Intervention de élie Cohen

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 10h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

élie Cohen, directeur de recherche au CNRS :

Concernant les politiques d'innovation, j'ai été assez surpris d'entendre ce qui a été dit sur le PIA.

Premièrement, ce n'était pas du tout un instrument de sortie de crise, bien au contraire. Face au constat que, par le passé, les décisions budgétaires conduisaient à sabrer ce qui était le plus facile, en l'occurrence les dépenses de recherche, d'innovation et d'avenir. L'idée essentielle qui a présidé à la constitution du PIA, au départ de la mission Rocard-Juppé, est qu'il s'agissait de trouver un véhicule adéquat pour cantonner les dépenses du futur. Certes, l'on n'avait pas prévu au départ qu'il y aurait un PIA 1, un PIA 2 et un PIA 3, ou des extensions successives. Mais l'idée était de cantonner les dépenses d'avenir. De ce point de vue, le PIA a été un succès.

Deuxièmement, il s'agissait de rompre avec la pratique qui consistait à accorder sur le mode de l'abonnement des subventions de recherche à un certain nombre d'institutions et d'entreprises, en procédant par des appels d'offres ouverts, des concours internationaux et un suivi des projets particulièrement exigeant. De ce point de vue, le PIA a également été un succès. En effet, vous vous souvenez que lors de la première vague, un certain nombre d'institutions qui avaient toutes les médailles et tous les titres à faire valoir avaient été rejetées par ces jurys internationaux.

Troisièmement, il existait des évaluations ex ante, en cours, ex post. J'ai donc moi aussi été surpris d'entendre les difficultés que vous avez rencontrées en la matière. Les laboratoires se plaignent plutôt de la multiplication et de la lourdeur des évaluations que de leur absence. Quant au défaut de communication des résultats d'évaluation, j'ai fait partie de la commission Rocard-Juppé, puis de celle qui a géré le PIA et ensuite encore de celle en charge de l'évaluation. En l'occurrence, je me souviens plutôt d'avoir croulé sous les données d'évaluation par projet, par secteur, par filière, par région... L'abondance de biens était absolument considérable ! Les décisions prises ont conduit à remettre en cause certaines initiatives d'excellence (IDEX) et certains programmes, ou encore à fermer certains programmes et affecter l'argent à d'autres. J'ai donc le sentiment que ce dispositif a été plutôt réussi. Si l'on pense que cela n'a pas été le cas, il faut alors vraiment pousser la réflexion. Je considère que la réflexion conduite en amont de la création du PIA avait permis de bien identifier les axes de transformation aussi bien verticaux qu'horizontaux. Je continue à penser que le PIA est un bel outil. Si l'un des résultats de vos travaux consiste à considérer que l'on a raté certains objectifs, il faut identifier précisément ce qui s'est passé. J'avais le sentiment que, dans ce domaine, il était nécessaire de laisser le temps aux processus et aux outils créés – comme les instituts de recherche technologique (IRT) ou les instituts hospitalo-universitaires (IHU) – de produire leurs résultats, puis de les évaluer et d'éventuellement les sanctionner, plutôt que les remettre en cause. Je partage d'ailleurs pleinement l'idée selon laquelle, dans ces domaines, nous avons avant tout besoin de continuité. Voilà le premier point sur lequel je souhaitais insister. J'ai eu le sentiment que nous avions créé quelque chose d'intéressant avec la mission Rocard-Juppé, et qu'il fallait attendre d'en voir les résultats avant de tenter un nouveau bouleversement.

Concernant le niveau européen de coopération, nous autres Français avons longtemps pensé que nous ferions à l'Europe le don du « colbertisme high tech » Nous étions tellement contents de ce qui avait formidablement réussi chez nous que nous voulions le faire au niveau européen. Bien entendu, cela ne s'est pas passé ainsi, parce que nous étions à peu près les seuls à défendre cette idée ! Mais je vous signale tout de même que c'est ce que font largement les Chinois pour constituer leurs propres bases : une stratégie de protectionnisme offensif, une stratégie de la commande publique, une stratégie du transfert des résultats de la recherche publique vers des acteurs privés ou encore des grands programmes d'équipement menés sur le long terme. Un remarquable ouvrage sur l'industrie des télécoms chinoise montre comment ces méthodes ont fonctionné, par exemple l'idée-même de créer sa propre norme pour essayer de disposer d'avantages compétitifs par rapport à une norme dominante qui arrive avec ses industriels et ses pratiques. Bref, nous avons essayé de dupliquer notre colbertisme au niveau européen sans y parvenir. Faut-il, pour autant, abandonner ? Non, je crois qu'il faut trouver des dispositifs plus adéquats. Je pense que les projets européens communs actuels, notamment en matière d'industrie de défense, sont de très bonnes pratiques. Je pense également qu'il faudrait coordonner des expérimentations au niveau européen – pour le véhicule autonome, en intelligence artificielle – sur des bases ad hoc et en renonçant à la vision cartésienne à laquelle nous tenons beaucoup. Il faut essayer des dispositifs plus pragmatiques et des accords ad hoc. Bien entendu, la dimension européenne est la bonne. Plaidons pour l'idée qu'il est aussi important de développer en commun des technologies que des usages innovants. Favorisons des expérimentations au niveau européen. Cela vaut la peine ! Mais parler dans ce sens aujourd'hui au niveau européen, c'est faire preuve d'un optimisme débridé quand on sait l'état de déliquescence et de décomposition de toutes les politiques communes européennes.

Je ne pensais pas assister un jour à la remise en cause de la politique commerciale commune, qui est une compétence exclusive de la Commission. Mais je remarque qu'avec la crise automobile créée par M. Trump, même l'Allemagne est prête à discuter sur une base de pays à pays avec les États-Unis. C'est le coeur du marché commun qui est remis en cause, ce que je pensais ne jamais voir. Il faut être très courageux et optimiste pour tracer des plans pour l'avenir. Mais, précisément, il faut tenter !

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