Intervention de François Ruffin

Réunion du mercredi 6 mars 2019 à 16h30
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaFrançois Ruffin :

Je vais reprendre là où je m'étais arrêté hier, tout en essayant de baisser d'un ton pour les oreilles de mon collègue Charles de Courson, pour dénoncer le caractère incompréhensible de privatisation, tout comme notre collègue socialiste, qui parle de gâchis, et mon collègue Les Républicains, qui parle de scandale d'État. M. Roger Karoutchi l'a rappelé au Sénat : Aéroports de Paris est une entreprise dynamique et qui investit, il faut la garder. Même le Conseil d'État s'est montré plus que réservé sur l'opération.

Et surtout, apprenons à tirer des leçons de l'histoire : les autoroutes, vendues environ 10 milliards d'euros en dessous de leur prix de marché, rapportent chaque année 4 à 5 milliards d'euros de dividendes aux actionnaires – assez pour rendre gratuits les transports publics de toutes les villes du pays ! Encore aujourd'hui, M. Dominique de Villepin paie cette décision et il est interpellé sur le sujet à chaque fois qu'il passe à la radio. N'oublions pas non plus que le mouvement des gilets jaunes est aussi une révolte des péages.

Le Président de la République aurait aussi pu apprendre de ses propres erreurs : c'est qui lui, en tant que ministre de l'économie, a autorisé en 2014 la vente de l'aéroport de Toulouse à un groupe chinois pourtant peu recommandable, en mentant aux Français puisqu'il a déclaré que les acteurs publics resteraient majoritaires alors qu'un pacte d'actionnaires secret donnait en réalité les pleins pouvoirs au groupe chinois en question. Résultat : l'investisseur a siphonné la trésorerie et s'est octroyé des dividendes colossaux au détriment de l'investissement, au point que l'État a refusé de le laisser devenir majoritaire. Comprenez la colère face à ces cas répétés ! Aujourd'hui, l'actionnaire chinois, qui a acheté ses parts pour un montant de 300 millions d'euros, se propose de les revendre à 500 millions alors qu'il a touché entre-temps 27 millions d'euros de dividendes ! Encore une fois, le Président de la République, ex-ministre de l'économie, aurait pu apprendre de ses propres erreurs.

J'en viens enfin au cas d'Aéroports de Paris. En 2013, 13 % des parts de l'entreprise ont été cédées à Vinci et au Crédit Agricole. Aujourd'hui, elles sont valorisées au double de leur prix de vente ! C'est bel et bien une perte pour l'État, qui aurait mieux fait de conserver ses parts et de percevoir des dividendes.

M. Le Maire soutient que cette privatisation est une nécessité absolue. Mais personne ne perçoit cette nécessité absolue ! Les arguments qui nous sont fournis sont pathétiques. On nous dit qu'Aéroports de Paris fonctionne mal : en termes de dividendes, pourtant, les résultats sont là ! On nous dit que l'aéroport Charles de Gaulle est descendu au 37e rang mondial sur le plan de la qualité. Et pour cause : depuis l'ouverture du capital en 2005, deux mille postes ont été supprimés alors que le trafic a doublé ! La seule ouverture du capital a contribué à la dégradation de la qualité du service et rien ne laisse penser qu'une privatisation complète de l'aéroport entraînerait une amélioration.

On nous dit enfin que cette privatisation servira à diminuer la dette française de 5 milliards d'euros – sur un montant total de 2 300 milliards. Quel argument laborieux ! Cette part est si infime ! Comment ne pas comprendre que l'on s'apprête à faire un cadeau, peut-être à des copains, peut-être en guise de compensation ? Si, à l'arrivée, c'est Vinci qui hérite d'Aéroports de Paris et qui bénéficie d'une indemnisation compte tenu de l'impossibilité de revendre les terres pendant soixante-dix ans, l'affaire paraîtra cousue de fil blanc et ce sera en effet un scandale d'État !

Enfin, s'il s'agit de trouver des milliards, la Cour des comptes nous propose des solutions dans le rapport qu'elle publie cette semaine. La délinquance financière, estime-t-elle, n'est pas poursuivie comme elle devrait l'être. Voilà des milliards, même des dizaines de milliards à récupérer ! Vous pourriez les utiliser pour nourrir l'investissement et réduire la dette de la France ! Hélas, vous mettez beaucoup plus de célérité à vendre les bijoux de famille.

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