Intervention de Boris Vallaud

Séance en hémicycle du jeudi 15 novembre 2018 à 15h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Après l'article 55

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaBoris Vallaud :

Les travaux d'un certain nombre d'économistes, parmi lesquels de nombreux chercheurs français, comme Gabriel Zucman, avec qui j'ai rédigé cet amendement et que je tiens à remercier, montrent que 40 % des bénéfices des multinationales sont artificiellement transférés vers des paradis fiscaux chaque année, de sorte que 600 milliards de dollars de base taxable échappent aux États. Chaque année, l'Union européenne perd ainsi, en recettes fiscales, 20 % du montant de l'impôt sur les sociétés. Pour les pays en développement, le montant de ces pertes est bien supérieur à celui des aides au développement elles-mêmes.

Notre État-providence ne souffre pas tant d'un excès de dépenses que d'un déficit de recettes. Ce sont ainsi 5 milliards d'euros de recettes d'impôt sur les sociétés qui manquent chaque année à l'appel pour la France : 5 milliards qui manquent à nos écoles, à nos hôpitaux, à nos services publics ; 5 milliards d'impôts que les contribuables paient à la place des multinationales, des « GAFA », les géants du web.

Si nous en sommes là, c'est que nous avons tous laissé ces multinationales se moquer, comme jamais, des États et des peuples. Que l'on en juge : en 2016, les entreprises américaines ont enregistré plus de profits en Irlande, au coeur de l'Europe, qu'en Chine, au Japon, au Mexique, en Allemagne et en France réunis. Et ces profits faramineux n'ont été imposés qu'au taux dérisoire de 5,7 %.

La course au moins-disant fiscal, je sais que nous en sommes tous d'accord ici, désarme les États, rompt le contrat social et affecte tout : l'économie, les ménages, les services publics et l'environnement. Elle alimente les inégalités jusqu'à l'insoutenable, compromet l'avenir et nourrit toutes les frustrations, tous les ressentiments et désormais, il faut le dire, toutes les attaques contre les démocraties libérales.

L'amendement que nous proposons, fruit de cette exaspération, vous invite à un sursaut. Il vise à changer la définition de la base imposable en France. Chaque société qui, domiciliée à l'étranger, vend des biens et services en France pour montant excédant 100 millions d'euros, pour l'amendement no 2330 , ou 150 millions d'euros, pour l'amendement no 2331 , serait assujettie à l'impôt sur les sociétés en France, qu'elle y possède ou non un établissement stable. Les bénéfices imposables seraient calculés en multipliant les bénéfices mondiaux consolidés du groupe par la fraction des ventes réalisées en France, le taux d'imposition restant inchangé, et ce même si les bénéfices ont été artificiellement transférés vers des pays à fiscalité faible.

Pour résumer les choses simplement, ce dispositif vise à briser le modèle économique des paradis fiscaux et à mettre un terme à une évaporation fiscale mortifère, à la faveur d'un principe simple : les multinationales doivent payer leurs impôts là où elles font leurs affaires.

Ces deux amendements prévoient des clauses anti-abus, ainsi qu'une période de transition de dix ans, pendant laquelle le Gouvernement aurait à renégocier un certain nombre de conventions fiscales, et différentes garanties pour préserver les recettes fiscales du budget de la nation. Nous proposons enfin une entrée en vigueur au 1er janvier 2020, afin de laisser au Gouvernement le temps de mettre en oeuvre ces mesures dans les meilleures conditions.

Évidemment, ce travail n'épuise pas celui qui est mené en Europe et au sein de l'OCDE, l'Organisation de coopération et de développement économiques. Comme je l'ai dit à certains responsables d'organisations non gouvernementales, le présent amendement n'est qu'un début : il participe de leur combat pour rendre plus justes et plus équitables les relations entre les pays et entre les peuples.

Le Parlement a notamment été institué pour assurer le consentement à l'impôt, ce qui est notre rôle, tout particulièrement aujourd'hui. La construction des États de droit et des démocraties libérales a notamment visé, au XXe siècle, à contenir les excès de la puissance publique et les abus de pouvoir de l'État. Le défi du XXIe siècle, notre grand défi, est de contenir les abus de la puissance privée. En adoptant cet amendement, la France peut être pionnière en la matière. Notre assemblée commencerait ainsi à réécrire les règles d'une mondialisation devenue déloyale.

Si nous voulons sauver un monde ouvert, il est de notre devoir de le rendre vivable pour les sociétés humaines et soutenable pour les États nations.

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