Intervention de Manuéla Kéclard-Mondésir

Séance en hémicycle du jeudi 11 octobre 2018 à 22h00
Création d'un répertoire des maladies rares ou orphelines — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaManuéla Kéclard-Mondésir :

Monsieur le président, madame la ministre, monsieur le rapporteur, cette proposition de loi a pour ambition de créer un répertoire listant, pour chaque maladie, les dérogations auxquelles pourraient avoir droit les malades, de mieux orienter ceux-ci dans leur parcours de vie et de soins, d'éviter leur isolement social et professionnel. Il s'agit bien d'une question de droits, et nous y sommes sensibles. Les maladies dites « rares » – près de 7 000 sont recensées – affecteraient 3 millions à 4 millions de personnes en France, et la moitié de ces pathologies sont dites « orphelines », car les populations concernées ne reçoivent aucun traitement ou si peu. Les pouvoirs publics ont une responsabilité importante : contribuer à amoindrir les difficultés du quotidien et développer la recherche scientifique sur le sujet.

Je signale au passage le cas particulier des cancers pédiatriques et des maladies de l'enfant, pour lesquels les budgets débloqués sont, aux yeux de nombreuses associations, très insuffisants. L'urgence est de permettre aux laboratoires publics de réaliser des recherches fondamentales, car c'est à ce niveau que le bât blesse. La recherche fondamentale, étape nécessaire pour comprendre les mécanismes de la maladie, n'est que très peu financée. En 2017, l'État n'a versé que 3,2 millions d'euros pour la recherche oncopédiatrique, alors que les besoins pour la recherche fondamentale dans ce domaine sont évalués à environ 15 millions à 20 millions d'euros. Les malades et leurs familles n'ont pas à subir les politiques austéritaires du Gouvernement, qui sont dangereuses.

Il est vital qu'une loi garantisse un fonds dédié à la recherche sur les cancers et les maladies mortelles de l'enfant pour faciliter le travail des chercheurs engagés contre ces maladies. Je rappelle que de nombreux enfants meurent chaque année d'un cancer en France, d'où l'urgence de cette loi de financement.

J'évoquerai aussi, si vous permettez une autre incise, les maladies rares au niveau national, mais pourtant majeures et répandues outre-mer, qui ne bénéficient pas d'une politique ni d'un traitement de santé publique nationale. Comme mes collègues Hélène Vainqueur-Christophe et Danièle Obono, je pense en particulier à la drépanocytose, qui fait des ravages outre-mer mais reste peu abordée au niveau national. Cette maladie génétique du sang, qui affecte plus particulièrement les populations noires, est particulièrement fréquente aux Antilles. En Guadeloupe par exemple, pour ne pas citer la Martinique, les statistiques indiquent qu'une personne sur huit est concernée. Bien que méconnue et rare au niveau national, c'est la maladie génétique la plus répandue dans le monde, où l'on estime qu'elle touche entre 300 000 à 500 000 bébés chaque année. La drépanocytose est une maladie héréditaire qui se caractérise par l'altération de l'hémoglobine. Ce phénomène peut entraîner de graves conséquences : anémie, crises douloureuses pouvant toucher différents organes ou encore résistance affaiblie à une certaine affection. Une simple prise de sang suffit pour déceler la maladie qui pourtant, faute d'une politique publique nationale, fait encore des ravages outre-mer.

Autre cas d'espèce, en Martinique cette fois, une centaine d'enfants sont atteints d'aplasie majeure de l'oreille, malformation de naissance impactant l'oreille externe et moyenne. Les aides manquent pour rembourser des appareils auditifs spécifiques à cette malformation, très onéreux pour les familles. Un appareil coûte environ 4 000 euros au patient et, lorsqu'il est atteint des deux côtés, il faut compter au moins 6 000 euros. Or ces appareils doivent être changés tous les quatre ans. On comprend difficilement que la réforme en cours tendant à instaurer un reste à charge de 0 euro pour les familles sur les appareils auditifs exclue les appareils spécifiques nécessaires en cas d'aplasie majeure. Or, vous le savez, madame la ministre, un enfant qui n'est pas appareillé pour une aplasie majeure perd la moitié de ses capacités intellectuelles, physiques et scolaires. Certes, ce n'est pas une maladie rare – en Martinique, une petite centaine d'enfants sont concernés – , mais l'absence de politique de santé publique en la matière crée, outre-mer, une forme de discrimination sociale et sanitaire qui ne peut être tolérée dans un pays moderne et démocratique comme le nôtre.

L'absence d'approches sur les maladies rares ou celles qu'on pourrait appeler, dans le cas que je viens d'évoquer, « ultrapériphériques », est d'autant plus paradoxale que plusieurs plans nationaux maladies rares ont été mis en place : de 2005 à 2008, de 2011 à 2014, puis de 2018 à 2022. Des centres de référence ont été créés sur le territoire national pour faciliter leur prise en charge. Vingt-trois filières de santé maladies rares ont même été instituées pour chapeauter ces centres. Et pourtant, il y a toujours carence.

Les associations pointent également le manque d'accompagnement et de prise en charge des familles. Je ne peux m'empêcher de penser au quotidien de celles-ci, tout particulièrement des parents, lorsqu'un enfant est victime d'une maladie rare ou orpheline. Au-delà de la douleur, elles sont confrontées aux difficultés sociales et économiques.

Mon collègue Pierre Dharréville, dans sa proposition de loi pour une reconnaissance sociale des aidants, avait déjà proposé des mesures ambitionnant d'accorder des droits effectifs aux aidants. Malheureusement, ce texte a été rejeté. Il aurait pourtant permis d'améliorer les conditions d'accompagnement des personnes malades et de leurs aidants.

Les chercheurs, soignants et associations se plaignent quant à eux de l'absence de politique de sensibilisation, de la non-prise en charge prénatale et postnatale depuis quinze ans, et soulignent la nécessité de mieux orienter les malades dans leur parcours de soins et de vie.

Dans ce contexte, la proposition de loi témoigne d'une volonté d'enregistrer les dérogations liées aux maladies rares ou orphelines. J'ajoute à celles-ci, vous l'avez compris, des maladies rares non au sens strict, mais que j'appelle « ultrapériphériques », parce qu'elles sont spécifiques à nos populations ultramarines.

Le texte en discussion formule une autre proposition : compenser la perte de recettes par la création d'une taxe additionnelle aux droits visés aux articles 575 et 575 A du code général des impôts, pour mieux traiter le problème.

J'insiste : l'objectif majeur est de créer un répertoire des maladies rares et orphelines, qui listerait pour chaque maladie les dérogations dont les patients pourraient bénéficier du fait de leurs besoins spécifiques. Je souhaite qu'on y intègre les maladies ultrapériphériques auxquelles j'ai fait allusion.

Mme la ministre nous a indiqué sa position. Néanmoins, notre groupe votera la proposition de loi, compte tenu des avancées générales que celle-ci apporte.

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