus importante est le déploiement du système d'identité numérique publique pour l'ensemble des services financiers en ligne. L'usurpation d'identité, qui constitue l'un des problèmes les plus importants, nous concerne tous un jour ou l'autre. Après la séance, je peux vous donner, si vous le souhaitez, un cours rapide d'une demi-heure pour vous apprendre à frauder ; en effet, trois clics suffisent pour frauder sans grand risque avec les grandes plateformes en ligne, notamment bancaires et de location.

Il faut également renforcer le statut de lanceur d'alerte : alors que Stéphanie Gibaud, ancienne salariée d'UBS, se retrouve au chômage et vit des minima sociaux, Bradley Birkenfeld a pu toucher 75 millions de dollars de commission. Nous ne pensons pas qu'il faille instaurer un dispositif de chasseur de primes à l'américaine qui ne correspond pas à notre culture, mais il devrait être possible de donner des perspectives et d'intégrer dans le service public le nombre limité de personnes qui, comme les hackers, ont des compétences intéressantes.

Il importe de frapper au portefeuille par des sanctions dissuasives. La création de l'Agence de gestion et de recouvrement des actifs saisis et confisqués – AGRASC – , placée sous la tutelle des ministères de la justice et du budget, a marqué un progrès, mais la vente des actifs reste extrêmement décevante. Nous proposons deux mesures pour l'automobile et l'immobilier, les deux principaux actifs qu'il est facile de saisir : la constitution d'une base de données partagée permettant de tracer les actifs saisis et la création d'un régime juridique spécifique aux cessions des biens immobiliers de l'État, distinct de celui du code général de la propriété des personnes publiques, afin de faciliter les ventes. Nous avons également pensé à une mesure sur l'automobile, que je ne vous exposerai qu'en tête-à-tête.

Enfin, la récente convention judiciaire d'intérêt public, bien que perfectible, améliore le recouvrement. En quelques mois, deux premières CJIP ont été signées, via le parquet national financier, avec HSBC et la Société Générale : elles ont rapporté plus de 500 millions d'euros à l'État français pour des affaires de corruption et de fraude.

En conclusion, le défi est considérable : la délinquance financière croît fortement, et l'épée va plus vite que le bouclier. Mais, bonne nouvelle, monsieur le secrétaire d'État de Bercy, la lutte contre la délinquance financière est une activité rentable pour l'État,

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