Intervention de Christophe Naegelen

Séance en hémicycle du jeudi 6 décembre 2018 à 9h30
Encadrement du démarchage téléphonique et lutte contre les appels frauduleux — Présentation

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaChristophe Naegelen, rapporteur de la commission des affaires économiques :

Nos concitoyens sont unanimes pour dire que les appels intempestifs reçus à leur domicile représentent une véritable plaie. C'est pourquoi, depuis le début du mandat, je travaille sur ce sujet. J'ai tout d'abord déposé en mai 2018 une proposition de loi prônant l'opt-in, similaire dans l'esprit à celle proposée par notre collègue Pierre Cordier et débattue en séance publique en juin 2018. Pour être tout à fait honnête, ces deux textes reprenaient eux-mêmes une précédente proposition visant à renforcer les droits des consommateurs en matière de démarchage téléphonique, déposée en 2011 au Sénat par M. Jacques Mézard.

Au vu de la complexité du sujet, j'ai poursuivi les auditions et les recherches, et il faut avouer que ma vision a évolué : d'une part sur l'arbitrage entre l'opt-in, où tout démarchage est interdit sauf consentement exprès, et l'opt-out, où le démarchage est autorisé sauf si une opposition est exprimée par une inscription au dispositif Bloctel ; d'autre part sur l'idée que, le terme de démarchage téléphonique étant galvaudé, il fallait aussi agir sur les autres formes de désagrément.

En effet, le seul fait que le téléphone sonne est assimilé par nos concitoyens à du démarchage, mais cet appel peut avoir quatre origines : des entreprises vertueuses inscrites au dispositif Bloctel, dont les fichiers ont été nettoyés et qui n'appellent que des personnes qui n'ont pas adhéré au service ; des entreprises qui, de manière plus ou moins intentionnelle, sont dans l'illégalité en appelant les citoyens chez eux sans avoir « bloctelisé » leurs fichiers ; des automates, que l'on peut classer en quatre catégorie ; et des acteurs intentionnellement frauduleux, qui, suivant les années, représentent entre 20 et 40 % des appel.

L'opt-in, proposé par certains, n'aurait pour effet que de sanctionner les entreprises vertueuses, avec de graves conséquences sur l'emploi, tout en oubliant les trois autres cas précédemment cités. A contrario, le système actuel, qui repose sur la liste d'opposition Bloctel, est actuellement non exhaustif et ne rend donc pas le service demandé. C'est pourquoi j'ai voulu renforcer l'efficacité de ce dispositif, mais aussi prendre en considération l'importance du démarchage téléphonique pour l'activité économique de notre pays.

Les appels sortants de démarchage assurent aujourd'hui 56 000 équivalents temps plein – ETP – , en France, soit, en réalité, bien plus d'emplois encore, car nombre de postes sont à temps partiel. De plus, si l'on prend en compte les emplois indirects – notamment dans les fonctions dites « support » des centres d'appel – et les emplois induits, le total est bien plus élevé. Pour l'ensemble de la relation client, le nombre des seuls emplois directs est de 275 000. Ces emplois sont majoritairement situés dans nos territoires et constituent une première entrée dans le monde du travail pour de nombreux jeunes. Certes, les conditions de travail ne sont pas toujours évidentes, mais elles s'améliorent et, en tout état de cause, sont bien sûr en conformité avec toutes les exigences de notre droit du travail.

Par ailleurs, le démarchage est aussi nécessaire à la survie de nos entreprises, notamment de nos TPE et de nos PME, pour qui la publicité dans la presse écrite, par affichage ou par radio, est, au point de vue financier, d'un accès plus difficile.

C'est pourquoi il ne m'est pas apparu souhaitable d'interdire le démarchage téléphonique ou de le remplacer par un système de consentement préalable. Quatre raisons expliquent ma position : un tel système serait très difficile à mettre en oeuvre ; il nuirait considérablement à l'activité de nos entreprises ; il entraînerait une fuite des centres d'appel à l'étranger ; et surtout il ne résoudrait rien, car les entreprises faisant du démarchage de manière illégale continueraient à le faire.

Je vous proposais initialement cinq articles, qui ont été enrichis et affermis en commission grâce aux vingt et un amendements adoptés, dont quinze sur ma proposition.

Nous avons renforcé et simplifié l'obligation de présentation du démarcheur en début d'appel, afin que le consommateur soit assuré d'avoir toute l'information pertinente et perçoive bien la nature commerciale de l'appel.

Nous avons instauré l'obligation, pour les entreprises, de se soumettre à Bloctel avant tout démarchage, et renforcé les sanctions visant les contrevenants à ce dispositif.

Grâce à des amendements du groupe MODEM, nous avons alourdi les sanctions contre les personnes ne respectant pas l'obligation de présentation en début d'appel ou utilisant des numéros masqués.

Nous avons demandé au Gouvernement un rapport sur l'amélioration du droit d'opposition au démarchage, pour avoir des éléments d'évolution concrets, et instauré une procédure d'audit régulier de l'efficacité du délégataire, une fois par période de délégation de service public.

Nous avons clarifié le droit des professionnels à démarcher leurs clients, pour le limiter aux six mois suivant l'exécution du dernier contrat afin d'encadrer des pratiques qui vont aujourd'hui trop loin.

Nous avons introduit une mesure visant à rendre obligatoire la publication des sanctions de la direction générale de la concurrence, de la consommation et de la répression des fraudes – DGCCRF.

Enfin, nous avons instauré l'obligation pour les entreprises qui démarchent de respecter une charte des bonnes pratiques qu'appliquera Bloctel ou son successeur, sous peine de sanctions. Il s'agit d'encadrer les pratiques de démarchage, car ce n'est pas parce qu'un consommateur ne s'est pas formellement opposé à être démarché qu'il accepte de l'être à toute heure ou plusieurs fois par jour par la même personne !

Cette proposition de loi ajoute également une dimension supplémentaire : celle de la lutte contre la fraude aux numéros surtaxés. Il s'agit en effet d'un phénomène en plein essor, qui constitue un préjudice très important pour un grand nombre de Français, en particulier parmi les populations les plus vulnérables : je pense aux personnes âgées, mais également aux jeunes, facilement bernés par la promesse de gains rapides, de concours ou de produits de marque. Cette fraude revêt de nombreuses formes, mais notamment celle de messages sur votre répondeur, vous incitant à rappeler un numéro surtaxé pour déplacer un rendez-vous médical ou récupérer un colis qui vous attend. Au bout du fil, un téléconseiller tentera de vous garder le plus longtemps possible, voire de vous faire rappeler successivement plusieurs numéros. Pendant ce temps, votre compte sera débité sans que vous en ayez conscience. Il vous sera ensuite extrêmement difficile de faire reconnaître votre préjudice et de vous faire rembourser.

C'est pourquoi l'article 6 propose de confier une véritable responsabilité aux opérateurs téléphoniques en leur permettant, dès qu'ils ont connaissance d'une fraude par tout moyen, de suspendre l'accès au numéro de téléphone jugé frauduleux, ainsi qu'aux autres numéros attribués à cet éditeur.

Ils peuvent déjà essayer de le faire aujourd'hui, mais ils courent un grand risque, car il leur manque cette assise juridique que je veux leur apporter. Par exemple, la société Viva Multimedia, servant d'intermédiaire pour des fournisseurs de service à valeur ajoutée frauduleux, a récemment été condamnée pour une escroquerie en bande organisée qui lui a rapporté 38 millions d'euros sur trois ans. Quelques mois plus tôt, son opérateur – Colt – avait tenté de suspendre sa ligne afin de mettre fin à ses agissements, qui étaient manifestes. Viva Multimedia avait porté plainte auprès du tribunal de commerce qui lui avait donné raison et imposé à Colt de rétablir la ligne, estimant que la suspension pouvait avoir un caractère discriminatoire et non fondé. Viva Multimedia a ainsi pu poursuivre sa fraude pendant plusieurs mois, avant que la justice ne s'y intéresse, n'ouvre une enquête et ne mette les suspects en examen.

Il est aujourd'hui de notre responsabilité de ne plus laisser une telle action se reproduire et de permettre aux opérateurs d'agir avec éthique, comme ils le souhaitent eux-mêmes, sans craindre d'être désavoués par la justice. La proposition de loi leur ouvrait déjà la possibilité de le faire, mais nous avons introduit en commission un article additionnel extrêmement important, qui fait de la suspension des numéros frauduleux par les opérateurs une obligation dès lors que la DGCCRF leur adresse une injonction en ce sens. Cela permettra de mettre tous les opérateurs sur un pied d'égalité et de ne pas laisser certains être plus laxistes que d'autres vis-à-vis de comportements douteux, sous peine de sanctions.

Cette proposition de loi a pour ambition d'être à la fois équilibrée et protectrice.

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