Intervention de Samir Hamamah

Réunion du jeudi 18 octobre 2018 à 10h30
Mission d'information sur la révision de la loi relative à la bioéthique

Samir Hamamah, chef du département Biologie de la reproduction et DPI au centre hospitalier universitaire (CHU) de Montpellier :

Mesdames et messieurs, les intervenants précédents ont dit l'essentiel et je souscris à une partie de leur propos, même si je ne partage pas tout ce qu'a exposé M. Jean-Paul Bonnefont.

Tous deux ont insisté sur l'idée qu'un couple sur cinq rentre avec un bébé à la maison. Cette année, nous fêtons le quarantième anniversaire de Louise Brown. Où en sommes-nous quant au taux de succès des fécondations in vitro ? Tous les soins que je nomme « palliatifs » permettent aux couples infertiles de rentrer avec un enfant qui n'est pas affecté par la maladie recherchée.

Aujourd'hui, il y a trois profils de couples qui demandent des DPI : les couples fertiles qui ne supportent plus de recourir aux interruptions médicales de grossesse représentent un premier tiers ; les couples fertiles opposés à toute interruption médicale de grossesse forment un second tiers ; le dernier est composé des couples infertiles, affectés par une maladie génétique d'une particulière gravité.

Autrement dit, deux tiers des couples pris en charge avec un DPI sont des couples fertiles, qui peuvent faire un enfant. Au nom de quoi allons-nous aider un couple porteur de la mucoviscidose à avoir un enfant indemne de cette maladie, mais qui, en prime de bienvenue, aura la trisomie 21 ? Voici la situation actuelle.

Je souscris donc totalement aux propos de Mme Achour-Frydman : aujourd'hui, il n'y a plus aucun sens à continuer à chercher une maladie grave, avec toutes les difficultés au long du parcours du couple, de l'embryon, et des gamètes, pour qu'à terme, l'enfant soit trisomique et que l'on soit obligé de proposer au couple une interruption médicale de grossesse.

Je rentre des États-Unis, où 9 000 personnes étaient récemment rassemblées dans un congrès. La France reste le pays qui cultive le syndrome de la frustration. Par rapport à d'autres collègues et confrères étrangers, nous n'avons rien à échanger, parce que malheureusement, nous n'avons pas les mêmes taux de succès. Au centre hospitalier universitaire de Cornell, à New York, le taux est de 40 % d'enfants nés par tentative. En France, je tiens à votre disposition les résultats officiels de l'Agence de la biomédecine : ce taux est de 20 %. Est-ce acceptable ?

C'est pourquoi il est inutile aujourd'hui de prendre parti pour ou contre : la question est de savoir si, quarante années après, nous pouvons continuer à accepter des taux de succès qui restent insatisfaisants.

Ces chiffres peuvent être améliorés : 17 % d'embryons qui s'implantent, cela veut dire 83 % d'embryons replacés qui ne s'implantent pas. Le fait que l'on joue sur le nombre d'embryons replacés pour augmenter le taux de grossesses entraîne un taux élevé de grossesses multiples. À titre d'exemple, on compte 1 % de grossesses gémellaires en conception naturelle, dans la population générale, contre 20 % à 25 % dans la population prise en charge dans le cadre d'une AMP, associée ou non à un diagnostic préimplantatoire.

Aujourd'hui, si nous voulons dépenser moins, il faut admettre une fois pour toutes qu'avant de réimplanter un embryon, il faudra le « screener » sur le plan chromosomique, parce que cela permet de replacer moins d'embryons. On peut même envisager que la loi impose le replacement d'un seul embryon, quel que soit l'âge ou le rang de la tentative.

Et, par voie de conséquence, nous aurons à congeler moins d'embryons. Aujourd'hui, vous nous reprochez d'avoir des cuves pleines d'embryons, et vous avez raison. Mais, dans mon hypothèse, on peut ne congeler que des embryons qui comptent quarante-six chromosomes, vingt-trois du père et vingt-trois de la mère, et on travaille autrement. Pour réaliser le screening du nombre de chromosomes et les tests de viabilité embryonnaire, dont il faudra que nous parlions également, il n'est pas nécessaire de toucher à l'embryon : il suffit de prélever un microlitre du milieu de culture dans lequel l'embryon évolue. Et cela nous permet de replacer un embryon viable, qui compte quarante-six chromosomes. Sachez que 40 % des embryons ont quarante-six chromosomes mais ne sont pourtant pas viables. Si nous voulons faire moins de tentatives et obtenir de meilleurs résultats, l'économie générée permettra de couvrir en partie le coût de ces tests. Nous en revenons aux enjeux financiers : si l'on fait moins de tentatives, nous faisons des économies, et les résultats sont meilleurs. Aujourd'hui, avec l'élargissement des indications pour l'assistance médicale à la procréation, qui ne fait pas l'objet de notre audition ce matin, je crains que nous continuions à avoir des résultats insatisfaisants pour un coût de plus en plus grand.

C'est la raison pour laquelle je voudrais que la prochaine loi de bioéthique soit une loi humaine, et non pas technique ou juridico-technique. Où place-t-on le couple et sa souffrance ? J'ai une chance énorme : j'étais avec M. Bonnefont et Mme Achour-Frydman quand nous avons conçu le premier bébé-éprouvette, à Clamart. On replaçait alors les trois embryons. En DPI, on choisit selon le statut génétique de l'embryon et pas selon le profil morphologique. Dans quelques semaines, Valentin va avoir dix-huit ans. Lorsque nous avions replacé les embryons, sa maman commençait à pleurer, on voyait ses larmes. Nous lui avons dit qu'il fallait encore attendre quinze jours pour réaliser le test de grossesse, mais elle nous a répondu : « Si je suis enceinte, je n'aurai pas l'angoisse de me demander s'il n'est pas atteint. » Voilà qui illustre la souffrance de ces couples qui ont un enfant handicapé. Il est trop facile de dire ce qu'il faut faire sans prendre cela en compte. On n'a pas attendu de connaître le DPI pour parler d'eugénisme. On confond tout.

Mme Achour-Frydman vient de nous donner le nombre d'embryons congelés. Un embryon sur deux est aujourd'hui écarté purement et simplement sur le plan morphologique. N'est-il pas possible que dans le nombre, il y ait des embryons viables ? Cela représente tout de même 150 000 embryons, mesdames et messieurs. Si vous voulez que nous travaillions autrement, je souhaite que la révision de la loi de bioéthique donne la possibilité à la France de retrouver sa place parmi les pays développés, et que nous ayons des taux de succès comparables. Je vous ai fait parvenir le classement européen de 2015 : la France se situe parmi les cinq derniers pays en termes de taux de succès. C'est une activité coûteuse, le prix est de plus en plus élevé, le nombre de tentatives augmente, mais le taux de succès, malheureusement, reste stable autour de 20 %.

C'est pourquoi j'insiste sur le fait que le parcours de ces couples qui réalisent un DPI est très lourd : on leur demande de faire le deuil de la plupart de leur fertilité naturelle le temps de cette prise en charge dans le cadre du DPI.

Il n'est pas exact de dire qu'il n'y a pas d'amélioration du taux de succès avec le DPI : l'étude multicentrique européenne a été publiée il y a quatre semaines dans la revue Human reproduction. Elle montre que certes, il n'y a pas d'amélioration, mais en cas de FIV à un âge avancé – pour des femmes qui ont au-delà de 38 ou 39 ans –, le taux de fausses couches est divisé par deux. C'est un gain pour le couple. Utiliser le DPI pour éviter de replacer des embryons aneuploïdiques permet de diviser par deux le taux de fausses couches. C'est un gain : moins de souffrances, moins de dépenses, et moins de tentatives inutiles.

Aucun commentaire n'a encore été formulé sur cette intervention.

Cette législature étant désormais achevée, les commentaires sont désactivés.
Vous pouvez commenter les travaux des nouveaux députés sur le NosDéputés.fr de la législature en cours.