Intervention de Nicole Belloubet

Séance en hémicycle du jeudi 4 avril 2019 à 15h00
Lutte contre la sur-réglementation — Présentation

Nicole Belloubet, garde des sceaux, ministre de la justice :

Monsieur le rapporteur, je vous remercie de nous offrir l'occasion, grâce à votre initiative, qui tient en une proposition de loi constitutionnelle « révolutionnaire », d'évoquer l'inflation normative dans notre pays. Si la production excessive de normes est un mal universellement partagé, comme en témoignent les nombreuses initiatives prises dans plusieurs pays pour y remédier, la France connaît une singularité certaine en la matière.

Je ne reviendrai sur le constat que vous venez de dresser, après bien d'autres. Il n'est plus besoin de citer les nombreuses études du Conseil d'État sur ce sujet, les rapports parlementaires qui ont stigmatisé ce phénomène, ni les initiatives prises depuis près de vingt ans par les gouvernements successifs pour tenter de l'endiguer. Votre rapport en fait la description fidèle, et il analyse avec soin les origines de ce prurit normatif.

Si nous éprouvons tous collectivement une grande difficulté à lutter contre cette prolifération normative, c'est que ses origines sont diverses et, surtout, structurelles.

Dans son étude de 2016 consacrée à la simplification et à la qualité du droit, le Conseil d'État mettait en évidence les facteurs sociologiques, techniques et administratifs qui expliquent ce phénomène. Dans un monde de plus en plus complexe, il semble naturel que les normes le deviennent également. Les attentes sociales se développent et sont souvent traduites, à la demande même des acteurs, par des lois ou des règlements nouveaux. Il ne faut pas négliger les logiques bureaucratiques à l'oeuvre, en France comme ailleurs. Le Conseil d'État citait aussi des facteurs politiques ou médiatiques, ainsi que des conséquences de la hiérarchie des normes qui induit des mécanismes de production de textes en cascade.

On ne peut donc désigner tel ou tel gouvernement, telle ou telle majorité – ce que vous n'avez d'ailleurs pas fait – , qui aurait fauté plus qu'un autre. Nous sommes atteints en France d'une « normativite » chronique, contre laquelle il n'existe pas de remède miraculeux. Nous disposons en revanche de toute une série de dispositions pratiques qui, mises en oeuvre par une volonté ferme, porteront leur fruit.

Mesdames et messieurs les députés, il faut bien reconnaître que les chiffres énoncés par votre rapporteur sont vertigineux : il y avait 320 000 articles législatifs et réglementaires en vigueur en 2018. Le stock est donc considérable alors que le flux annuel demeure très important, soit une cinquantaine de lois et une quarantaine d'ordonnances comprenant respectivement entre 300 et 1 000 articles, et entre 200 et 1 900 articles. Je n'évoque même pas les mesures réglementaires, plus abondantes encore.

La surtransposition du droit européen constitue un cas particulier de ce phénomène. Les directives laissent aux États membres une marge d'appréciation pour transposer les règles qu'elles contiennent. Il est avéré qu'il existe en France une tendance à aller au-delà de ce qui est rendu nécessaire par les textes européens. Il s'agit aussi d'un phénomène bien identifié que les gouvernements successifs ont entrepris de combattre, mais il faut avouer que la notion même de surtransposition couvre des problématiques si différentes qu'il est assez difficile de traiter la question de manière automatique et radicale. J'y reviendrai dans un instant.

L'abondance de normes n'est pas en soi critiquable. Le droit est un cadre nécessaire. Il est souvent source de progrès puisqu'il protège, incite et libère. Reste que, trop souvent, la surabondance des textes et, plus encore, leur complexité et leur instabilité conduisent à un alourdissement des charges administratives et à des surcoûts financiers supportés principalement par les entreprises, surtout les plus petites d'entre elles.

Sur ce sujet aussi, les chiffres évoqués sont impressionnants : la charge administrative pesant sur les entreprises représenterait 3 % du PIB, soit environ 60 milliards d'euros. On n'a de cesse de citer le rapport sur la compétitivité dans le monde du Forum économique mondial, qui classe la France à la cent septième place sur cent quarante pour la charge administrative pesant sur les entreprises.

Le Gouvernement n'est pas resté inactif face à cette situation. On peut même dire qu'à peine installé, il a conçu une méthode qui témoigne d'une réelle volonté.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.