Intervention de Alexis Corbière

Séance en hémicycle du jeudi 14 mars 2019 à 21h30
Croissance et transformation des entreprises — Article 51 (appelé par priorité)

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaAlexis Corbière :

Nous examinons à nouveau cette loi, davantage loi « impact » que loi « PACTE » car l'impact sera dur, tout d'abord pour Aéroports de Paris, puis pour La Française des jeux. La logique est la même : si nous sommes là pour échanger, nombre d'arguments ont déjà été avancés cet après-midi concernant ADP. Quelle drôle d'idée que de privatiser un secteur stratégique qui rapporte de l'argent !

De plus, le secteur des jeux n'est pas anodin : en matière de santé publique, les jeux créent de la dépendance. Nombre d'études démontrent que l'on joue de plus en plus jeune, en fonction de sa situation sociale. Ainsi, nos concitoyens les plus en difficulté jouent toujours plus et s'endettent davantage. S'il est un secteur dans lequel la puissance publique doit régner totalement pour éviter une explosion des situations dramatiques, c'est bien celui-là ! Avouez que, sur ce point, ce que vous nous proposez ne vise qu'à affaiblir l'État, quoi que vous en disiez. De quelle manière la puissance publique et le législateur pourront-ils éviter un développement de jeux particulièrement dangereux, addictifs, comme le jeu Rapido dont nous venons de parler ? La privatisation nous permettra-t-elle d'exercer à tout moment un contrôle de ces jeux ?

Du reste, pourquoi privatiser alors que cela rapporte de l'argent ? Ce secteur, grâce aux recettes qu'il réalise dans un cadre contrôlé, peut financer d'autres activités. L'effet d'aubaine de la privatisation n'est que momentané : vous ne nous ferez pas croire que, sur la durée, l'opération ne se révélera pas être une bien mauvaise affaire.

Nous ne comprenons donc pas ce que vous êtes en train de faire, ou plutôt nous ne le comprenons que trop ! Vous liquidez différents secteurs stratégiques pour, dans un tour de passe-passe, prétendre que vous renflouez les caisses de l'État, alors que, dans les faits, vous affaiblissez la puissance publique. Or ce secteur mériterait que nous fassions preuve de la plus grande vigilance : nous devrions même tout faire pour réduire le nombre des jeux, voire les faire quasiment disparaître. Il s'agit de remettre en cause non pas le plaisir du jeu – nous y sommes tous favorables – mais les jeux d'argent, qui créent de la dépendance.

Le succès des jeux a pour toile de fond les salaires trop bas, les difficultés sociales. Qui ne voit là le lien direct avec le mouvement des gilets jaunes ? Ceux-ci crient à leur façon l'exigence d'un meilleur partage des richesses, d'une augmentation des salaires. Le jeu représente pour beaucoup de gens la possibilité d'un rêve, d'une légère augmentation de salaire. Mais sommes-nous pour ce modèle-là ? Vous affirmez régulièrement qu'il faudrait revaloriser la valeur travail : c'est dans le travail, dans la production, dans l'intelligence, dans la création que l'on peut s'enrichir, concrètement ou symboliquement. Les jeux d'argent ne constituent-ils pas une activité néfaste, fondamentalement malsaine ?

Or vous nous proposez non pas de réguler ces habitudes, mais de continuer à les développer. Il y a un lien, une cohérence idéologique très claire entre votre projet de société fondé sur la réussite individuelle, qui vise à réduire les solidarités, et votre volonté de privatiser cette entreprise : vous pensez qu'il faut développer ce secteur juteux en confiant les outils à des gens qui n'auront d'autre but que de faire du profit. Comment leur reprocher, dès lors, de faire des propositions de plus en plus malsaines ?

Il y a là de votre part une forme de logique, que je devrais saluer. Mais permettez au républicain que je suis de penser que la République n'est pas un régime neutre : nous ne devons pas être indifférents aux activités de nos concitoyens, à la manière dont ils brûlent leur argent pour se réfugier dans un imaginaire meilleur. En général, il n'y a qu'un seul vainqueur : l'organisateur du jeu. Nous sommes donc particulièrement inquiets et radicalement opposés à cette privatisation, tant du point de vue de la santé publique que de celui de son impact sur la jeunesse ou de son impact sociologique. Nous savons que ce sont nos concitoyens les plus modestes qui souffrent de ces addictions : c'est donc tout l'inverse qui devrait être fait.

Dans la discussion qui suivra, vous l'aurez compris, monsieur le ministre, vous ferez face à notre opposition la plus farouche et la plus radicale. Nous prendrons à témoin la population pour lui dire qu'il est bien curieux que ce grand débat national, qui devrait mettre beaucoup de sujets sur la table, n'en propose en vérité aucun de sérieux. Dans les coulisses de ce prétendu grand débat, qui est une véritable fumisterie, vous liquidez des secteurs stratégiques et mettez en oeuvre une politique sans que les Français ne soient véritablement consultés.

Je reprendrai l'argument que j'ai avancé ce matin : un peu de courage, monsieur le ministre ! Faites un référendum, demandez aux Français s'ils veulent privatiser ADP, demandez aux Français s'ils veulent privatiser La Française des jeux ! Cela vous permettra de constater qu'il existe un rejet massif, franc de la part de nos concitoyens à ce que vous êtes en train de faire.

Telle est notre position. Quel que soit le vote que vous arriverez à obtenir dans cet hémicycle, vous aurez face à vous, j'en suis convaincu, une majorité de nos concitoyens, qui n'acceptent pas que l'on joue avec ce qu'il y a de plus cher, à savoir leur intégrité ; ils refusent que tout soit marchandisé et que la logique de l'argent se répande toujours plus dans la société.

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