Intervention de Jean-Philippe Nilor

Séance en hémicycle du mercredi 12 décembre 2018 à 15h00
Indivision successorale et politique du logement outre-mer — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Philippe Nilor :

Dans nos territoires dits d'outre-mer – car on est toujours l'outre-mer de quelqu'un d'autre, et il y a toujours, quelque part dans le monde, quelqu'un qui est votre outre-mer – et singulièrement en Martinique, nombreuses sont les familles pour qui la sortie de l'indivision constitue un enjeu vital, à plus d'un titre. Ces familles nous attendent, nous entendent et nous observent.

Je souhaite vraiment que ce texte, une fois voté, même s'il n'a pas la prétention de tout régler, permette, durant les dix années d'expérimentation prévues, de remédier à un maximum de cas d'indivision. Néanmoins, jusqu'à son adoption, nous ne pouvons pas faire l'économie de continuer à l'enrichir et à le muscler.

L'impact économique et social des situations de blocage dues à l'indivision est certainement sous-évalué. Des mesures spécifiques sont donc nécessaires pour nos territoires micro-insulaires, par définition non extensibles, où, plus qu'ailleurs, le foncier doit être optimisé et protégé. D'où l'importance, si une loi dérogatoire spécifique est adoptée, de l'adapter afin qu'elle colle au mieux à nos réalités, les dispositions actuelles du droit positif ayant largement montré leurs limites.

C'est pourquoi j'ai d'emblée, dans un état d'esprit constructif, soutenu cette proposition de loi défendue par Serge Letchimy, dont je salue l'initiative et l'engagement, tout en proposant, en première lecture, un nombre certain d'amendements visant à pallier les limites du texte initial, à le sécuriser et à le rendre plus efficace. Ces amendements de bons sens, élaborés avec les professionnels concernés, ont été pour beaucoup rejetés en première lecture. Toutefois, onze mois plus tard, j'observe avec satisfaction qu'ils ont été intégrés dans la version proposée en deuxième lecture.

Je veux parler notamment de trois modifications cruciales, dont le texte a finalement été enrichi – et heureusement ! La première est l'application du dispositif aux successions ouvertes depuis plus de dix ans. Le délai de cinq ans nous paraissait inapproprié, car l'article 330 du code civil accorde à un enfant non reconnu la possibilité de faire établir sa filiation par possession d'état pendant dix ans. L'application du texte aux successions ouvertes depuis seulement cinq ans aurait donc emporté une part de risque que les notaires eux-mêmes n'auraient pas été prêts à prendre, les situations d'enfants non reconnus demeurant encore assez fréquentes chez nous.

Deuxièmement, il fallait mettre en cohérence la présente proposition de loi avec d'autres dispositions du code civil qui lui étaient liées de manière incidente, afin de ne pas créer de nouvelles incohérences au sein d'un même article dudit code. Un nouveau paragraphe, II bis, a même été intégré au sein de l'article 1er, et je m'en réjouis ; c'était le sens de l'amendement no 28 que j'avais défendu en première lecture. Dans sa version initiale, le texte rendait plus aisée la vente d'un logement en indivision, puisqu'il suffisait désormais de l'accord de la moitié des indivisaires, que la vente des meubles indivis pour payer les dettes de l'indivision, opération qui nécessitait l'accord d'au moins les deux tiers des coïndivisaires.

Troisièmement, la loi ne prévoyait – comble de l'aberration ! – aucune disposition financière. Or il importait d'étendre à nos collectivités l'exonération du droit de 2,5 % dont bénéficiaient déjà la Corse et Mayotte. En effet, pour faciliter concrètement la sortie de l'indivision, il faut s'attaquer à l'un des problèmes majeurs : la nécessité d'acquitter des frais et droits de succession et de partage, véritable noeud de l'indivision. Cette disposition, désormais retenue dans la proposition de loi, la rendra plus efficace.

Aujourd'hui plus que jamais, je salue le fait que l'on ait finalement entendu raison et que ce texte ait pris de la consistance au fil de son parcours. J'en profite pour saluer le travail remarquable réalisé par le Sénat. J'exprime en particulier mon profond respect au sénateur Thani Mohamed Soilihi pour son apport décisif. En tout état de cause, j'espère que ce texte sera voté et permettra de faciliter la résolution des trop nombreux cas en suspens dans les cabinets des notaires.

Puisqu'il s'agit d'une loi expérimentale, elle ne saurait être dépourvue d'un outil d'évaluation, par exemple un observatoire, qui permettrait d'en dresser un bilan positif. Telle est la proposition que je comptais défendre lors de nos discussions ; je suis arrivé ce matin de Martinique à cette fin. Or coup de théâtre : à midi trente, l'amendement a été déclaré irrecevable au nom d'un improbable article 108 du règlement.

Pourtant, nous gagnerions à disposer de chiffres précis sur les successions ouvertes, sur les dossiers en cours de traitement et ceux qui seront traités pendant la période expérimentale, sur les causes de blocage à l'origine du maintien de l'indivision, sur les cas de litige ayant entraîné la saisine du tribunal, sur la réalité de l'abandon manifeste, sur le foncier disponible pour le logement et les activités économiques, etc. Ces données objectives nous auraient permis de mieux apprécier l'opportunité de proroger éventuellement le dispositif ou de l'améliorer, conformément au souhait exprimé dans le préambule du texte initial.

Je regrette ce qui s'est passé et je considère que cette pratique ne fait honneur ni à l'Assemblée nationale ni au travail parlementaire. Malgré tout, dans l'intérêt supérieur de nos compatriotes, et compte tenu de la qualité du texte finalement proposé, je voterai celui-ci avec force, conviction et détermination.

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