Intervention de Bruno le Maire

Réunion du mercredi 6 mars 2019 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Bruno le Maire, ministre de l'économie et des finances :

Vos commentaires vous appartiennent ; je me contente de remarques objectives et factuelles. De même, la compagnie Air France a été privatisée entre 1997 et 2002. Je le dis à ceux qui nous reprochent de laisser KLM entrer au capital d'Air France au motif qu'elle est une compagnie stratégique : si elle était aussi stratégique, il ne fallait pas la privatiser !

Quant à moi, je ne conteste pas les choix faits à l'époque, que je juge plutôt judicieux. Je citerai toutefois un dernier exemple susceptible d'être critiqué : ce n'est ni Air France ni France Telecom, mais Eramet. L'une des activités les plus stratégiques, pour la Chine comme pour les États-Unis, c'est la maîtrise des minerais précieux et des métaux rares, indispensables au développement des technologies de l'avenir – les batteries à ion et lithium, liquides ou solides, notamment. Si les métaux rares étaient aussi stratégiques, il ne fallait pas privatiser Eramet… C'est pourtant ce qu'on a fait entre 1997 et 2002 !

Qu'est-ce qui est stratégique dans ADP ? La frontière, qui restera contrôlée de la même manière qu'aujourd'hui.

Pourquoi privatisons-nous ? Le rapporteur général l'a rappelé et je reviendrai sur les propos judicieux de M. de Courson et de Mme de La Raudière. La première raison consiste à prévoir et faciliter le développement international d'ADP pour en faire un leader mondial du secteur aéroportuaire, pour améliorer la qualité de service des aéroports de Paris et permettre une stratégie de développement. Je suis tout à fait prêt à ce que nous réfléchissions ensemble à la manière dont cette stratégie de développement se déploiera conjointement entre ADP et la compagnie nationale, Air France.

Ensuite, nous privatisons pour participer au désendettement, même pour un montant modeste.

Enfin, nous privatisons pour financer un fonds pour l'innovation de rupture que j'estime, quant à lui, absolument stratégique. On m'oppose l'argument selon lequel il était totalement inutile de créer de fonds de rupture : il suffirait d'utiliser les dividendes, comme s'ils étaient garantis ad vitam aeternam. C'est faux dans le passé, c'est incertain dans l'avenir. Faux dans le passé : en 2018, les dividendes se sont élevés à 173 millions d'euros, mais ils n'étaient que de 92 millions en 2014 et 78 millions en 2011, avec des variations annuelles pouvant atteindre 20 % en fonction de la situation du trafic aérien. Incertain dans l'avenir : la part de risque lié à l'incertitude du trafic est forte. En outre, vous réclamez tous – de manière tout à fait légitime – une fiscalité sur le kérosène aérien, au motif qu'il n'est pas normal de taxer le diesel routier sans taxer le kérosène aérien. Ce qui risque de dégrader fortement les résultats des compagnies aériennes et des grands hubs aériens.

Enfin, la prise de conscience du coût environnemental du passager aérien peut aussi avoir un impact sur le résultat des grandes infrastructures aéroportuaires ; personnellement, je ne parierai pas sur le maintien de dividendes structurellement élevés, alors même que, pour financer l'innovation de rupture, nous avons besoin de certitudes et de revenus absolument réguliers. En effet, ce qui est stratégique, ce n'est pas les activités du XXe siècle, mais le financement des activités du XXIe siècle : le rôle de l'État stratège n'est pas de toucher des dividendes sur les activités du XXe siècle, mais de financer les activités du XXIe siècle, qui feront la différence entre les nations qui gagnent et les nations qui perdent, entre les vainqueurs et les vaincus. Pour cette raison, j'estime indispensable de dégager dès aujourd'hui des moyens financiers importants, réguliers et sûrs pour l'intelligence artificielle et pour le stockage des données, et non pour les boutiques et les hôtels de luxe.

Pourquoi vendre maintenant ? On me dit parfois qu'on ne vend pas sa vache de concours. Mais si je reprends mon ancienne casquette de ministre de l'agriculture, je répondrai qu'il vaut mieux vendre sa vache quand elle produit son meilleur lait plutôt que lorsqu'elle est tarie ! En d'autres termes, il n'est pas de mauvaise politique de privatiser quand l'entreprise se porte bien et que les cours sont hauts, parce que c'est là que l'entreprise rapporte le plus au Trésor public et donc aux contribuables.

Cela dit, je ne suis pas sourd, j'entends vos inquiétudes et vos critiques et je veux y répondre. Comme je l'ai toujours dit, je souhaite que nous profitions de cette nouvelle lecture pour améliorer le texte, en renforçant encore les protections que nous apportons aux citoyens, à l'État et à la Nation dans le cadre de cette privatisation. Pour cela, nous apportons quatre types de garanties.

Le premier type de garanties, c'est une garantie de bonne gestion, celle qui repose sur le maintien de la double caisse, avec une séparation entre les activités aéroportuaires et les activités commerciales – ceci afin d'éviter que le boom des activités commerciales ne puisse financer des activités qui seraient moins compétitives. Cette garantie de bonne gestion me paraît très importante pour l'infrastructure.

Le deuxième type de garanties est constitué de celles fournies en termes de cession et d'exploitation, avec un cahier des charges précis – dont je suis disposé à vous fournir les clauses si vous le souhaitez, afin que nous puissions en discuter de manière précise et détaillée.

Ce cahier des charges comporte d'abord des clauses sur les conditions de cession d'Aéroports de Paris. Premièrement, ne pourront participer à la future cession par l'État de ses parts d'ADP que les acheteurs qui rempliront des conditions strictes en termes de fonds propres, d'expérience dans le secteur du transport aérien, mais aussi – ce troisième point n'est pas le moins important – d'indépendance vis-à-vis des États. L'État français ne cède pas ses participations – ou une partie de ses participations – dans Aéroports de Paris pour les transférer à un autre État ou à une entreprise qui serait sous son contrôle. Deuxièmement, le cahier des charges contient des garanties sur les modalités d'exploitation, inspirées – je le dis pour M. François Ruffin – des leçons que nous avons tirées de la cession des autoroutes.

Le cahier des charges comportera des points précis sur le respect de l'environnement, sur les services, sur les emplois – cela a été rajouté à la demande de M. Peu –, sur la qualité du service aéroportuaire et sur le développement international. Il comportera également des garanties sur la présence de l'État, avec un commissaire du Gouvernement et des dirigeants qui seront agréés par l'État pour toutes les activités qui ressortissent de la souveraineté de l'État. Pour être tout à fait précis, le directeur de la sécurité d'Aéroports de Paris, quelles que soient les modalités de cession que nous choisirons, devra être choisi par l'État afin qu'en matière de sécurité, les droits souverains de l'État, la protection des personnes et la sécurité des frontières soient garantis par l'État et exclusivement par l'État, y compris dans le cadre d'une structure privée.

Une autre garantie en matière d'exploitation est celle apportée par le contrat de régulation économique pluriannuel. Sur ce point, je confirme ce qui a été dit par certains députés de la majorité : oui, après l'opération de privatisation, les garanties sur les tarifs seront plus fortes qu'auparavant. M. François Ruffin a rappelé à juste titre ce qui s'était passé avec les autoroutes ; en ce qui concerne ADP, le contrat de régulation économique prévoit que les tarifs aéroportuaires seront déterminés dans le cadre d'une discussion entre la société Aéroports de Paris, les compagnies aériennes et l'État ; et c'est lui qui, in fine, fixera les tarifs aéroportuaires.

Si les garanties ont vocation à être plus importantes après l'opération de privatisation d'ADP, c'est aussi parce que nous renforçons le rôle de l'Autorité de supervision indépendante (ASI), qui donnera pour la première fois un avis sur le coût moyen pondéré du capital, afin d'éviter l'effet d'aubaine qui s'est produit dans le cadre de la privatisation des autoroutes, et qui veillera au contrôle du respect du contrat de régulation économique pluriannuel.

En résumé, l'État gardera le dernier mot sur la fixation des tarifs aéroportuaires et le contrôle sera renforcé au titre de l'Autorité de supervision indépendante : ce sont donc des garanties solides – plus solides que celles d'aujourd'hui – que nous apportons dans le cadre de cette opération.

J'entends parfois affirmer que le cahier des charges n'est pas contraignant, ce qui est faux, puisqu'il est soumis à contrôle et que le non-respect de ses dispositions pourra entraîner des sanctions pouvant aller jusqu'à 2 % du chiffre d'affaires de la compagnie. Le cahier des charges est donc strict, contrôlé et soumis à des sanctions.

Le troisième type de garanties que nous apportons est celui des garanties en termes de sécurité. Nous allons évidemment faire en sorte que le contrôle des frontières reste aux mains des forces de sécurité publique : les services des douanes garderont toutes leurs attributions et le contrôle des personnes et des biens continuera à être effectué par les services publics. M. Viala a dit, à juste titre, qu'un certain nombre de contrôles sur les bagages sont aujourd'hui effectués par les personnels de sociétés privées, pour lesquels on a parfois des doutes… Pourtant, à l'heure actuelle, le groupe Aéroports de Paris est public ; ce qui montre bien que la sécurité n'a rien à voir avec le caractère public ou privé d'ADP, en tout cas, que le fait qu'ADP soit public ne suffit pas à garantir une sécurité absolue aux infrastructures. Ce que nous souhaitons, en revanche, c'est renforcer les contrôles aux frontières et les opérations de douane et les laisser strictement et rigoureusement aux mains de la puissance publique. Il n'y a pas de privatisation des frontières, mais simplement la privatisation d'une société commerciale, ce qui est très différent.

Le quatrième type de garanties est celui de la garantie patrimoniale. En effet, au terme des soixante-dix ans de concession, l'État français va récupérer l'intégralité du foncier et des infrastructures d'Aéroports de Paris – des infrastructures très importantes, comme l'a rappelé M. Vallaud, et qui en l'état actuel appartiennent pour une durée illimitée à 49 % à des acteurs privés…

Vous voulez des garanties supplémentaires ; je le redis, j'entends parfaitement les demandes qui me sont faites par des députés de tous les groupes, et je suis prêt à examiner ces demandes de manière très constructive. Ainsi, vous me rapportez des demandes formulées par les communes proches des installations aéroportuaires, inquiètes au sujet de l'augmentation du nombre de rotations, du bruit, et du respect de l'environnement. Je comprends ces inquiétudes qui portent, je le rappelle, sur des points actuellement régis par des dispositifs qui sont au mieux de niveau réglementaire, et je vous suggère que nous étudiions le renforcement de ces dispositifs et leur inscription dans la loi, afin de leur conférer un caractère législatif. Voilà la proposition que je fais à Mme de Montchalin, à Mme Guévenoux et à Mme Park : c'est bien la preuve qu'à l'issue de la privatisation, vous aurez des garanties plus fortes que celles existant aujourd'hui, notamment pour les riverains.

Vous m'avez demandé si les départements franciliens pourraient participer à cette opération. Ma réponse est oui : nous allons étudier ensemble dans quelles conditions cela pourrait se faire.

Enfin, M. Descoeur m'a demandé s'il fallait apporter des garanties sur les lignes régionales. Là encore, ma réponse est oui : nous allons chercher ensemble, durant le débat, un moyen de garantir que les lignes régionales continueront à être bien desservies par Aéroports de Paris.

Pour conclure, je considère que nous avons une occasion unique de développer Aéroports de Paris à l'international et d'en faire un leader de la desserte aéroportuaire internationale, tout en désendettant l'État et tout en finançant les innovations futures. Mesdames et Messieurs les députés, sachons saisir cette opportunité. Et à ceux qui m'ont reproché de vouloir vendre les bijoux de famille, je dis que telle n'est pas notre intention : ce que nous voulons faire, c'est financer les futurs joyaux de la couronne !

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