Intervention de Didier Martin

Réunion du lundi 9 octobre 2017 à 16h00
Commission des affaires économiques

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaDidier Martin, rapporteur pour avis :

Monsieur le président, chers collègues, la commission des affaires économiques s'est en effet saisie pour avis de six articles de la première partie du projet de loi de finances, qui touchent, vous l'avez dit, à ses secteurs de compétences : l'énergie et les entreprises.

En un délai très bref, j'ai pu entendre plusieurs acteurs des deux secteurs concernés, et j'ai reçu des notes de position écrites par d'autres organismes.

Les articles relatifs à l'énergie visent à réduire nos émissions de gaz à effet de serre et à améliorer de la qualité de l'air ; ils entérinent notre respect des engagements pris dans le cadre de l'accord de Paris. Ces quatre articles tendent à accroître le signal-prix de la consommation des produits énergétiques carbonés, ainsi qu'à inciter et à accompagner la réduction de la consommation de ces produits.

De façon très significative, l'article 9 définit une nouvelle « trajectoire carbone », dont la progression est plus rapide que celle actuellement prévue. Les tarifs des taxes intérieures de consommation, qui n'étaient fixés que jusqu'en 2017, sont donc relevés. Cette augmentation du prix du carbone doit contribuer à contenir les émissions à un niveau compatible avec la mise en oeuvre de l'accord de Paris et nous ne pouvons que la saluer, d'autant plus que les entreprises intensives en énergie ou dont l'activité est exposée aux risques de « fuite de carbone » sont préservées des effets de cette hausse de tarifs. Enfin, le tarif de la contribution au service public de l'électricité (CSPE) est stabilisé à hauteur de 22,50 euros par mégawattheure (MWh), conformément aux engagements pris lors de la réforme de cette taxe dans la loi de finances rectificative pour l'année 2015. C'est un point de satisfaction. Les quelque 4 milliards d'euros ainsi dégagés en 2018 contribueront au financement des baisses de la fiscalité sur le travail et le capital, en vue de favoriser l'emploi et l'activité. Pour renforcer cette nouvelle trajectoire de la tonne de carbone, j'ai déposé un amendement visant à actualiser les montants et échéances prévus par la loi relative à la transition énergétique pour une croissance verte. Je vous proposerai également de fixer un objectif de coût de la tonne de carbone à 170 euros en 2030. Une telle augmentation résulte simplement de la poursuite de la trajectoire fixée pour les années 2018 à 2022, c'est-à-dire une augmentation du coût de la tonne de carbone d'environ 10 euros par an.

En parallèle, le soutien aux énergies renouvelables est accru et financé pour une part croissante par les taxes intérieures sur la consommation des énergies fossiles, comme le prévoit l'article 23, de manière à ne plus reposer en majorité sur les consommateurs d'électricité. Le nouveau mécanisme de financement du compte d'affectation spéciale « Transition énergétique » (CAS-TE) renforce et stabilise ce soutien : au lieu de pourcentages sur des produits variables, ce seront désormais des montants fixes de taxe intérieure de consommation sur les produits énergétiques (TICPE) et de taxe intérieure de consommation sur le gaz naturel (TICGN) qui seront alloués au CAS-TE, pour un montant total de plus de 7 milliards d'euros ; ces sommes serviront à financer les charges liées au service public de l'électricité, mais également, désormais, une partie des projets d'interconnexions avec les États européens. En outre, les recettes issues de la mise aux enchères des garanties d'origine de l'électricité renouvelable bénéficiant des dispositifs de soutien nationaux seront également affectées à ce compte, pour un montant estimé, en 2018, à 17 millions d'euros, mais appelé à augmenter. Je salue ces avancées.

L'article 8 proroge, pour l'essentiel, le crédit d'impôt pour la transition énergétique (CITE), dans l'attente d'une réforme en profondeur qui conduira à transformer le crédit d'impôt en prime perceptible immédiatement après achèvement des travaux. Cette réforme, attendue des entreprises comme des consommateurs, est annoncée pour 2019, et nous devrons être vigilants quant à sa réalisation effective. La prorogation du dispositif existant pour une année supplémentaire est toutefois une bonne nouvelle, saluée par les professionnels.

L'article aménage néanmoins les critères d'éligibilité au CITE de manière à rendre la mesure plus efficiente : ainsi, les dépenses d'acquisition de parois vitrées, volets isolants ou portes d'entrée isolantes ne seront plus remboursées qu'à hauteur de 15 %, au lieu de 30 % dans un premier temps, puis ne seront plus remboursées du tout pour les dépenses engagées à partir de mars 2018. Cette restriction est compréhensible. En effet, ces dépenses représentent 38 % des dépenses réalisées éligibles au CITE en 2015 – plus de 630 millions d'euros sur un montant total de 1,7 milliard – mais leur efficience est faible. Un rapport de l'Inspection générale des finances et du commissariat général à l'environnement et au développement durable relève, par exemple, que le coût du MWh évité par des travaux de fenêtres est de 1 350 euros, contre 100 euros par MWh évité par des travaux de toiture. Le gain de la suppression du CITE sur les portes, les fenêtres et les volets isolants est estimé à 900 millions d'euros en année pleine, et celui de la suppression du CITE sur les chaudières à fioul est estimé à 130 millions d'euros en année pleine. Au total, près d'un milliard d'euros pourra être réaffecté à des dépenses plus efficaces.

Toutefois, sans remettre en cause la mesure elle-même, il me semble que le calendrier prévu est mal choisi. En effet, comme nous l'ont signalé tous les organismes entendus, on ne peut s'empêcher de déplorer la rétroactivité partielle qu'entraîne cet article : alors que la loi ne sera promulguée que dans les derniers jours de décembre 2017, il prévoit une réduction, voire une suppression, du CITE pour des dépenses engagées à partir du 27 septembre 2017, soit trois mois avant la promulgation de la loi. Ces modifications n'ont été ni annoncées, ni anticipées. Les conséquences commerciales pour les artisans sont désastreuses, car ils devront, en accordant une remise à leurs clients, absorber seuls cette diminution du CITE. Cette application au 27 septembre 2017 de mesures aux effets significatifs paraît d'autant moins souhaitable que les dispositifs visés étaient supposés s'éteindre au 31 décembre 2017 : cette baisse pour les trois derniers mois de leur application paraît très complexe, pour un gain minime – environ 150 millions d'euros. C'est pourquoi j'ai déposé un amendement prévoyant de reporter l'application des restrictions d'éligibilité ou des réductions de taux au 1er janvier 2018, soit au lendemain de la publication de la loi de finances.

J'en viens aux articles relatifs aux entreprises. L'article 10 propose de relever les plafonds applicables aux régimes micro-fiscaux, en les faisant passer de 82 800 euros à 170 000 euros en année n-1 pour les activités de commerce et d'hébergement, et de 33 200 euros à 70 000 euros pour les autres activités de prestation de services. Il s'agit du doublement des seuils qui avait été annoncé pendant la campagne électorale. Le relèvement des plafonds pour le régime micro-fiscal étendrait automatiquement le bénéfice du régime micro-social aux micro-entrepreneurs concernés. Je souligne aussi que toute entreprise peut choisir ce régime. En revanche, le projet de loi ne modifie pas les plafonds applicables à la franchise en base de TVA. C'est un point qui donne satisfaction aux entreprises de l'artisanat.

Cette disposition vise à simplifier la vie des petites entreprises en ouvrant plus largement le bénéfice de ces régimes simplifiés ; ainsi, nous éviterons aussi de brider le développement de l'activité des exploitants qui se situent juste en dessous des plafonds actuels.

Selon le dossier de presse accompagnant le projet de loi de finances, le coût estimé du relèvement des plafonds applicables au régime micro-fiscal représente un coût de 3 millions d'euros pour l'État et de 18 millions d'euros pour la sécurité sociale. Il aurait pu concerner environ 100 000 exploitants individuels. Toutefois, l'immense majorité d'entre eux ne souhaiterait pas adopter le régime micro-fiscal mais conserver le régime réel : selon l'évaluation transmise par le ministère du budget, environ 6 000 exploitants supplémentaires seulement seraient en réalité susceptibles d'opter pour le régime micro-fiscal. De fait, au-delà d'un seuil de chiffre d'affaires ou de revenu au demeurant assez proche des plafonds actuels de ce régime, il devient plus intéressant pour les entrepreneurs de choisir le régime réel, en raison de moindres cotisations sociales en particulier.

L'article 19 vise à ajuster certaines ressources affectées à vingt-trois organismes chargés de missions de service public.

Dans le champ de compétence de notre commission, l'article 19 propose, à l'alinéa 16, d'abaisser de 150 millions d'euros le plafond de la part de la taxe additionnelle à la cotisation sur la valeur ajoutée des entreprises (TA-VAE) revenant aux chambres de commerce et d'industrie (CCI). Je rappellerai que le réseau des CCI perçoit le produit d'une taxe additionnelle à la CVAE et celui d'une taxe additionnelle à la cotisation foncière des entreprises (TA-CFE), appelées conjointement « taxe pour frais de chambre ». En raison du dynamisme de ces contributions et des importants fonds de roulement accumulés par les CCI au début des années 2010, le législateur a choisi d'instaurer un plafonnement de la part de ces taxes revenant au réseau des CCI.

S'agissant de la TA-CVAE, le plafond instauré a ensuite été régulièrement abaissé, diminuant d'autant les ressources des CCI. Introduit en loi de finances pour 2013 et fixé alors à 819 millions d'euros, il a ensuite été abaissé de 100 millions d'euros en loi de finances pour 2014, de 213 millions d'euros en loi de finances pour 2015 et de 130 millions d'euros en loi de finances pour 2016. Une nouvelle diminution de 60 millions d'euros, prévue dans le projet de loi de finances pour 2017, a été supprimée par le Parlement. Au total, le produit de la TA-CVAE pour les CCI a été réduit de 35 % sous la précédente législature.

Les CCI ont également subi des prélèvements sur leurs fonds de roulement prévus par les lois de finances pour 2014 et 2015, de 170 et 500 millions d'euros, respectivement. Je rappellerai également que le produit de la TA-CVAE excédant ce plafond n'est plus reversé au budget général de l'État après un délai d'un an. La loi de finances pour 2014 a en effet prévu que l'abaissement de ce plafond se répercute automatiquement en une baisse proportionnelle du taux de la CVAE, et qu'il bénéficie donc directement aux entreprises contributrices. Toutefois, cette baisse de la CVAE intervient à chaque fois avec une année de décalage, le temps de calculer le nouveau taux de CVAE.

L'article 19 prévoit également, à l'alinéa 17, d'abaisser de 40 millions d'euros le plafond de la TA-CFE revenant aux chambres de métiers et de l'artisanat (CMA). Contrairement au cas précédent, un abaissement de ce plafond n'entraîne pas de réduction de l'imposition des entreprises ; la part du produit de la taxe excédant le plafond est reversée au budget général de l'État. Or le réseau des CMA fait face à d'importantes difficultés financières qui l'empêcheront de remplir pleinement ses missions, en particulier en matière de formation, si ses ressources ne sont pas accrues. Son rôle étant essentiel, en particulier pour les moins qualifiés et les jeunes – je pense notamment aux centres de formation des apprentis – je vous proposerai de relever légèrement ce plafond afin que les CMA puissent continuer à assurer cette mission.

En outre l'alinéa 39 de ce même article 19 supprime la part de la TA-CFE revenant aux CMA affectées au Fonds national de promotion et de communication de l'artisanat. De manière cohérente, l'alinéa 29 supprime le plafonnement de ladite part. Établissement public administratif créé en 1997, ce fonds a pour mission de contribuer au développement du secteur économique de l'artisanat en valorisant son image et celle de ses professionnels au niveau national. La part de la TA-CFE qui lui est affectée étant son unique ressource, la suppression de celle-ci entraînerait celle du fonds lui-même. Je ne vous proposerai pas de revenir sur cette mesure, qui me paraît relever d'une exigence de bonne gestion.

Enfin, l'article 19 introduit, aux alinéas 18, 19, 48 et 49, un plafonnement de la part de la contribution due par les personnes immatriculées au répertoire des métiers et affiliées au régime général de la sécurité sociale au titre de l'effort de formation revenant aux CMA, à hauteur de près de 40 millions d'euros mais aussi, aux alinéas 27, 28 et 50, un plafonnement de la contribution à la formation professionnelle des chefs d'entreprise artisanale et des travailleurs indépendants bénéficiant du régime micro-social, qui est affectée au fonds d'assurance formation des chefs d'entreprise exerçant une activité artisanale (FAFCEA), à hauteur de 54 millions d'euros. Ici encore, le surplus de recettes engendré par ces contributions irait abonder le budget général de l'État. Si le projet du Gouvernement de plafonner l'ensemble des taxes affectées afin de mieux piloter les dépenses des organismes qui en sont bénéficiaires me paraît très utile du point de vue de la technique budgétaire, je pense toutefois qu'il ne faut pas en avoir une conception rigide. Dans certains domaines, pour certains types de dépenses, la logique du plafonnement devient peu compréhensible, voire entre en contradiction avec des objectifs politiques que nous partageons tous. La formation fait partie de ceux-là. C'est pourquoi je vous proposerai de supprimer ces deux plafonnements destinés à financer la formation des artisans.

Telles sont, en substance, les dispositions qui concernent notre commission dans la première partie de ce projet de loi de finances et les modifications que je vous proposerai d'y apporter. Je souhaite que nos débats sur cette première partie, qui constitue une belle introduction à la matière fiscale pour la plupart d'entre nous, nous permettent de faire entendre le point de vue des acteurs relevant de notre compétence en commission des finances et dans l'hémicycle, au-delà de l'évidente nécessité de redresser nos finances publiques, dont nous sommes tous convaincus.

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