Intervention de Jean-Louis Touraine

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 10h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Louis Touraine, rapporteur :

Merci pour ces interventions, qui nous apportent beaucoup d'informations très importantes, certaines convergentes, d'autres un peu différentes.

Pourriez-vous nous adresser l'étude parue dans Human Reproduction dont vous venez de parler ? Il est vrai que quarante ans après Louise Brown, nous sommes étonnés que le taux de réussite des fécondations in vitro n'ait pas progressé plus significativement, singulièrement en France. Est-ce parce que des entraves ont été mises à la recherche sur l'embryon dans notre pays, ou parce que les indications ne sont pas les mêmes ?

Quoi qu'il en soit, nous savons que nous n'obtiendrons de progrès que par la recherche, et je me demande si ceux qui s'inquiètent du nombre considérable d'embryons surnuméraires qui doivent être décongelés car il n'y a pas de projet parental ne devraient pas être aussi ceux qui soutiennent le plus la recherche sur l'embryon. Il est un peu paradoxal que certains s'inquiètent des dizaines de milliers d'embryons surnuméraires qui sont jetés, mais refusent en même temps la recherche qui permettrait de ne pas les produire.

Ensuite, le diagnostic néonatal systématique est réalisé, en France, pour un nombre extrêmement limité de maladies, moins que dans les pays développés comparables. Avez-vous une explication ? Quels ajouts raisonnables proposeriez-vous pour que nous puissions systématiquement identifier, dès la naissance, les maladies pour lesquelles il existe évidemment une solution, que ce soit un régime indiqué, un traitement approprié, ou une surveillance ?

Le diagnostic prénatal n'aboutit pas à un choix binaire entre une interruption thérapeutique de grossesse ou pas.

L'interruption thérapeutique de grossesse, baptisée eugénisme par certains, n'a rien à voir avec le vrai eugénisme. C'est de la prophylaxie de maladies. Je rappelle que l'eugénisme est défini comme l'ensemble des méthodes et pratiques visant à améliorer le patrimoine génétique de l'espèce. Ici, on empêche simplement la naissance d'un malade affecté d'une maladie grave, potentiellement mortelle dans la jeunesse. Ce n'est pas de l'eugénisme : l'eugénisme de masse, l'eugénisme d'État comme le vingtième siècle l'a connu est tout à fait autre chose. Nous sommes dans le domaine médical de la prophylaxie des maladies.

Mais ce n'est pas la seule sanction d'un diagnostic prénatal. En 1998, j'ai effectué les premières greffes in utero pour le traitement de déficits immunitaires graves et des hémoglobinopathies, et il s'en est fait un certain nombre depuis, vous le savez aussi bien que moi. Et les greffes ne sont pas les seuls traitements possibles : l'administration de corticoïdes ou d'autres médicaments l'est aussi. Les diagnostics génétiques peuvent avoir des sanctions thérapeutiques. Donc, élargir le champ des diagnostics ne signifie pas nécessairement élargir le champ des interruptions de grossesse. C'est offrir à des embryons et des foetus ayant des maladies la possibilité d'être guéris par des traitements in utero, d'être pris en charge de façon adéquate, ou si l'affection est au-delà des possibilités thérapeutiques, de faire l'objet d'une interruption de grossesse.

De ce fait, on voit bien qu'il existe des indications complémentaires, pour le DPN comme pour le DPI. Les oppositions qui pourraient exister sont moins appropriées que la recherche des bonnes indications pour les uns et les autres : c'est complémentaire. Il nous faut cette panoplie de solutions, et ne pas résumer ou caricaturer. Les choses évoluent au fur et à mesure de l'évolution des techniques. C'est un domaine mouvant, passionnant, offrant des chances d'améliorer la vie de ces enfants et de leurs familles.

Vient ensuite le débat, dont vous nous faites part, sur l'opportunité de permettre des diagnostics élargis par rapport à une seule recherche. De fait, le professeur Nisand et plusieurs autres intervenants nous ont rapporté des cas dans lesquels des naissances avaient révélé de graves anomalies non dépistées, suite à la mise en oeuvre de techniques beaucoup trop ciblées du fait de l'interdiction de rechercher plus largement les diverses anomalies génétiques ou chromosomiques. Tout cela fait sens et j'ai peine à imaginer que l'on puisse rester bloqué sur l'idée de ne chercher qu'une chose et que l'on s'interdise de regarder tout ce que l'on pourrait trouver par ailleurs. Je ne vois pas l'éthique dans cette politique de l'autruche. Je ne vois pas ce que cela apporte. Il me semble qu'effectivement, la loi peut aisément lever cette restriction inutile.

Puis vient toute la question de la recherche d'aneuploïdies, à propos de laquelle on entend des remarques différentes – et vous-mêmes avez des points de vue distincts. Il nous faut conclure sur ces questions. Il me semble que, de toute façon, même si les avis divergent aujourd'hui, cette solution va s'imposer à l'évidence. La question est seulement de savoir s'il faut ouvrir d'emblée, ou s'il faut considérer que des efforts supplémentaires doivent être consacrés à la recherche et l'évaluation, avant d'ouvrir ces possibilités.

J'ai abordé plusieurs sujets, je vais donc m'en tenir là. On sent bien que ces sujets sont perçus comme étant en cours de recherche et susceptibles de progression. Je termine sur le point que vous avez évoqué : chacun d'entre nous est animé ici par le souhait d'avoir la réflexion la plus humaine, même si tout repose sur des choix scientifiques et techniques.

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