Intervention de Nathalie Loiseau

Réunion du mercredi 28 novembre 2018 à 10h00
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi habilitant le gouvernement à prendre par ordonnance les mesures de préparation au retrait du royaume-uni de l'union européenne

Nathalie Loiseau, ministre auprès du ministre de l'Europe et des affaires étrangères, chargée des affaires européennes :

Monsieur Dumont, vous avez tort de vous inquiéter, car les efforts que nous fournissons sont absolument comparables à ceux de nos partenaires. Pour ce qui est de l'effectif de douaniers nécessaire, rapporté à l'importance du trafic de nos ports, la France en recrutera 700, les Pays-Bas entre 700 et 900 ; l'ordre de grandeur est donc comparable. Je ne suis pas loin de penser que, vous aurions-nous présenté plus tôt ce projet de loi d'habilitation pour engager dans la foulée le démarrage des infrastructures, votre groupe aurait pu nous reprocher une forme de gaspillage et d'augmentation sans but de la dépense publique, tant il était difficile de savoir s'il existait un risque d'absence d'accord de retrait. Ce que nous vous demandons aujourd'hui, c'est précisément la possibilité de dérogations qui nous permettront d'aller suffisamment vite pour prendre toutes les mesures nécessaires, en matière de construction d'infrastructures notamment. Il ne faut pas laisser s'installer la contre-vérité selon laquelle les Britanniques seraient mieux préparés que nous ne le sommes. Ce n'est pas le cas et je regrette de devoir le dire, car cela aura un impact sur l'exportation de nos marchandises vers le territoire britannique.

Je peux vous donner l'assurance que Calais et Dunkerque sont désormais inclus dans le tracé du corridor Mer du Nord-Méditerranée, et nous continuons de débattre avec la Commission européenne de l'inclusion d'autres ports français. Figurer dans ce corridor permet de bénéficier de crédits européens, mais ces crédits doivent être « matchés » et supposent que les ports concernés puissent s'adapter. Une discussion approfondie s'impose donc, port par port, pour savoir quels sont leurs intérêts respectifs et ce à quoi ils sont prêts. C'est une partie du travail du coordonnateur interministériel, Vincent Pourquery de Boisserin, qui travaille avec l'ensemble des acteurs pour évaluer la réalité et l'ampleur des besoins, afin que l'on y réponde de la manière la plus précise et ajustée possible.

Madame Kuric, vous vous inquiétez de risque de réduction du volume d'échange de marchandises en raison du rétablissement des contrôles. Le texte vise précisément à permettre que le rétablissement des contrôles soit suffisamment fluide pour ne pas porter atteinte au trafic de marchandises entre le Royaume-Uni et la France. Nous discutons avec la Commission de possibles dérogations nous permettant d'exercer certains contrôles ailleurs que dans les points d'entrée des marchandises britanniques sur le territoire européen.

Comment se prémunir contre le dumping fiscal et le dumping social ? J'aimerais vous dire que le statut d'État membre de l'Union européenne y suffit, mais nous savons tous que ce n'est malheureusement pas le cas ; c'est probablement une des faiblesses de l'Union. Si un Brexit sans accord devait advenir, nous devrions négocier un accord sur la relation future entre l'Union européenne et le Royaume-Uni. Ce serait de compétence communautaire pour un certain nombre de secteurs, et la négociation, comme toujours, équilibrerait les opportunités et les contraintes pour nos partenaires britanniques : l'ouverture de notre marché au Royaume-Uni ne peut se faire que si cet État accepte une forme d'alignement sur nos normes. Cela vaut tout particulièrement pour un pays beaucoup plus proche de nous que tous ceux avec lesquels nous avons conclu des partenariats dans le passé.

Si nous n'attendons pas, monsieur Chassaigne, le vote de la Chambre des Communes pour vous soumettre ce texte, c'est que je crains que le feuilleton ne soit pas terminé ce jour-là, et qu'à trop attendre nous n'en venions à n'avoir rien décidé le 29 mars prochain, ce qui serait contraire aux intérêts de nos concitoyens et de nos entreprises. Le 11 décembre 2018 sera la date d'un premier vote sur l'accord de retrait présenté par la Première ministre. Je ne spéculerai ni sur le résultat du scrutin ni sur les décisions que Mme May pourrait prendre alors, mais les incertitudes sont grandes et le risque que la ratification ne se fasse pas est suffisamment plausible pour que nous allions le plus vite possible. Je sais les délais restreints qui s'imposent à votre commission spéciale et je comprends que cela puisse être assez peu agréable, mais nous avons la responsabilité commune de nous donner les moyens d'être prêts le plus rapidement possible.

Le recrutement de douaniers a commencé ; ils seront formés et dépêchés dans les régions côtières pour l'accueil des personnes et des marchandises en provenance du Royaume-Uni.

La continuité des contrats est d'abord une compétence communautaire. Des séminaires sectoriels ont lieu, qui associent la Commission européenne et les États membres pour dialoguer sur l'état de préparation des plans de contingence de la Commission. Nous vous tiendrons informés, quand tous les séminaires se seront déroulés, de ce qui est prévu par la Commission et de ce que nous voulons prévoir nous-mêmes le cas échéant en complément pour être certains de ne laisser aucun opérateur économique en difficulté. Déjà, Mme la secrétaire d'État Agnès Pannier-Runacher reçoit les fédérations professionnelles pour que l'information circule au maximum et que la préparation des équipes des opérateurs économiques se fasse de la moins mauvaise manière possible – je ne peux pas dire les choses autrement, car aussi longtemps que nous ne pouvons dire de façon certaine si l'accord est ratifié ou s'il ne l'est pas, il leur est très difficile de se préparer et de prendre les bonnes décisions.

Le Brexit est-il une bonne nouvelle pour l'Europe de la défense ? Au cours des derniers mois, nous avons avancé à grands pas avec la mise en place de la préfiguration du futur Fonds européen de défense (FED), la coopération structurée permanente et des projets qui seront financés par des fonds communautaires dès 2019. D'ailleurs, quand il s'intéresse à la relation future, le Royaume-Uni souhaite pouvoir bénéficier du Fonds européen de défense. Cela montre que ce pays n'est pas toujours un élément bloquant. Il reste, avec la France, le grand pays européen capable d'opérations extérieures d'envergure sur tous les types de théâtre.

Non seulement notre coopération bilatérale est intacte mais elle a vocation à se renforcer. Vous avez, monsieur Pueyo, évoqué les accords de Lancaster House ; lors du dernier sommet franco-britannique, qui a eu lieu à Sandhurst, nous avons dit notre souhait d'aller de l'avant pour ce qui concerne certains projets bilatéraux, et je rappelle que des troupes et du matériel militaire britanniques sont déployés à nos côtés dans l'opération Barkhane au Sahel.

Il n'y aura pas de négociation complémentaire si la Chambre des Communes refuse de ratifier l'accord de retrait. Les négociateurs ont exploré un grand nombre d'options depuis plus d'un an, et aucun autre accord que celui qui a été conclu ne permet de répondre aux priorités et aux préoccupations de l'Union européenne et du Royaume-Uni. Beaucoup de temps a été consacré au protocole irlandais, bien des options ont été envisagées, et rien d'autre que ce qui figure dans l'accord n'est possible : l'ensemble du Royaume-Uni doit être maintenu dans l'union douanière pour éviter une partie des contrôles à la frontière irlandaise. Cette solution est jugée acceptable par le gouvernement britannique comme par les Vingt-Sept. Chacun a fait un pas vers l'autre et je ne vois pas quel autre accord permettrait de prendre en considération nos préoccupations réciproques.

Enfin, faute d'accord, les citoyens britanniques résidant en France devront-ils présenter un visa pour rester sur le territoire ? Il y a là, monsieur Bru, deux sujets distincts : le visa de court séjour est une compétence communautaire, et nous n'en souhaitons pas le rétablissement pour les ressortissants britanniques qui viendront dans l'Union européenne ; de très nombreux touristes viennent du Royaume-Uni en France chaque année et nous n'avons évidemment pas intérêt à nous porter préjudice à nous-mêmes. Pour ce qui est des longs séjours, nous examinerons différentes options. Surtout, nous nous efforcerons, dans les ordonnances que nous préparons, de donner aux Britanniques qui vivent en France le temps de s'adapter à leur nouvelle situation. Á cette fin, nous leur permettrons probablement de conserver leur statut actuel de manière dérogatoire pendant le temps nécessaire aux démarches qui s'imposent à eux. Nous devrons aussi faire en sorte que nos administrations soient en mesure de traiter les demandes des ressortissants britanniques, particulièrement nombreux dans dix-sept départements, et qui pour certains ont engagé les démarches visant à acquérir la nationalité française.

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