Intervention de Sereine Mauborgne

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 15h00
Mesures d'urgence contre la désertification médicale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaSereine Mauborgne :

Les enjeux et les conséquences de la désertification médicale ont été posés et abondamment développés par l'ensemble de mes collègues.

Les chiffres dont nous disposons sont évidemment inquiétants : d'un côté, un médecin généraliste sur deux aura bientôt plus de soixante ans ; de l'autre, seuls 8 % des jeunes médecins choisissent la médecine générale, alors même qu'aujourd'hui 25 % d'entre eux n'exercent pas à temps plein.

Ce phénomène est visible un peu partout, même dans un département comme le Var, qui présente une augmentation de 4 % du nombre d'installations, mais connaît d'importantes disparités.

Par exemple, lorsque je me suis installée à Cogolin, en 2009, treize médecins exerçaient. Ils sont désormais neuf, regroupés, pour un bassin de population de 20 000 habitants l'hiver.

Nous convenons tous du fait qu'il y a urgence à agir. Mais est-il pertinent d'agir dans l'urgence ? J'en doute.

La présence d'un médecin, ou son absence, est en quelque sorte le thermomètre de l'attractivité d'un territoire ; personne ne pourrait le nier. Bien souvent, un territoire sans médecin est un territoire où l'économie, les transports et les services publics sont faibles, voire absents.

Sur le fond, ce n'est pas parce que notre majorité ne soutient pas, à ce moment précis, certaines des solutions que vous proposez, que nous sommes moins sensibles que vous au désarroi, voire parfois à la détresse qui nous sont exprimés, chaque jour, dans nos circonscriptions, et que vous invoquez pour justifier l'adoption urgente des mesures que vous proposez. Quand, dans nos territoires, des familles nous alertent car elles ne parviennent pas à se faire admettre comme nouveaux patients du seul médecin restant, croyez-moi, nous ne nous sentons pas moins concernés que vous.

Si l'on adopte aujourd'hui les solutions que vous proposez, le problème de la désertification médicale, dans sa globalité, sera-t-il définitivement et suffisamment réglé ? Nous ne le pensons pas.

Vous disiez vous-même en commission, la semaine dernière, que ce texte « ne prétend évidemment pas être l'unique solution à tous les problèmes de la désertification ». À quoi bon, alors, voter dans l'urgence des mesures dont nous savons par avance qu'elles n'apporteront ni réponse structurelle, ni solutions adaptées, ce alors même qu'un projet de loi ambitieux sur ce même sujet sera très prochainement soumis à notre Assemblée ? Pourquoi ne pas plutôt mettre à profit les semaines restantes pour prendre les décisions les plus équilibrées, selon une approche globale et pleinement concertée ?

Redonner du temps médical aux médecins est un enjeu central. Cela nécessitera des mesures structurelles, telles que la création des postes d'assistants médicaux, ou le développement de la liste des actes qui peuvent être effectués par les professions paramédicales. Les infirmières ont à cet égard un rôle important à jouer, et y sont prêtes.

Comme mes collègues, je suis persuadée que les mesures qui comportent, sans l'avouer, une forme de contrainte, ou traduisent une velléité de dirigisme par le haut, ne sont ni adaptées, ni pérennes.

L'image d'Épinal, décrite tout à l'heure par M. Grelier, du médecin de famille qui travaille quatre-vingt heures par semaine, en solitaire, n'est pas ce à quoi aspire la nouvelle génération. Bâtir une maison médicale n'a de sens que si les médecins et les professionnels de santé choisissent de travailler ensemble, sans quoi ce ne pourra être qu'une coquille vide. Au niveau local, bâtir une maison de santé sans concertation préalable, c'est un échec assuré.

Recréer de l'attractivité médicale ne sera possible ni contre l'interprofessionalité, ni sans elle. Contraindre un professionnel libéral à ancrer son quotidien en un lieu où il ne désire pas vivre est tout de même une chose assez curieuse. Qui, ici, serait prêt à le faire sans sourciller ?

D'autant que, contrairement à ce que l'on entend bien souvent, les médecins libéraux sont loin de se désintéresser du service qu'ils rendent à la population. J'en veux pour preuve les missions de permanence des soins.

Nous avons foi dans les solutions qui émergent du terrain, négociées et construites par les professionnels de santé et les élus, qui connaissent mieux que quiconque les réalités et les besoins précis propres à chaque territoire. C'est ce que l'on applique actuellement dans le golfe de Saint-Tropez pour le maintien de la maternité.

Cette philosophie a guidé l'essentiel des mesures adoptées ces dernières années, et guidera celles du nouveau projet de loi sur la santé. Nous croyons aux vertus des incitations, à condition, bien entendu, qu'elles accompagnent des mesures structurelles.

Suivant cette philosophie, je proposerai tout à l'heure un amendement tendant à encourager davantage l'exercice de la permanence des soins par les médecins libéraux dans les zones carencées.

Des pistes sont à promouvoir, comme l'établissement de liens entre les universités et les territoires, afin de multiplier les échanges entre les stagiaires, futurs professionnels de santé, et les praticiens chevronnés ; ou encore le renforcement les liens entre l'hôpital et la médecine de ville.

Mais s'acharner à contraindre des professionnels à s'installer là où ils ne le souhaitent pas, ou prendre le risque d'un abaissement de la qualité des soins dans les zones les moins dotées, revient à mettre des pansements sur une hémorragie – je sais de quoi je parle – et à s'en satisfaire, en se disant que nous avons agi, tout en sachant pertinemment que le débat sera de nouveau sur la table dans quelque temps.

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