Intervention de Huguette Bello

Séance en hémicycle du lundi 18 mars 2019 à 16h00
Organisation et transformation du système de santé — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaHuguette Bello :

La délégation aux outre-mer a confié à notre collègue Ramlati Ali et à moi-même, à l'occasion de l'examen du présent projet de loi, une mission-flash sur la santé dans les outre-mer.

Deux points ont fait l'unanimité : la déception de constater que la situation sanitaire des outre-mer – en dépit de leurs caractéristiques pourtant bien documentées – n'a donné lieu à aucune mesure adaptée dans le texte – à l'exception de la création d'une Agence régionale de santé à Mayotte, qui rejoint ainsi le droit commun ; et la confirmation que la logique de la différenciation doit bel et bien s'appliquer en matière de santé publique outre-mer, tant les situations sont variables d'un territoire à l'autre – cette nécessité se vérifie sans doute encore davantage en matière d'offre de soins, laquelle est au coeur du projet de loi.

Ainsi, la médecine générale présente un tableau très disparate : La Réunion connaît une densité équivalente à celle de l'Hexagone, celle des Antilles est de 20 % inférieure, et celle de la Guyane de près de la moitié ; quant à Mayotte, le nombre de généralistes n'y dépasse pas vingt. Quant aux spécialistes, si le déficit est généralisé, il varie beaucoup en intensité.

Un autre exemple est fourni par le nombre de lits d'hôpitaux : la situation de la Martinique et de la Guadeloupe – avant l'incendie du CHU – est proche de celle de la France continentale, avec 569 lits pour 100 000 habitants, tandis que La Réunion et la Guyane comptent bien moins de 400 lits pour 100 000 habitants. À ce ratio, on répondra virage ambulatoire. À cette inégalité, on opposera le taux d'occupation des lits. C'est pourtant un des moments où les réalités doivent primer sur les normes abstraites, où la grande précarité, les topographies, les affections lourdes, les dépendances précoces et aussi cette inquiétante surmortalité prématurée – à La Réunion, elle est de 23 % supérieure, par exemple – doivent déterminer les critères et les politiques.

La psychiatrie demande aussi des politiques différenciées. Les outre-mer n'échappent pas aux lourdes difficultés que notre collègue Martine Wonner a présentées de façon éclairante dans un récent rapport. Mais celles-ci y sont exacerbées, et singulièrement dans l'océan Indien qui fait partie des régions historiquement sous-dotées. Mayotte dispose de 10 lits en psychiatrie et d'un budget de 450 000 euros. Quant à La Réunion, il y manque environ 600 euros par patient, soit un total de 15 millions d'euros par an.

L'accumulation de retards et des déficits qui en résultent rend indispensable l'accélération du rattrapage qui a débuté en 2018. Mais, sept ans, c'est long, madame la ministre, pour une remise à niveau.

Les acteurs de la santé sont convaincus que la différenciation en matière de santé publique donnerait des résultats plus probants, notamment en ce qui concerne la prévention. Celle-ci est indispensable pour lutter contre les maladies infectieuses mais aussi contre les pathologies chroniques, au premier rang desquelles le diabète, contre la surmortalité qui entoure la naissance, contre les comportements à risques, contre les épidémies ; or la prévention est le parent pauvre, le parent très pauvre, de la médecine dans les outre-mer. Nous avons noté les mesures du plan « priorité prévention », mais nous partons de si loin, avec 3 euros par habitant, et nombre de nos indicateurs sont encore si dégradés, qu'il faudra mettre les bouchées doubles pour inscrire vraiment les outre-mer dans cette « révolution de la prévention » que le Président de la République appelle de ses voeux.

Il est impossible de ne pas aborder ici la situation financière des établissements de santé ultramarins, et notamment des centres hospitaliers universitaires, tant on les associe désormais systématiquement à des déficits colossaux. Or non seulement nos CHU n'ont pas ce monopole, puisque la moitié des CHU de France sont concernés, au point que la Cour des comptes parle de « déficit chronique » des CHU, mais ces chiffres recouvrent des situations fort différentes. Je tiens ici à rappeler que le déficit du CHU de La Réunion était de 21 millions en 2017, et que les aides de trésorerie pour le résorber iront de 7,5 à 4,5 millions d'ici à 2020. De même, le plan global d'investissement d'un milliard que tous les gouvernements se plaisent à mettre en avant se décline de manière fort différente selon les territoires.

Le regard uniforme et globalisant est source d'incompréhensions, et bien des acteurs de la santé à La Réunion ne comprennent pas les rigoureux plans de retour à l'équilibre – les PRE – qui leur sont imposés, assortis de suppressions de postes et de lits.

Une unanimité se dégage pour souligner que le coefficient géographique créé pour compenser les surcoûts lors de la mise en place de la tarification à l'activité, la T2A, n'est plus adapté à la réalité des coûts locaux et contribue au déficit. Le rapport Aubert préconise une révision de ce coefficient « recentré sur les surcoûts objectivables [… ] et étendu aux quelques recettes actuellement non couvertes ». Pour La Réunion, qui n'a connu qu'une augmentation d'un point en douze ans, cette revalorisation apparaît comme un préalable indispensable à toute autre mesure.

Je veux, pour conclure, souligner à nouveau la forte attente de nos compatriotes en matière de santé. À La Réunion aussi, vos décisions sont très suivies, madame la ministre. Et, dans l'immédiat, nous comptons sur vous pour empêcher le scénario inédit et dramatique d'une épidémie de dengue qui se prolongerait sur deux saisons chaudes. Le dernier niveau d'alerte du plan Orsec a été déclenché en juillet dernier – sans résultats.

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