Intervention de Jean-Luc Mélenchon

Séance en hémicycle du lundi 22 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Article 37 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaJean-Luc Mélenchon :

Comment pouvez-vous croire à une Europe capable d'agir si vous lui consacrez chaque année 1 % de la richesse totale des pays qui la composent ? Comment pouvez-vous croire qu'une telle organisation, qui nous demande 9 milliards d'euros de plus que ce que nous recevons de sa part, puisse faire autre chose que trébucher sans fin ?

Vouloir récupérer son bien, a-t-on dit, ne serait pas une attitude solidaire. J'en conviens ; mais alors examinons à quoi servent ces 9 milliards qui, pour nous, Français, représentent une dépense somptuaire. La contribution de la France a augmenté de 15 % en deux ans. Je ne veux pas faire de comparaison trop douloureuse, mais au cours de la même période, dans notre pays, le budget du logement a été réduit de 12 % et celui de l'emploi de 26 %. Ce n'est donc pas rien ! Nous sommes le deuxième contributeur net, et cette contribution représente 13,5 % de notre déficit. Vous qui aimez les comparaisons avec le budget d'une famille : quelle famille déciderait de donner de manière irraisonnée et sans contrepartie quelque 13 % de sa dette en plus ? Ce n'est pas raisonnable ! Cette dépense est d'autant plus somptuaire qu'elle est inutile puisque, en réalité, nous payons pour d'autres.

Désormais, vous condamnez tous le rabais et le rabais du rabais. L'année dernière, j'étais un peu seul dans ce registre ; je suis heureux que nous soyons tous d'accord à présent. Mme Thatcher ne voulait pas payer la part des Britanniques ; nous autres Français, toujours chevaleresques, avons accepté de payer à leur place. Ensuite, les Allemands ont réclamé un rabais sur leur prise en charge du rabais octroyé aux Britanniques. La première puissance économique du continent, dont l'excédent budgétaire atteint 50 milliards d'euros, a prétendu nous imposer de payer à sa place le rabais qu'elle ne veut pas financer ; et nous avons accepté. Est-ce normal ? Il y a un an, j'ai presque été accusé de germanophobie pour avoir parlé ainsi. J'imagine qu'aujourd'hui tout le monde convient que tout cela est déraisonnable, qu'il s'agisse du rapport de la France au reste de l'Europe ou de cette négociation de marchand de tapis dans laquelle nous payons pour l'un, pour l'autre, tant et si bien qu'à la fin on ne sait plus ni pour qui on paie, ni pour quoi.

Nous payons pour l'Allemagne. Or si nous craignons, paraît-il, d'offenser l'Allemagne – disons « le gouvernement de droite allemand », cela facilitera les rapports – en célébrant la victoire de 1918 que nous avons remportée contre elle, nous ne redoutons pas qu'elle nous offense lorsqu'elle décide d'échanger un mark de l'Est contre un mark de l'Ouest et que cela coûte 100 milliards d'euros supplémentaires – c'est ce que la réunification de l'Allemagne et cette décision monétaire nous a coûté, à nous, Français. C'est un fait ! Revenons à cette réalité au lieu des discours creux et langoureux sur les rapports du couple franco-allemand.

Nous sommes les dindons de la farce. La Commission nous demande maintenant de rembourser une partie des aides reçues au titre de la PAC. En 2014, on nous a réclamé le remboursement de 428 millions d'euros – pour ceux qui ne savent pas à quoi cela correspond, c'est l'équivalent de 2 850 HLM ; en 2015, on nous a demandé 512 millions d'euros, c'est-à-dire le salaire de 5 000 professeurs ; en 2016, 656 millions d'euros, soit le salaire de 20 000 aides-soignantes dans les EHPAD ; en 2017, 581 millions d'euros, c'est-à-dire 45 000 contrats aidés.

Nous payons pour un budget européen mal géré. Savez-vous que tous les ans, les « restes à liquider » – la somme des engagements restant à verser – représentent des sommes dont les responsables devraient avoir honte. Pourtant, les mêmes nous font la leçon sans arrêt sur la manière dont nous gérons le budget de la France. Ce sont 188 milliards d'euros qui n'ont pas été payés en 2014 et 300 milliards qui ne le seront pas en 2019 – soit l'équivalent de deux années de budget européen. En 2014, le montant des factures impayées s'élevait à 25 milliards d'euros. Ainsi est géré le budget de l'Union européenne par ceux qui viennent nous dire combien nous avons le droit de dépenser pour nos routes, nos hôpitaux, nos écoles et pour tous les biens publics dont dépend la vie de la nation.

Nous payons pour une bureaucratie inefficace, bavarde et hargneuse. En 2019, 10 milliards d'euros sont consacrés à l'administration dans le budget européen. Entre 2007 et 2020, ces dépenses auront augmenté de 25 %, soit une croissance de 4,3 % par an, contre 1,6 % en France. Les salaires sont absolument fous : 225 000 euros par an pour le directeur général de la commission ; 315 000 euros pour le président de la Banque centrale européenne.

Nous payons pour la destruction des frontières. Le libéralisme qui prévaut entre l'Union européenne et le reste du monde fait sans cesse baisser les droits de douane. Par conséquent, leur part dans le budget de l'Union diminue. Aujourd'hui, les droits de douane représentent 14 % du budget européen, contre 30 % en 1998, tandis que la part des contributions des États s'établit à 66 %, contre 10 % en 1998.

Enfin, et surtout, nous payons pour la destruction de notre modèle social, c'est-à-dire que nous subventionnons ceux qui le ruinent. Au titre des fonds structurels, nous avons donné 84 milliards d'euros à la Pologne alors que ses 61 000 travailleurs détachés en France n'y paient pas de cotisations sociales, et ne les paieront pas plus après l'accord qui vient d'être conclu sur la révision de la directive ; 3,3 milliards d'euros ont été alloués à l'Irlande pour lui permettre de ne fixer qu'à 12,5 % le taux de son impôt sur les sociétés, et elle refuse encore de récupérer l'argent dû par les entreprises selon la Commission européenne ; la Bulgarie a reçu 10 milliards d'euros alors que le salaire minimum s'y élève à 235 euros par mois et que les travailleurs détachés ne paient pas les cotisations ; 29 milliards d'euros ont été donnés à la Roumanie, qui a supprimé toutes les cotisations sociales salariées en 2017. Voilà la réalité !

Cette réalité est une dérive qui va s'achever dans un fracas. Nous avons besoin de négocier et de coopérer, pas d'organiser la compétition entre tous.

Chers collègues, cher monsieur Bourlanges, si voulez éviter que l'Europe ne s'effondre, si vous voulez que les nations puissent coopérer, alors il est urgent de traiter le problème de la dette des États – je ne parle pas de la dette privée. Nous savons tous que personne ne pourra jamais payer une telle masse de dettes. Une conférence européenne de la dette pourrait permettre de trouver les solutions techniques qui relanceraient l'économie du continent.

Ensuite, il faut d'urgence organiser une conférence des frontières. Si les négociations sur le Brexit échouent, c'est parce qu'elles achoppent sur la question de la frontière entre l'Irlande du Nord et la République d'Irlande. Mieux vaut une conférence des frontières que les bras de fer permanents à toutes les frontières – nombreuses sont les frontières à l'intérieur de l'Europe qui sont en train de voler en éclats. À chaque fois, la coopération, le dialogue et la décision sont préférables aux injonctions d'une Commission aveugle appliquant des traités qui sont la cause de tous ces désastres. Il faut sortir des traités européens – c'est ma conclusion.

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