Intervention de Julien Dubertret

Réunion du mercredi 18 juillet 2018 à 10h15
Commission spéciale chargée d'examiner le projet de loi relatif à la croissance et la transformation des entreprises

Julien Dubertret, inspecteur général des finances :

La question du temps est absolument cruciale. Il est frappant de constater que, très fréquemment, des entrepreneurs innovants ou des chercheurs-entrepreneurs se plaignent d'avoir affaire à des interlocuteurs publics qui n'ont pas conscience de l'urgence. Si l'on a une idée que l'on entend transformer en quelque chose qui a de la valeur, il faut aller vite. On ne peut pas attendre deux ou trois ans la réponse d'un laboratoire ou d'un institut de recherche public. D'une part, l'envie de faire quelque chose sera passée. D'autre part, l'opportunité de marché se sera écartée. Il faut donc des réponses rapides. De ce point de vue, le rapport formule un certain nombre de recommandations dont vous trouvez plus que la trace dans certains articles du projet de loi. Nous proposons notamment une série de mesures qui visent à accélérer le parcours pour le chercheur-entrepreneur. Cela ne paraît pas grand-chose, mais en termes de création de valeur, cela cherche à éviter des catastrophes que l'on a pu constater par le passé. Les établissements publics prennent de plus en plus conscience de l'importance d'aller vite.

Concernant l'innovation technologique – Deep Tech ou santé –, le temps de maturation est extrêmement long et coûteux. Il faut donc un soutien long – durant dix ou douze ans. C'est la raison pour laquelle le rapport recommande un léger allongement du dispositif de jeune entreprise innovante (JEI). Pour l'innovation d'usage, très centrée sur la Net économie et les outils technologiques numériques, le temps est différent. La course contre la montre vise à faire fonctionner le plus vite possible quelque chose qui ne représente pas un gros défi technologique, mais un défi en termes de captation de part de marché et de création de valeur. Si l'on ne croît pas extrêmement vite durant très longtemps, en l'occurrence plusieurs années consécutives, l'on deviendra un acteur secondaire du marché et l'on finira au mieux par être racheté, voire par disparaître purement et simplement. Vous avez tous en tête des exemples d'innovation d'usage, au travers d'applications que vous utilisez au quotidien sur votre smartphone. Il importe de comprendre que le soutien à ce type d'innovation doit être un soutien à la captation de parts de marché.

Concernant l'accès au marché, la difficulté liée à la taille et à la compétence des fonds d'investissement, français et européens, est en train d'évoluer. Faire de la gestion de patrimoine familial « à la grand-papa » n'est pas la même chose que suivre un portefeuille d'entreprises en croissance rapide et de start-up extrêmement compliquées, ce qui peut requérir de sauter dans un avion pour un conseil d'administration improvisé entre Noël et le jour de l'An. Il s'agit de gérer des ennuis en se disant que l'on participe à la création de valeur. Ce métier est beaucoup plus ambitieux et requiert des personnes qui ont envie de se battre. En l'occurrence, la situation évolue et des équipes compétentes se mettent en place sur le marché français. J'ai bon espoir, en la matière – même si, en cas de crise financière, ce secteur souffrira. De ce point de vue, loin de se fermer, l'accès au marché est plutôt en train de se rouvrir. C'est une bonne chose.

Une autre question incontournable est celle de la taille du marché. Il est plus facile de se financer lorsque l'on a accès au marché américain, qui est très grand et relativement unifié, que sur le marché européen qui est très fractionné. C'est la raison pour laquelle plus l'on pourra continuer à défractionner le marché européen, mieux cela vaudra. Les institutions européennes doivent clairement faire porter leurs efforts de ce côté-là.

Concernant l'évaluation, celle de la sphère publique est plus développée dans le domaine de l'innovation qu'ailleurs. Je suis étonné d'entendre que vous avez rencontré des difficultés à obtenir des informations sur l'évaluation des PIA. Pour ma part, ma perception a plutôt été que l'évaluation est très développée dans ce domaine, à mi-parcours, ex post à l'issue des programmes mais aussi ex ante à travers les comités d'engagement interministériels, avec le regard croisé du SGPI. C'est inconfortable pour tout le monde – les ministères s'en plaignent –, mais c'est plutôt bon signe. Cela veut dire que l'on place sous la loupe les projets présentés. Je pense que cela donne d'assez bons résultats. Une amélioration est certes toujours possible, peut-être notamment en termes de transparence vis-à-vis du Parlement, mais j'aimerais plutôt voir une diffusion de cette culture de l'évaluation vers le reste de la sphère publique. Je sors peut-être de mon rôle en vous suggérant d'auditionner le SGPI sur ce sujet. En tout cas, l'un des grands points forts de ce dispositif est l'évaluation.

Pour évaluer une innovation, il convient d'étudier la création de valeur – ce que l'on ne fait pas suffisamment. Lorsqu'on s'intéresse à la performance d'évaluation des projets portés par une institution publique qui héberge des chercheurs publics, par exemple, il faut regarder le nombre de coopérations avec les entreprises, l'existence de laboratoires communs ou d'instituts Carnot, le nombre de start-up créées en totalité et le nombre de celles qui survivent au-delà d'une année, si certaines accèdent à la cote et quelle est la valeur créée. Ces indicateurs économiques ont tout leur sens dans une politique d'innovation. Mais ils ne sont sans doute pas encore suffisamment suivis. Même s'il commence à y avoir des prises de conscience sur ce sujet, il y a encore des progrès à faire.

Concernant l'Europe et le pilotage de l'innovation, la question est très ouverte. Je crois avoir répondu sur les aspects de marché, lequel reste encore trop fractionné. Si l'on veut que la puissance publique apporte de l'aide à une innovation très disruptive créatrice de valeur, il faut accepter des grosses prises de risque, un regard extérieur, une très grande agilité – notamment être capable de constater, un an après, que le projet ne vaut rien et qu'il faut en lancer un autre. Cela nécessite une mobilité qui n'est pas spontanément acquise à une administration qui, pour des raisons valables pour certaines d'entre elles, travaille de façon plus lente et moins agile. Ce que je viens de décrire, ce sont un peu les caractéristiques de la Defense Advanced Research Projects Agency (DARPA).

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