Intervention de Emmanuelle Ménard

Séance en hémicycle du jeudi 31 janvier 2019 à 15h00
Mesures d'urgence contre la désertification médicale — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaEmmanuelle Ménard :

Il y a quelques jours, je lisais dans la presse – l'Express pour ne pas le nommer – , un article intitulé « Les déserts médicaux, un "marronnier" de l'Assemblée ». Au Parlement, en effet, la lutte contre les déserts médicaux est l'équivalent du prix de l'immobilier ou des francs-maçons pour les journaux, à savoir un sujet qui fait toujours recette.

Les propositions de loi concernant les déserts médicaux sont, quant à elles, déposées, par des collègues siégeant sur tous les bancs, avec une régularité de métronome, et presque toujours rejetées. Je ne sais pas si cela se produira à nouveau aujourd'hui, mais, si la proposition de loi est adoptée, elle ne le sera, une nouvelle fois, que dépossédée de tous ses attributs. En effet, tout ce qui n'est pas issu de la majorité est rejeté ou, pour faire illusion, adopté après avoir été complètement vidé de sa substance.

Ce mode opératoire est même devenu la véritable marque de fabrique de votre majorité, le sceau de La République en marche ! Or, il faut prendre le problème à bras le corps.

En effet, la France vit un étrange paradoxe : elle n'a jamais compté autant de médecins – près de 216 000 praticiens en activité ont été recensés au 1er janvier 2017 – et, pourtant, les déserts médicaux ne cessent de s'étendre.

Près d'un Français sur dix vit dans un désert médical. 9 000 communes – ce qui représente tout de même quelque 5,3 millions d'habitants – sont en manque de médecins généralistes.

Les populations résidant en zone rurale isolée souffrent tout particulièrement de cette pénurie. Il en est de même s'agissant des couronnes périphériques des principaux centres urbains. Toutefois, on trouve aussi des déserts médicaux dans les centres des villes moyennes – j'en sais quelque chose à Béziers !

Afin de lutter contre cette désertification, vous proposez, chers collègues du groupe socialiste, de priver de conventionnement les médecins désireux de s'installer dans une zone bien dotée en matière d'offre de soins. Ainsi, un médecin pourrait s'établir en secteur 2 – avec dépassements d'honoraires, donc – uniquement si l'un de ses confrères cesse simultanément son activité.

En cas d'installation sans cessation d'activité simultanée, la sécurité sociale ne rembourserait pas ses patients. Cette mesure vise à inciter les jeunes médecins à s'orienter vers des zones connaissant un déficit d'offre médicale.

Cette idée n'est pas nouvelle. En 2011, déjà, un texte cosigné par deux députés socialistes visait à plafonner les installations de jeunes praticiens dans les zones dites « surdenses ». Il n'a pas été adopté.

À la fin de l'année 2017, la Cour des comptes a relevé qu'il est difficile de venir à bout des déserts médicaux, et recommandé des mesures contraignantes « pour obtenir un rééquilibrage » de la répartition géographique des médecins, quitte à mettre un terme à leur liberté d'installation. Pour ce faire, la Cour proposait de remplacer celle-ci par le « conventionnement sélectif », déjà appliqué aux infirmiers et aux sages-femmes. Sans succès.

On connaît la réaction des médecins. Comme dit le dicton, on n'attrape pas les mouches avec du vinaigre ! En instaurant uniquement des mesures coercitives, vous n'attirerez pas les médecins, au contraire : ceux-ci s'orienteront massivement vers des professions sans rapport – ou presque – avec le soin. En somme, vous les inciterez à sortir du système de santé. Ce dispositif est à mes yeux inefficace, et même contre-productif.

Afin de résorber les déserts médicaux et de répondre aux hôpitaux publics en sous-effectifs ainsi qu'aux médecins à la retraite à qui l'on demande de continuer à travailler, on nous vante tantôt le prétendu progrès d'une santé dématérialisée, distante et déshumanisée, tantôt la possibilité, pour les pharmaciens, de délivrer des médicaments – mais la prescription médicale ne fait pas partie de leurs compétences, me semble-t-il – , tantôt, en attendant les effets de la suppression du numerus clausus – que ne l'a-t-on fait plus tôt ! – , le recours aux médecins étrangers, dont chacun sait qu'ils sont souvent dans une situation très précaire. Ce bricolage ne me semble pas satisfaisant.

Je propose donc – comme j'ai déjà eu l'occasion de le faire dans cet hémicycle – d'explorer une autre piste, celle de l'incitation à l'installation dans ces zones, par le biais de réductions d'impôt par exemple, ou de l'instauration d'un acte facturé plus cher aux patients, mais mieux remboursé. Les solutions ne manquent pas. Nous aurons le temps de les développer.

Il faudrait tout repenser, être à l'écoute des praticiens et avoir le courage de mener une profonde réforme au service des médecins, afin qu'ils puissent être à 100 % à l'écoute et au service d'eux-mêmes et de leurs patients.

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