Intervention de M'jid El Guerrab

Séance en hémicycle du lundi 22 octobre 2018 à 16h00
Projet de loi de finances pour 2019 — Article 37 et débat sur le prélèvement européen

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaM'jid El Guerrab :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le président de la commission des finances, madame la présidente de la commission des affaires étrangères, messieurs les rapporteurs, mes chers collègues, « repolitisons le débat européen » pour remédier au déficit de proximité de l'Union européenne ! Tel est le mot d'ordre régulièrement lancé par le philosophe allemand Jürgen Habermas. À cet égard, le budget est la décision politique par excellence. Il s'agit d'un moment fondateur de toute démocratie, tant pour l'exécutif et ses soutiens que pour ses adversaires. Discuter le budget, plus spécialement, la contribution de notre pays à l'Union européenne, c'est discuter de notre projet pour l'Europe et de notre ambition pour l'avenir.

L'article 37 du projet de loi de finances pour 2019 évalue à 21,5 milliards d'euros le montant du prélèvement effectué sur les recettes de l'État au profit du budget de l'Union européenne. Il s'agit d'un des montants les plus élevés du projet de loi de finances.

Dans une très large mesure, le budget de l'Union pour 2019 se situe dans la continuité du précédent, ce qui tient au cadre financier pluriannuel 2014-2020. Malgré des contributions nationales en augmentation constante, l'Union semble en difficulté pour relever les défis aussi inédits que colossaux qui l'attendent : le défi de l'investissement, le défi de l'innovation, le défi de la compétitivité face aux autres ensembles régionaux qui se structurent, le défi de l'environnement international et de la lutte contre le terrorisme, le défi de la révolution numérique qui bouleverse tout, le défi du changement climatique ou encore, comme nous l'avons vu récemment, le défi des migrations.

La paralysie de l'Union européenne face aux mutations économiques, politiques et sociales auxquelles nous sommes confrontés ne fait qu'accentuer le scepticisme des peuples européens à l'égard des institutions européennes. Comment un simple bateau dérivant avec une dizaine de migrants à son bord peut-il avoir provoqué un tel cataclysme politique, faisant trembler les murs de cette vieille bâtisse commune ?

Ce scepticisme s'exprime à chaque élection qui ponctue la vie politique de nos pays. Songeons, à cet égard, à l'Autriche, à la Hongrie ou encore à l'Italie.

Il est clair que le Brexit constitue un autre facteur de trouble, en lui-même et à cause de l'absence de consensus britannique. Faute d'avoir conclu un accord de retrait, le Royaume-Uni devrait contribuer cette année à hauteur de 12 milliards à 14 milliards d'euros au budget de l'Union. Si tel n'était pas le cas, les autres pays membres devraient prendre le relais afin de compenser l'absence de contribution. En tout état de cause, la France pourrait devoir régler entre 1 milliard et 2 milliards d'euros supplémentaires du fait du départ du Royaume-Uni ; ce serait la petite cerise sur un gâteau déjà bien fourni.

Ces défis et ces incertitudes ne sont pas neutres, ils se traduiront d'un point de vue budgétaire : le projet de budget pour 2019 présenté par la Commission européenne s'élève ainsi à 165,6 milliards d'euros en crédits d'engagement et à 148,7 milliards d'euros en crédits de paiement, soit une augmentation de 3,1 % en crédits d'engagement et de 2,7 % en crédits de paiement par rapport au budget pour 2018.

La contribution de notre pays connaît une hausse tendancielle depuis deux décennies et sa part s'accroît par rapport aux recettes fiscales nettes de l'État. Le montant de notre contribution, constituée du prélèvement sur recettes et de ressources propres, a été multiplié par cinq en trente-cinq ans, passant de 4,1 milliards à 21,5 milliards.

La hausse continue du prélèvement au profit de l'Union européenne est paradoxale compte tenu de la discipline budgétaire prévue par les traités européens : la rigueur prévue par les traités s'imposerait à tous les budgets nationaux mais pas au budget européen ! Cette situation alimente la défiance. Il importe donc au plus haut point de revoir le mode de financement des institutions européennes.

Non pas que nous voulions moins d'Europe, mais nous voulons plus et mieux d'Europe ! Mieux d'Europe, c'est porter sur sa situation budgétaire un regard lucide et précis. Il y a en effet une asymétrie : le Parlement européen se prononce sur les dépenses, tandis que les parlements nationaux ne sont concernés que par les contributions de leurs pays respectifs. Par ailleurs, le suivi de l'exécution du budget de l'Union européenne est parfois délicat à effectuer, notamment en raison des fluctuations de l'activité économique. De nouveaux outils sont donc à mettre au point.

Au-delà des incertitudes, des tensions ainsi que des inévitables décalages entre prévision et exécution, je tiens à souligner que l'on ne saurait mesurer la portée de la contribution versée par notre pays en se référant au seul solde net. Cette logique est beaucoup trop malthusienne, beaucoup trop restrictive, car elle ne tient pas compte de la valeur ajoutée de la construction européenne – laquelle, du reste, n'est pas nécessairement quantifiable.

Les interactions entre les finances publiques de notre pays et la construction européenne sont donc bien moins unilatérales qu'on le prétend trop souvent. Ainsi la Cour des comptes européenne recommande-t-elle de prendre en considération certains critères constitutifs de la valeur ajoutée de l'Union européenne, comme la réalisation des objectifs des traités, l'instauration de biens publics européens, la génération d'économies d'échelle et d'effets d'entraînement, le respect du principe de subsidiarité et la concrétisation des valeurs de l'Union.

Alors que la proposition de cadre financier pluriannuel 2021-2027 vient d'être esquissée, il importe de songer à une profonde réforme des mécanismes financiers de l'Union européenne. Le Brexit nous offre pour cela une occasion historique. Il y va, tout d'abord, de la lisibilité et de la transparence du budget de l'Union européenne. Dans ce domaine, bien des efforts restent à faire ; le contrôle parlementaire y gagnerait. C'est d'autant plus urgent que l'on assistera bientôt à une augmentation très substantielle de la contribution de la France, qui devrait être de l'ordre de 6,3 milliards d'euros en moyenne annuelle, soit 30 % de plus par rapport au cadre financier pluriannuel 2014-2020.

Cette hausse ne saurait être unilatéralement supportée par notre pays. Elle doit notamment être conditionnée à la suppression des rabais originellement voulus par le Royaume-Uni. Certes, la Commission suggère que la hausse s'effectue en cinq ans de manière progressive, mais il nous semble qu'elle sera bien plus rapide, la France étant l'un des contributeurs les plus importants. Comme d'autres, notre pays a sollicité un rabais en 2012. Le système est devenu complexe, illisible et inéquitable : là encore, une réforme s'impose donc à brève échéance !

La refonte du système des ressources propres est également souhaitable : celles-ci stagnent, et leur proportion dans le budget global de l'Union reste trop faible. D'une manière générale, l'Union européenne est exagérément dépendante des finances des États membres. Il est donc indispensable, à mon sens, d'instituer un impôt européen sur la base de la TVA, la taxe sur la valeur ajoutée, seul impôt dont l'assiette est aujourd'hui harmonisée. Il s'agit ainsi de construire une harmonisation fiscale.

Il convient, en outre, de réfléchir au rôle et aux priorités du budget européen, afin de financer les investissements nécessaires à notre croissance, à la modernisation de nos infrastructures ou encore à la transition écologique. Nous devons nous assurer de la cohérence et de l'utilité de certaines dépenses.

L'insuffisante mutualisation des dépenses de défense fait peser sur la France le poids de la sécurité du continent et l'effort financier qui s'ensuit : député des Français du Maghreb et de l'Afrique de l'Ouest, j'en sais quelque chose ! Le renforcement du fonds européen de la défense est donc nécessaire, de même que la déduction des coûts liés aux OPEX – opérations extérieures – dans le calcul de notre contribution.

L'Europe devrait aussi, sans plus tarder, songer à se doter d'une vision géostratégique d'ensemble sur la « verticale Europe-Méditerranée-Afrique », pour emprunter les mots de notre ami Jean-Louis Guigou, président de l'IPEMED – l'Institut de prospective économique du monde méditerranéen. Une plus grande intégration est nécessaire, en vue de susciter le développement en Afrique et de soulager le vieux continent de la pression migratoire.

À cet égard, il importe de rompre avec l'éparpillement des initiatives en matière d'aide au développement. La France, l'Allemagne et l'Union européenne ne peuvent plus agir de façon séparée : il faut rationaliser nos actions dans le cadre d'une démarche européenne ; ce n'est qu'ainsi que nous pourrons établir une coopération durablement fructueuse. En tant que membre de l'Assemblée parlementaire de l'Union pour la Méditerranée, j'ai pu constater à quel point l'on manque d'ambition de part et d'autre. Un sommet euro-méditerranéen a été annoncé par le Président de la République pour l'été prochain : ce sera là une occasion d'entrer dans le vif du sujet, de manière pragmatique et concrète.

Il importe de restructurer le budget de l'Union européenne en redéfinissant ses priorités. Ce serait un moyen efficace de recréer de la confiance entre les institutions européennes et les institutions nationales, ainsi qu'avec les citoyens. Certes il existe actuellement une volonté de réforme, tant au niveau européen qu'au niveau français, mais elle n'est malheureusement pas à la hauteur des enjeux, et nous le regrettons.

Terminons-en avec les rendez-vous manqués ! L'Europe doit se transformer. Certes il faut voir dans le Brexit une cassure, mais aussi une opportunité de resserrer les liens entre les pays de l'Union européenne, et de relocaliser une partie de la finance et de la gouvernance mondiale. Il faut donc relever le défi constant qui, de Jean Monnet, Robert Schuman et Konrad Adenauer à François Mitterrand, consiste à faire de l'Europe unie une voix mondiale de la paix des nations et de la liberté. Cela n'a pas de prix, mais cela a certainement un coût.

Pour toutes ces raisons, notre groupe nouvellement créé, Libertés et Territoires, a choisi de s'abstenir sur cet article 37.

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