Intervention de Philippe Gomès

Séance en hémicycle du jeudi 28 juin 2018 à 9h30
Adaptation à la polynésie française de dispositions en matière de commerce — Discussion générale

Photo issue du site de l'Assemblée nationale ou de WikipediaPhilippe Gomès :

Ce ne fut pas une mince affaire, en effet ! C'est un projet que j'ai porté depuis 2009, d'abord en tant que Président du gouvernement de la Nouvelle-Calédonie, puis en tant que député au sein de cette assemblée, avec le concours d'un certain nombre de mes collègues, au premier rang desquels Philippe Gosselin, que je remercie de son assistance amicale et affectueuse tout au long de ces travaux.

Une première étape a été franchie en 2013, lorsque la Nouvelle-Calédonie a adopté une loi du pays déposée par le groupe Calédonie Ensemble, dite « loi antitrust », visant à éviter les concentrations excessives, préjudiciables à la modération des prix dans une économie insulaire, où le mélange des genres est d'un classicisme absolu. L'objectif global de cette loi est qu'à terme aucune entreprise ne puisse détenir plus de 25 % des parts de marché d'un secteur. Cette règle est indispensable, à la fois pour favoriser la compétitivité de l'économie, mais également pour préserver le pouvoir d'achat de nos concitoyens insulaires.

Je rappelle qu'en Nouvelle-Calédonie, les prix sont en moyenne deux fois plus élevés qu'en France métropolitaine, comme en témoigne l'indice Big Mac, qui a été créé par The Economist en 1986 et qui compare le prix de ce produit hypernormé à l'échelle de la planète. La représentation nationale qui, pour être extrêmement réduite aujourd'hui, n'en est pas moins d'une qualité incomparable, doit savoir que sur les soixante-cinq pays concernés par ce classement, la Nouvelle-Calédonie a le cinquième Big Mac le plus cher de la planète. La Polynésie est juste devant ou juste derrière nous dans ce classement. Cela vous donne une idée de la cherté de nos prix.

Au-delà de l'indice Big Mac, j'aimerais citer l'étude de l'INSEE de 2010, relative aux différences de prix entre la métropole et l'outre-mer. Je ne parle pas de celle de 2015, où s'était exprimée la discrimination dont souffrent parfois les collectivités françaises du Pacifique, puisque cette étude ne portait que sur les départements d'outre-mer, contrairement à celle de 2010, qui embrassait l'ensemble du champ ultramarin. Cette étude a mis un coup de projecteur particulier sur la Nouvelle-Calédonie, qui occupe la première place du podium en matière de cherté de la vie, avec des prix qui, tous secteurs confondus, sont en moyenne 50 % plus chers qu'en France métropolitaine.

Si l'on se concentre sur la question du prix des produits alimentaires, dont on sait combien elle est sensible pour les ménages, on s'aperçoit qu'un ménage métropolitain, qui aurait à la fois le bonheur, en termes de conditions de vie, mais aussi le malheur, en termes de cherté des prix, de s'installer en Nouvelle-Calédonie, paierait son panier alimentaire 89 % plus cher qu'il ne le paie en France métropolitaine. Et il est inutile de vous dire que les revenus ne sont pas 89 % plus élevés en Nouvelle-Calédonie.

Ce texte ne consiste pas seulement à introduire un bout de procédure supplémentaire, ou à accorder un bout de pouvoir supplémentaire à une autorité installée. Il s'agit véritablement d'un outil majeur, qui doit faire en sorte, à terme, que les règles les plus basiques de la concurrence dans une économie libérale puissent être respectées. Vous comprenez pourquoi il est donc nécessaire de confier la responsabilité d'appliquer le droit de la concurrence à une autorité administrative indépendante. Jusqu'alors, ce sont les autorités locales qui avaient cette responsabilité, et ce n'était pas une très bonne chose.

J'ai rappelé que la création de cette autorité administrative a été le fruit d'une procédure longue et difficile. Au Sénat, certaines réticences se sont exprimées, et il semble qu'une main invisible continue à agir pour empêcher que ce territoire dispose des moyens nécessaires pour favoriser la concurrence. Après de longs débats à l'Assemblée nationale et sur le territoire, l'Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie a finalement été créée. Un régime d'incompatibilité nous a d'abord empêchés de l'installer, mais il a été levé par une modification de la loi organique du 25 avril 2016, dont j'ai eu l'honneur d'être rapporteur.

Nous sommes arrivés au bout de ce parcours le 2 mars de cette année – une grande date ! – , avec l'entrée en fonction officielle de l'Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie. Tout au long de la précédente législature, j'ai défendu la création de cette Autorité, et je ne doute pas qu'elle saura remplir ses différentes missions : une mission consultative sur toute question de concurrence sur les marchés, qu'elle remplit déjà largement, au travers d'autosaisines ou de saisines du Gouvernement ; une mission préventive, pour étudier la compatibilité avec les règles de la concurrence des entreprises calédoniennes ; une mission répressive, enfin, pour intervenir en cas de pratiques anticoncurrentielles et, le cas échéant, sanctionner.

Sur le fond, l'article 3 de ce projet de loi, adopté par le Sénat, assujettissant les membres de l'Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie à une obligation de déclaration d'intérêts et de situation patrimoniale auprès de la Haute Autorité pour la transparence de la vie publique, a permis d'étendre le champ de ce texte à la Nouvelle-Calédonie. C'est une excellente chose, que demandaient les membres de l'Autorité de la concurrence de Nouvelle-Calédonie.

Les véhicules législatifs sont rares pour introduire de telles dispositions et il ne faut donc pas les rater. Je me félicite que notre proposition, qui était également celle de la rapporteure du texte, d'étendre à la Nouvelle-Calédonie les dispositifs d'enquête dont bénéficie aujourd'hui l'Autorité nationale de la concurrence ait été entendue et qu'un amendement en ce sens ait été adopté en commission des lois. Je tiens à remercier mes collègues Philippe Gosselin et Maina Sage, qui ont soutenu cet amendement en commission, ainsi que la rapporteure, dont j'ai déjà dit qu'elle avait apporté son soutien à cette proposition.

Si la Nouvelle-Calédonie est compétente en matière de concurrence, de répression des fraudes, de droit de la concentration économique, de réglementation des prix et d'organisation des marchés, l'État demeure compétent en matière de garantie des libertés publiques – c'est l'une des dernières compétences régaliennes qui est aux mains de l'État dans notre territoire – et, bien sûr, de procédure pénale.

Il appartient donc au législateur national de déterminer les conditions d'intervention des agents de la Nouvelle-Calédonie dans le cadre de la constatation des infractions à la réglementation économique, dans la mesure où les pouvoirs d'enquête conférés affectent la liberté individuelle – c'est le cas des visites ou des saisies – et sont susceptibles d'aboutir à la constatation d'une infraction pénale et au prononcé d'une sanction pénale. Or, depuis 2009, les modifications relatives aux pouvoirs d'enquête en matière de concurrence intervenues au niveau national n'ont pas été étendues à la Nouvelle-Calédonie.

Cet article 4 est donc nécessaire pour actualiser et étendre les dispositions du code de commerce en la matière à la Nouvelle-Calédonie. Cela permettra aux agents de la Direction des affaires économiques de la Nouvelle-Calédonie de disposer des mêmes pouvoirs que les agents assermentés en métropole pour la constatation des infractions à la réglementation économique. En clair, et c'est une avancée majeure, l'Autorité nationale, l'Autorité polynésienne et l'Autorité calédonienne disposeront désormais, au terme de ce parcours législatif, des mêmes pouvoirs en matière d'enquête et de sanction.

Je souhaite donc que ce texte puisse être adopté, tel qu'il a été amendé au cours de la procédure, de façon à ce que la concurrence, en Nouvelle-Calédonie, devienne une réalité dans tous les secteurs d'activité.

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