Intervention de François Piccione

Réunion du jeudi 17 janvier 2019 à 11h30
Mission d'information relative aux freins à la transition énergétique

François Piccione, coordinateur du réseau Océans, mers et littoraux de France nature environnement :

France nature environnement est une fédération qui réunit 3 500 associations sur l'ensemble du territoire français, y compris ultramarin. Grâce à ce maillage territorial, les associations membres de France nature environnement participent à l'ensemble du processus de concertation inhérent aux projets éoliens en mer : débats publics, enquêtes publiques, réunions préfectorales… France nature environnement est favorable à l'éolien en mer, à condition évidemment que les projets ne soient pas réalisés n'importe où et n'importe comment – nous aurons l'occasion d'y revenir.

S'agissant des freins au développement de l'éolien en mer, nous partageons un certain nombre des propos entendus ce matin. Je retiendrai, pour ma part, quatre points.

Premièrement, il faut impérativement planifier notre espace maritime de manière claire et cohérente pour assurer visibilité et sérénité à la filière éolienne en mer. Or, dans ce domaine, l'État français a fait un peu les choses à l'envers, nous semble-t-il, en lançant deux appels d'offres, en 2011 et en 2013, qui ont abouti à six projets, alors qu'on ne disposera pas avant 2019 des documents stratégiques de façade, qui transposent la directive-cadre relative à la planification des espaces maritimes. Ces documents comporteront des cartes de vocation qui devraient, je l'espère en tout cas, établir des zones propices au développement de projets éoliens en mer. L'absence de planification aura été, en définitive, une faiblesse. En effet, jusqu'à maintenant, les premiers critères retenus pour choisir les zones propices étaient davantage fondés sur la météorologie ou la géologie que sur des considérations liées aux autres activités maritimes ou à la protection de l'environnement marin, qu'il s'agisse de l'impact des installations sur l'avifaune ou sur les habitats marins vulnérables, par exemple. De ce fait, le choix des zones a suscité de vives contestations sur le terrain, notamment à propos du projet Dieppe-Le Tréport. Nous attendons donc beaucoup des documents stratégiques de façade.

Je voudrais m'arrêter en second lieu sur le processus de concertation, qui doit, à notre sens, être amélioré pour associer davantage les territoires et les populations locales aux projets. Sur le terrain en effet, les associations et la population ont le plus souvent le sentiment que les projets éoliens en mer sont le résultat d'un processus très centralisé, voire sont parachutés dans les territoires, alors que, pour France Nature Environnement, les énergies renouvelables sont plutôt des énergies décentralisées, qui devraient être le fruit d'une ambition ou d'une dynamique territoriales et bénéficier d'un fort soutien de la population.

Comme pour l'éolien terrestre, on pourrait tout à fait imaginer de mettre en place, par exemple, un financement participatif qui permettrait aux citoyens de s'impliquer dans les projets éoliens en mer – j'en profite d'ailleurs pour indiquer que nous bannissons le terme d'acceptabilité, qui renvoie à une notion de contrainte, pour lui préférer ceux de concertation ou d'appropriation du projet.

Jusqu'à l'adoption de la loi pour un État au service d'une société de confiance (ESSOC) le 10 août 2018, les débats publics concernant les projets éoliens en mer se déroulaient souvent à un stade de la concertation où un certain nombre de paramètres étaient déjà figés, ce qui créait beaucoup de frustration, non seulement chez les participants au débat public, – associations environnementales, pêcheurs ou populations concernées – qui n'avaient finalement plus leur mot à dire ni la possibilité de suggérer des évolutions significatives, mais aussi chez les porteurs de projet fragilisés par le fait qu'on leur imputait le choix des zones retenues, alors que celui-ci était déjà cadré par le cahier des charges rédigé par l'État.

La loi ESSOC permet désormais d'associer le public beaucoup plus en amont et de le consulter sur le choix des zones de développement de l'éolien en mer. Reste à éprouver sur le terrain la portée de cette avancée et à observer selon quelles modalités se déroulera concrètement le débat public : à l'échelle régionale où à l'échelle d'une façade maritime ? C'est un point qu'il faudra trancher rapidement.

J'ajoute qu'il est regrettable qu'il n'existe aucune structure nationale de concertation sur l'éolien en mer. Une telle structure pourrait tout à fait être rattachée au Conseil national de la mer et des littoraux, ce qui permettrait un échange entre l'ensemble des acteurs concernés, depuis les porteurs de projets jusqu'aux riverains. Des expérimentations ont déjà eu lieu au niveau local, en Bretagne et en Occitanie, où existent de telles instances de discussion, qu'il conviendrait de développer à l'échelle nationale.

Mon troisième point concerne les études d'impact, souvent lacunaires. Il faut mieux prendre en compte l'environnement marin pour avoir des projets exemplaires à la fois sur le plan de la transition énergétique mais aussi sur le plan de la protection de la biodiversité marine. Aujourd'hui, la séquence « Éviter, réduire, compenser » (ERC) n'est pas forcément bien appliquée, et on est en droit de reprocher aux porteurs de projet de privilégier les analyses faites par les bureaux d'études au détriment de celles des universités situées sur les territoires concernés, des associations environnementales locales, qui connaissent parfaitement la biodiversité locale, ou des grands ports maritimes, qui ont su mettre en oeuvre des politiques de développement durable parfois très intéressantes. Il faut donc que les porteurs de projet soient beaucoup plus innovants dans leurs études d'impact.

J'en terminerai enfin par un mot sur la fiscalité. France Nature Environnement s'interroge avec inquiétude sur la répartition de la taxe sur l'éolien en mer, et nous comptons sur les parlementaires pour la faire évoluer. Il est prévu que la taxe soit reversée pour 50 % aux communes, pour 35 % au Comité national des pêches, pour 5 % à l'Agence française pour la biodiversité, pour 5 % aux services de secours en mer, les 5 % restants étant alloués au financement de projets de développement durable. Cela signifie concrètement que, lorsque les six projets qui ont été actés seront en service, le Comité national des pêches touchera 9 millions d'euros par an, ce qui représente deux fois et demie son budget annuel, tandis que l'Agence française pour la biodiversité devra se contenter de 3 millions d'euros par an, alors que les surfaces à protéger augmentent et que les problématiques que l'Agence doit prendre en charge, à budget constant, se multiplient elles aussi.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.